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VENDRE - Conseils de pros

Sachez recevoir et convaincre un acheteur professionnel

Frédéric Ville - La vigne - n°229 - mars 2011 - page 68

Un sommelier, un restaurateur et un caviste nous expliquent comment ils aiment être reçus par les vignerons. Avec de tels clients, écartez d'emblée l'idée « d'expédier la dégustation ». Soyez disponible.
Travailler sur rendez-vous permet d'être plus disponible pour ses clients et de préparer la dégustation plus sereinement. © C. WATIER

Travailler sur rendez-vous permet d'être plus disponible pour ses clients et de préparer la dégustation plus sereinement. © C. WATIER

1. Travaillez de préférence sur rendez-vous

Même si vous êtes tout le temps sur votre domaine ou si votre caveau de vente est toujours ouvert aux visiteurs, travaillez de préférence sur rendez-vous. Une fois celui-ci pris, honorez-le, au risque d'engager le sérieux de votre maison.

« Lorsqu'on a pris rendez-vous, on est attendu, apprécie Christophe Hu, sommelier à Nantes. Le vigneron a préparé la dégustation. On s'attend à goûter des vins droits et sans fioritures. C'est souvent le cas. » Avant la dégustation, vous pouvez utilement consulter le site internet du restaurateur ou du négociant que vous attendez. Observez la provenance de ses vins, sa gamme de prix, le nombre de références par vigneron, etc. Cela vous renseignera sur lui.

Lorsqu'un acheteur vient à l'improviste, se rendre disponible est tout un art. Si l'on n'a pas le temps, il est peut-être préférable d'insister pour fixer un rendez-vous, plutôt que de perdre un client après une dégustation bâclée, que l'on n'aura pas eu le temps de préparer.

2. Surprenez votre interlocuteur

Christophe Hu raconte l'histoire de ce vigneron, Thierry Michon, qui l'a emmené sur le terrain avant de déguster : « Vous comprendrez ce qu'il y a dans mes bouteilles », m'a-t-il dit. Le sommelier a apprécié cette initiative.

De plus en plus de professionnels, mais aussi de particuliers, veulent raconter une histoire en ouvrant une bouteille : celle que vous leur aurez transmise. Prenez le temps de le faire.

3. Soignez les conditions de dégustation

Jérôme Bansard restaurateur dans le Calvados préfère déguster dans « une salle d'accueil à température normale, plutôt que dans une cave trop fraîche ». D'autres acheteurs préféreront la cave. Au vigneron de s'adapter. Dans tous les cas, la moindre des choses, c'est de servir les vins à bonne température. « Un vin sur dix servi à mauvaise température, ça passe. Mais pas sept sur dix ! », souligne Jean-Louis Lange, caviste à Châlons-en-Champagne.

Christophe Hu conseille également de bien maîtriser la rotation des échantillons, afin de ne pas se retrouver à servir un vin débouché depuis longtemps. Il déplore que certains vignerons ne soient pas encore équipés de bouchons à vide d'air.

4. Restez humble et nature

Ne prenez pas vos clients de haut. Vous risquez de les perdre. « Un vigneron m'a expliqué que pour déguster ses vins, il fallait faire la différence entre un cheverny et un cour-cheverny », raconte Christophe Hu, qui n'en revient toujours pas. Le sommelier a aussitôt tourné ses talons. Selon Jérôme Bansard, « beaucoup de vignerons se font passer pour les meilleurs, tandis que les vrais grands sont très humbles ». Une dégustation est une affaire de feeling. « Cela doit être convivial, nature. J'aime sentir le gars qui a les mains dans la terre », poursuit Jérôme Bansard.

5. Faites goûter moins mais ciblez mieux

« Les vignerons veulent souvent tout faire goûter en un quart d'heure », déplore Jérôme Bansard. Le plus souvent, vos clients se sont fait une opinion dès les deux ou trois premiers vins : en fait, ils jugent plus votre domaine que vos vins.

Pour qu'ils retiennent quelque chose, « ne sortez pas vos bouteilles les unes après les autres en disant : “tenez, je peux vous faire goûter ceci et aussi cela !” insiste Christophe Hu. La dégustation doit être organisée selon un crescendo censé et sérieux ».

Intéressez-vous aux préférences de votre client : pourquoi lui faire goûter des rosés et des blancs, alors qu'il cherche un rouge ? Et s'il ne veut qu'un mousseux, ne l'agacez pas avec le reste : il saura revenir vers vous si votre mousseux l'a convaincu.

6. Donnez à grignoter et faites saliver

« Lors d'une dégustation sur la Côte d'Azur, se remémore Christophe Hu, monsieur nous a servi un bellet, quand madame nous a apporté des toasts de pain grillé à la tapenade. Le vin a explosé en bouche. Je l'ai aussitôt mis sur la carte. » Bien sûr, on n'a pas toujours de quoi grignoter, surtout quand les clients viennent à l'improviste, quoique… des cochonnailles, des olives ou du fromage, cela demande peu de préparation.

Les acheteurs apprécient qu'on leur suggère des idées d'associations de mets et de vins. « Certains vignerons sont restés aux viandes en sauce, alors que la cuisine a beaucoup évolué », signale Jérôme Bansard. Il faut sortir des sentiers battus. S'il est convenu de servir un coteaux-du-loir rouge avec de la charcuterie, son côté poivré saura s'acoquiner avec des gambas au curry ou des grillades. De même, sortez le rivesaltes de l'apéritif ! Proposez-le avec une escalope de foie gras poêlé, sauce à la truffe et granité de pomme.

7. En clientèle ou sur un salon : adaptez-vous !

Lors de salons, les conditions de dégustation sont parfois déplorables. Malgré la chaleur et le bruit, il faut continuer à servir les vins à bonne température et à se montrer accueillant. N'hésitez pas à réclamer des aménagements aux organisateurs. Christophe Hu se souvient de ce vigneron placé devant les toilettes : « Au minimum, un paravent aurait pu être installé. »

Le Point de vue de

Bruno Cormerais, vigneron en Muscadet, à Saint-Lumine-de-Clisson (Loire-Atlantique)

« On est dans la provocation ! »

Bruno Cormerais, vigneron à Muscadet, à Saint-Lumine-de-Clisson (Loire-Atlantique)

Bruno Cormerais, vigneron à Muscadet, à Saint-Lumine-de-Clisson (Loire-Atlantique)

« Nous vendons 50 % de nos vins en direct. Au caveau, en général, les pros prennent rendez-vous. Ainsi, nous pouvons plus facilement leur faire visiter la cave et la vigne. Souvent, ils ont déjà goûté nos vins. Nous leur faisons déguster toute la gamme, s'ils le souhaitent. Nous essayons de les faire sortir des muscadets classiques pour les emmener vers des muscadets de garde, tout en tenant compte du fait qu'un professionnel peut apprécier un vin, mais pas ses clients. Nous mettons aussi en avant les guides et les articles où nous sommes cités. Nous donnons à nos visiteurs un catalogue du domaine contenant la fiche technique de chaque vin. Sur les salons – nous en faisons une douzaine par an – nous sommes le plus souvent à deux, l'un de nous s'occupant des pros. On ne sait jamais à qui on a affaire. C'est, par exemple, un muscadet de 1999 qui a convaincu un sommelier-conseil de renom de m'ouvrir les portes d'un club œnologique parisien très fermé. Je lui ai proposé de servir de vieux millésimes sur un menu avec foie gras et viande au curry. On était dans la provocation. Mais les membres de son club sont ressortis un peu bluffés et contents. Proposer de bons accords mets-vins n'est pas toujours facile : j'aime bien tester avant. Nous nous déplaçons aussi en clientèle à la demande, à Paris souvent. Dans ce cas, comme nous ne pouvons pas emmener toute la gamme de vins, nous sélectionnons ceux recherchés par le client lors d'un entretien téléphonique préalable. En été, nous prenons une glacière électrique. Dans tous les cas, il faut s'adapter et être réactif. »

Cet article fait partie du dossier

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Christophe Hu

Christophe Hu, sommelier à la brasserie Le Square à Nantes (Loire-Atlantique).

Jérôme Bansard

Jérôme Bansard, restaurant Le Pavé d'Auge à Beuvron-en-Auge (Calvados).

Jean-Louis Lange

Jean-Louis Lange, cave Vinifia à Châlonsen-Champagne (Marne

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