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Magazine - Histoire

Abraham Lawton : Dénicheur de crus

Florence Bal - La vigne - n°228 - février 2011 - page 71

Il fut l'un des nombreux Irlandais à s'installer en France au XVIIIe siècle. Il créa l'un des premiers cabinets de courtage en vins de Bordeaux, qui existe toujours.
Abraham Lawton (portait réalisé par Denis Patchett) partait explorer le Médoc pour dénicher des vins qui deviendront les grands crus de Bordeaux. © TED MURPHY, A KINGDOM OF WINE

Abraham Lawton (portait réalisé par Denis Patchett) partait explorer le Médoc pour dénicher des vins qui deviendront les grands crus de Bordeaux. © TED MURPHY, A KINGDOM OF WINE

Abraham Lawton naît en 1716 à Cork, en Irlande, dans une famille de marchands. Sa famille d'origine anglaise s'était implantée sur l'île vers 1690. A l'âge de 23 ans, le jeune homme s'expatrie à Bordeaux. A cette époque, les échanges entre « la cité du vin et des clarets » et son île natale sont florissants.

« Il est très avantageux pour les marchands irlandais d'installer un représentant de leur famille à Bordeaux. Les navires y accostent, chargés de laine irlandaise, de beurre ou de beef, et repartent pour Cork ou Dublin, les cales remplies de vin et de cognac », peut-on lire dans « La saga des Barton » qui retrace l'installation à Bordeaux d'un autre célèbre négociant en vins irlandais, Thomas Barton.

Dès son arrivée, Abraham Lawton se lance dans l'exportation de vins vers sa patrie d'origine. « Il commence son livre commercial à Bordeaux le 1er juin 1739 », raconte Daniel Lawton, son descendant à la tête du cabinet de courtage Tastet & Lawton.

Débuts difficiles

En 1740, il réalise sa première expédition de vins. Pour cela, il passe par l'intermédiaire de la maison de négoce de Hugh Lawton, une autre branche de sa famille également implantée à Cork. Toutefois, les affaires ne sont pas aussi prospères qu'il l'espérait. Essuie-t-il des revers ? Se rendil compte que le métier de négociant n'est pas fait pour lui ? Nous l'ignorons, mais Daniel Lawton donne un début de réponse : « Mon aïeul ne paraît pas heureux dans ses débuts. Très vite, il cesse d'être négociant. Dès 1742, il s'adonne au courtage. »

Abraham Lawton trouve là, sa voie. Il vend des vins à de nombreux négociants irlandais installés à Bordeaux tels que Clarke, Lynch, Dillon et Barton. En 1745, il se marie avec Charlotte Selve, une Bordelaise. Ils ont de nombreux enfants, pour la plupart décédés jeunes. Leur fils Guillaume naît à Bordeaux en 1759. C'est lui qui prendra la succession de son père.

Expéditions dans le Médoc

Après chaque vendange, Abraham Lawton part en expédition dans le Médoc pour goûter les vins et les acheter, après avoir négocié leur prix. A cette époque, les propriétés n'avaient pas encore été classées. Les courtiers parcourent la campagne à cheval ou en carriole. « Naturellement, il a peu prospecté les régions de Saint-Emilion et de Pomerol, trop difficiles d'accès depuis Bordeaux, puisque les ponts sur la Garonne et la Dordogne ne seront construits que vers les années 1820 », continue Daniel Lawton.

Dans son grand livre des achats, démarré en 1739, « admirablement tenu et lisible », tout est écrit en anglais. « On trouve déjà les mentions de nombreux crus célèbres tels que Giscours, Léoville, Margaux, Haut-Brion, Citran ou Pontet-Canet, relève Daniel Lawton. A l'époque les millésimes sont rarement indiqués, mais on note tout de même l'apparition de leur mention certaines années comme, par exemple, Léoville 1762 et 1761, Gruaud, Lafitte et Haut-Brion 1762 ou Latour 1761. En fait, depuis 1739, les Lawton ont vendu des grands crus de Bordeaux. » Ils ont contribué à la notoriété des vins de la région avec les autres familles irlandaises telles les Barton, Johnston, Hennessy et Lynch, pour n'en citer que quelques-uns.

Précurseur

Après avoir exercé pendant plus de trente ans, Abraham Lawton meurt le 3 janvier 1776. C'est l'année où Labadie, un autre courtier, établit une « nomenclature des domaines de Guyenne qui produisaient des vins dits alors de Bordeaux et dont les prix (...) furent recensés par ordre de l'intendant de la Province ».

Cet inventaire « par paroisse et par prix », à finalité fiscale, distingue des crus de première qualité (Château Haut-Brion, Château Latour, Château Lafite, Château Margaux), puis des crus de deuxième et troisième qualité. Il inspirera directement le classement établi par Thomas Jefferson, le troisième président des Etats-unis, lors de son voyage dans le Bordelais en 1787, puis celui des grands crus de 1855.

Au décès d'Abraham, son fils Guillaume lui succède à la tête de la société. Son petit-fils Jean-Edouard prendra ensuite en main les destinées du bureau de courtage. En 1830, il s'associera avec la famille Tastet. Il s'installera au 60 quai des Chartrons, le cœur commercial du marché des vins de Bordeaux, où la société Tastet & Lawton existe toujours, deux cent soixante-dix ans après sa fondation.

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SOURCES

Archives familiales.

« La saga des Barton », d'Anthony Barton et Claude Petit-Castelli, aux éditions Manya.

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