De plus en plus d'exploitations agricoles adoptent une forme sociétaire (SCEA, EARL, ou GAEC). Dans le même temps, l'œnotourisme se développe. Des viticulteurs y voient un bon moyen d'arrondir leurs fins de mois. A tel point qu'il n'est pas rare de voir l'activité agricole diminuer, alors que celle liée à l'accueil des visiteurs ne cesse de prendre son essor.
Dans une exploitation sous forme sociétaire, on peut ainsi voir des conflits surgir entre les associés désireux d'investir dans l'œnotourisme et ceux persuadés qu'il faut conserver la priorité à l'activité agricole…
Le château devient un hôtel de luxe
C'est dans un pareil contexte qu'est né le contentieux qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2010. Dans notre affaire, une société civile d'exploitation agricole est créée entre trois associés : Marie-Thérèse, la gérante, qui détient 47,5 % du capital, Jean qui en possède également 47,5 % et Marcelle, avec 4 %.
Marie-Thérèse développe l'œnotourisme, avec succès. Le château devient hôtel de luxe. Des réceptions y sont organisées à telle enseigne que cet accueil « à la ferme » assure désormais les deux tiers du chiffre d'affaires. Il ne manque plus qu'une vaste salle de réception pour accueillir des mariages ou autres cérémonies.
Marie-Thérèse voit que la grange attenante au château ferait bien l'affaire. Le bâtiment sert à entreposer du matériel agricole. Mais il est vaste et facile d'accès. Il pourrait donc être transformé en salle de réception. La décision est trop importante pour se suffir de l'initiative de la gérante, une délibération de l'assemblée des associés est nécessaire pour réaliser le projet, étant donné surtout les dépenses envisagées.
Aux termes de la discussion, seul Jean s'oppose à la transformation de la grange. Marie-Thérèse et Marcelle disposant de la majorité, la délibération est prise conformément aux projets de la gérante.
Mais Jean ne l'entend pas de cette oreille. Il saisit le tribunal de grande instance pour obtenir la nullité de l'assemblée ayant décidé la nouvelle affectation du bâtiment. Pensez bien que les dames de la majorité réagissent. Elles mettent en avant que la propriété a déjà perdu en grande partie son caractère agricole et que seul l'hôtellerie permet de gagner de l'argent. Vu de l'extérieur, elles ont raison, car autant la courbe du tourisme monte autant celle de l'agriculture décroît…
Pour les magistrats, le constat est sans appel : la société va droit à une requalification de son activité en société commerciale. Pour que les dames majoritaires obtiennent satisfaction, il faut que les associés changent l'objet et la nature de la société. En effet, selon ses statuts, la SCEA a pour objet l'exploitation de la ferme ainsi que « tous autres fonds ruraux qui pourront être pris à bail ou acquis par elle (…) pourvu que ces opérations ne modifient pas [son] caractère civil ». Or, les sociétés commerciales ne sont pas des sociétés civiles.
Et lorsqu'il s'agit de modifier l'objet et la nature d'une société, il faut réunir une assemblée générale extraordinaire et obtenir la majorité des trois quarts des voix. En l'occurrence, ce n'était pas le cas. Les juges ont annulé la délibération de l'AG ordinaire autorisant à transformer la grange en salle de réception. En fin de compte, les magistrats ont estimé que le développement des activités hôtelières faisait disparaître l'activité agricole au profit de l'activité commerciale et là, seule l'assemblée générale extraordinaire a compétence.