L'enherbement reste peu pratiqué dans les vignes étroites, dans les coteaux et dans les zones à risque de sécheresse. Pour ces parcelles, il faut trouver de nouvelles espèces. « Elles doivent maîtriser les autres adventices, tout en étant peu concurrentielles pour la vigne », explique Xavier Delpuech, de l'IFV pôle Rhône-Méditerranée. Les précurseurs sur ce sujet sont les Suisses. A la fin des années quatre-vingt-dix, des chercheurs de la station de recherche de Changins passent au crible près d'une cinquantaine d'espèces pour trouver celles qui s'installent rapidement, couvrent bien le sol en hiver et étouffent les adventices, tout en se développant peu ou pas du tout en été.
Ils retiennent l'orge des rats, le brome des toits, le trèfle souterrain, le trèfle rampant, l'agrostide, le géranium fluet et la petite pimprenelle qu'ils sèment dans une parcelle de chasselas. Rapidement, ils abandonnent l'agrostide, le géranium et la pimprenelle qui s'implantent mal ou disparaissent trop vite.
Deux espèces toxiques pour les adventices
En revanche, ils obtiennent de bons résultats avec l'orge des rats et le brome des toits. Ces deux graminées annuelles s'implantent et persistent bien. Elles permettent à la vigne de porter des rendements plus élevés que dans la parcelle témoin enherbée avec de la fétuque et du pâturin.
Les chercheurs suisses remarquent aussi que l'interrang reste propre en été, alors que les deux graminées sont sèches, ayant achevé leur cycle annuel. En fait, l'orge des rats et le brome des toits émettent des toxines qui inhibent fortement les autres adventices.
En 2007, les chercheurs les installent dans des réseaux de parcelles. L'objectif ? Les tester dans différents contextes pédo climatiques. Ils constatent qu'une bonne préparation du terrain pour le semis est primordiale pour avoir une levée rapide et régulière. Second constat : les deux graminées se développent vigoureusement dans les terrains profonds, mais faiblement dans les parcelles superficielles. On pourra donc difficilement s'en servir pour obtenir un bel enherbement dans les terres légères. En France, Marc Guisset, de la chambre d'agriculture des Pyrénées- Orientales, recherche également des espèces peu concurrentielles. Il y a cinq ans, il a mis en place un essai dans une parcelle de Banyuls dotée d'une faible réserve utile. « Nous avons testé deux variétés de trèfle souterrain qui finissent leur mise à graine et se dessèchent à la mi-mai. »
Le technicien les a semées à l'automne, sur une bande de 1,20 à 1,30 m de large dans tous les rangs d'une vigne plantée à deux mètres. « Nous avons rencontré quelques problèmes d'implantation du trèfle. Mais nous avons vu des producteurs qui n'ont pas eu ces difficultés chez eux », rapporte-il. La préparation du lit de semence était peut-être en cause.
Une réserve utile du sol supérieure à 60 mm
Chaque saison, la bande enherbée est fauchée une seule fois dès l'apparition des premières fleurs. « Cela booste le trèfle qui repart de plus belle. Ensuite, à partir de la mi-mai, il se dessèche et forme un paillage non concurrentiel. En septembre, il repousse. »
Bilan de l'expérience : « La couverture du sol est suffisante pour éviter la levée d'espèces gênantes. En revanche, la réserve utile en eau du sol ne doit pas être inférieure à 60 mm, sinon le trèfle est trop concurrentiel », rapporte Marc Guisset.
Le technicien poursuit ses recherches. Au printemps dernier, il a réalisé un nouvel essai dans une parcelle de la vallée de l'Agly (Pyrénées- Orientales) pour tester l'orge des rats et deux bromes, l'un précoce et l'autre plus tardif. D'autres essais viennent également d'être effectués dans le Midi, le Bordelais, l'Alsace et en Saône-et-Loire.
Le Point de vue de
Frédéric Faye, viticulteur à Saint-Jean-des-Vignes (Rhône) sur 5 hectares (25 ares de chardonnay le reste en gamay)
« Des pertes de rendement de 5 à 6 hl/ha avec l'enherbement total spontané »
« Je me suis installé il y a moins d'un an sur une exploitation qui compte un peu moins de cinq hectares. Toutes les vignes font 9 000 pieds par hectare en moyenne. Elles sont palissées, plantées à 1.30 m d'écartement et enherbées tous les interrangs. Il y a quatre à cinq ans, mon prédécesseur a mis en place un essai d'enherbement total spontané sur une parcelle de gamay en coteaux. Le sol est argilo-calcaire et profond d'environ 40 cm. L'herbe s'est bien implantée. Le couvert est bien diversifié et se compose principalement de ray-grass associé à un peu de luzerne et de carotte. En milieu de rang, je tonds l'herbe deux à trois fois par an avec une grosse tondeuse. Une fois par an, un voisin me prête une tondeuse intercep pour tondre sous le rang. Parfois, il reste des herbes un peu hautes. Dans ce cas, soit je les laisse, soit je passe un coup de cisaille. Grâce à l'enherbement total, je n'utilise plus d'herbicides. Et je gagne un passage de tracteur, car je ne tonds qu'une seule fois sous le rang, alors que dans les autres parcelles où je désherbe chimiquement sous le rang, je réalise deux passages. A terme, je devrais pouvoir me passer d'antibotrytis du fait de la baisse de vigueur. Mais l'inconvénient est que certaines années, il peut y avoir des baisses de rendement. En 2009, j'ai perdu 5 à 6 hl/ha par rapport à la parcelle voisine. En revanche, cette année je n'ai pas vu d'incidence sur le rendement. Pour l'instant, j'attends encore trois à quatre ans pour mesurer tous les effets de cet enherbement total. Après, je verrais si je le mets en place ou pas sur toute mon exploitation. L'autre problème qui risque de se poser avec l'enherbement total est celui de la fertilisation de la vigne. Je ne souhaite pas mettre d'azote sur l'herbe. Donc, certaines années, il faudra peut-être que je détruise l'enherbement un rang sur deux ou deux rangs sur quatre pour pouvoir les fertiliser. »