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Magazine - Histoire

Nathaniel Johnston : Négociant républicain

Florence Bal - La vigne - n°244 - juillet 2012 - page 71

En 1772, cet Irlandais reprend et développe avec succès le négoce fondé par son père à Bordeaux (Gironde), échappant aux affres de la Révolution française.
Pendant la Terreur, Nathaniel Johnston a été arrêté et a dû se justifier pour sauver sa famille. Une de ces lettres en atteste : « J'ai huit enfants nés ici. L'aîné sert depuis deux ans sur la frontière avec le zèle d'un vrai républicain. » © ARCHIVE NATHANIEL JOHNSTON & FILS/V. BENGOLD

Pendant la Terreur, Nathaniel Johnston a été arrêté et a dû se justifier pour sauver sa famille. Une de ces lettres en atteste : « J'ai huit enfants nés ici. L'aîné sert depuis deux ans sur la frontière avec le zèle d'un vrai républicain. » © ARCHIVE NATHANIEL JOHNSTON & FILS/V. BENGOLD

C'est en 1755, à l'âge de 12 ans, que Nathaniel Johnston, né à Dublin (Irlande), découvre Bordeaux pour la première fois. Son père William, un Écossais né en Irlande en 1699, est installé dans la ville depuis une quinzaine d'années. « Il a décidé de s'y établir définitivement et a tenu à rassembler sa famille autour de lui », indique un dictionnaire biographique.

À cette époque, « l'Irlande et la France entretiennent de bons rapports commerciaux, contrairement à l'Angleterre (…). Les navires accostent à Bordeaux chargés de laine irlandaise et repartent pour Cork ou Dublin, les cales remplies de vin et de cognac », raconte Claude Petit-Castelli, dans son livre « La saga des Barton », une autre famille venue d'Irlande fonder un négoce à Bordeaux.

Il apprend vite le métier

À son arrivée, William s'associe d'abord avec un négociant, puis il vole de ses propres ailes en fondant sa maison, Nathaniel Johnston et fils, qui existe encore aujourd'hui. À l'époque, le port de Bordeaux vit un âge d'or dû au commerce colonial et… négrier. La ville connaît aussi la montée en puissance de ses négociants en vins, pour la plupart étrangers.

Nathaniel est le petit dernier d'une fratrie de cinq enfants. Il travaille auprès de son père et apprend vite le métier. En 1765, il donne des consignes très précises, comme celles-ci, relevées par Claude Petit-Castelli au sujet de la conservation des vins : « Pour le soutirage, il est bon de brûler le quart ou le sixième d'une mèche hollandaise (mèche de soufre, NDLR) par barrique de claret et plus pour le vin blanc car le gaz contribue à garder les vins frais et quoiqu'on ait prétendu que le soufre faisait perdre de la couleur au claret, si on en fait brûler une petite quantité, il regagnera en peu de temps le peu de couleur qu'il avait perdu ; et la totalité ou la moitié d'une mèche brûlée dans une barrique de vin blanc l'aidera à conserver toute sa blancheur. »

Pour la clarification du vin, il préconise « vingt blancs d'œufs par barrique » pour le premier collage et douze pour le second qui a lieu au cours de la deuxième année d'élevage.

Le 20 janvier 1769, Nathaniel Johnston épouse une Irlandaise, Anne Stewart, née à Dublin comme lui. À la mort de son père en 1772, Nathaniel lui succède. Il a 29 ans. Quatre ans plus tard, la première hiérarchie fiscale des meilleurs crus du Bordelais est établie à la demande de l'intendant de Guyenne à partir de leur prix de vente. Les vins du Médoc, des Graves ou du Sauternais montent en puissance. Puis survient la Révolution française.

« En 1792, pendant la Terreur, Nathaniel Johnston est arrêté ainsi que toute sa famille », relate Claude Petit-Castelli. Une lettre, qu'il écrit alors au représentant du peuple pour solliciter sa clémence et sauver sa famille, témoigne de son activité : « Mon père s'est établi à Bordeaux il y a plus de cinquante ans, explique-t-il. Il y est mort en l'année 1772. J'y suis depuis avant l'âge de 13 ans et compte y finir mes jours. J'ai huit enfants nés ici. L'aîné (…) sert depuis deux ans sur la frontière avec le zèle d'un vrai républicain. J'ai donné dans toutes les occasions des sommes considérables pour l'armement des bataillons et pour les subsistances. Quoiqu'en arrestation depuis six semaines et ma propriété saisie, je n'ai jamais perdu confiance dans la justice de la nation française, elle ne sera pas déçue (….). Je vous ferai observer que je n'ai fait le commerce des vins que pour l'exportation, comme mon père, ce qui, depuis mon établissement, m'a fait occuper toute l'année de vingt à quarante ouvriers. »

Réputé pour sa droiture et son sens des affaires

La famille est libérée le 15 décembre 1793. Nathaniel Johnston reprend son activité. Au tournant du XIXe siècle, il entreprend de s'agrandir. « Dès 1804, les chais s'étendent sur 15 000 m2 et peuvent contenir 25 000 barriques », indique aujourd'hui la société. Nathaniel Johnston a alors 70 ans. L'entreprise prend de l'ampleur.

À la même époque, son gendre Hugh Barton cofonde la maison Barton & Guestier. « Nathaniel Johnston [fut un] négociant réputé pour sa droiture et son sens des affaires », note Claude Petit-Castelli. Il s'éteint en 1825 à l'âge de 82 ans. Aujourd'hui, ses descendants, les frères Denis, Archibald et Ivanhoé Johnston, gèrent toujours le négoce.

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SOURCES

« La saga des Barton », par Anthony Barton et Claude Petit-Castelli, aux éditions Manya.

« Personnalités et notables girondins de l'Antiquité à la fin du XIXe siècle », par Édouard Féret, aux éditions Féret.

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