« En avril ne te découvre pas d'un fil », dit le dicton. Mais cette année, il n'était pas d'actualité. Dans toute la France, les températures ont été dignes d'un mois de juillet. Selon Etienne Kapikian, prévisionniste chez Météo France, dans beaucoup de vignobles, le mois d'avril 2011 est soit le plus chaud, soit le deuxième plus chaud de ces cinquante dernières années.
« Les vignes ont pris une feuille tous les deux à trois jours. Nous avons 15 jours d'avance par rapport à une année moyenne », rapporte Pierre Petitot de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or, le 29 avril. En Champagne, 2011 est, pour l'instant, « l'année la plus précoce jamais observée. Nous avons six feuilles étalées sur le meunier et dix feuilles sur le chardonnay », annonce Laurent Panigai, du CIVC, le 2 mai.
Vers des vendanges en août
« La floraison pourrait débuter mi-mai », pense Pierre Petitot. « On voit un peu partout des repousses de porte-greffe en fleur. La floraison de la vigne est donc très proche », confirme Natacha Elia, de la chambre d'agriculture de Gironde.
« Si les conditions se maintiennent, on se dirige vers des vendanges en août. Certains viticulteurs se préoccupent déjà de l'organisation des congés d'été », indique Nadège Brochard-Mémain, de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique.
Cette précocité bouscule les viticulteurs. « Début avril, en l'espace d'une semaine nous sommes passés du stade gonflement des bourgeons à deux à trois feuilles étalées, constate Maxime Dancoine, de la chambre d'agriculture de Savoie. Nous n'avons quasiment pas vu le stade pointe verte. Cela a perturbé les viticulteurs qui voulaient traiter contre l'excoriose, car les applications doivent se faire entre pointe verte et deux à trois feuilles étalées. »
Dans l'Aude, certains ont terminé de tailler alors que les feuilles étaient déjà sorties. En Charente-Maritime, « des viticulteurs n'ont pas pu finir d'attacher certaines parcelles », indique Magdalena Girard, de la chambre d'agriculture.
Autre conséquence : cochylis et eudémis sont apparus plus tôt. En Champagne, où la confusion sexuelle couvre cette année 11 000 ha, les viticulteurs ont à peine eu le temps de poser les diffuseurs de phéromones que les vols démarraient déjà.
Le Point de vue de
Ils mettent les bouchées doubles pour suivre le rythme imposé par la vigne
« Quatre jours à arroser les complants »
« La vigne a une bonne quinzaine de jours d'avance. Le 2 mai, elle était en moyenne à quatre feuilles étalées. Mais les stades varient selon les secteurs. Les parcelles précoces atteignent 5-6 feuilles étalées. Dans celles qui ont souffert du gel cet hiver, les bourgeons primaires sont à trois feuilles étalées et les bourgeons secondaires éclatent seulement. Nous sommes toujours surpris de la précocité et de la sécheresse, même si, depuis 2003 et 2007, nous commençons à être habitués à ces situations. Nous avons eu un coup de stress au niveau des travaux. Il a fallu réaliser le travail du sol, le désherbage et la complantation au même moment. Cette année, j'ai complanté 1 200 pieds sur un tiers de mon vignoble. Du fait de la sécheresse, j'ai passé quatre jours à les arroser. J'ai fini la complantation la dernière semaine d'avril. Mon père a arrosé les derniers plants en suivant. La dernière semaine d'avril, j'ai également commencé à tondre à ras les enherbements. Début mai, dans les parcelles sensibles à la sécheresse, j'ai défané l'herbe avec Basta. Puis j'ai commencé l'épamprage, alors qu'habituellement je ne démarre que mi-mai. J'ai donc demandé à mes deux saisonniers de venir plus tôt. Normalement, fin avril, nous avons toujours une période un peu plus creuse où nous faisons l'entretien du matériel. Cette année, ce n'est pas le cas. »
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« Mes ouvriers ont délaissé les travaux en cave »
« Au 29 avril, nous avons entre quinze et dix-sept jours d'avance par rapport à l'année dernière. Et les vignes atteignent le stade sept à huit feuilles étalées. Cette précocité nous a surpris. Mais nous avons réagi très vite. J'ai demandé à mes trois ouvriers de délaisser les travaux en cave pour passer plus de temps dans les vignes. Je me suis occupé des commandes les soirs ou les matins de bonne heure. Je n'ai pas compté mes heures. Ainsi, nous avons pu terminer la taille et le pliage des baguettes à temps. Nous sommes également à jour dans les chantiers de replantation et pour l'entretien des sols. J'ai commencé l'ébourgeonnage le 25 avril, à la même époque qu'en 2007. Mais habituellement, je ne commence cette opération que vers la mi-mai. Ce qui m'inquiète le plus, c'est que mon concessionnaire ne m'a pas encore livré le nouveau pulvérisateur que j'ai commandé. Il devait le faire à la mi-mars, mais a priori, je ne l'aurai pas avant la mi-mai.
Les œufs de mildiou ne sont pas encore mûrs. Pour l'instant, il n'y a pas besoin de traiter contre cette maladie. En revanche, le 28 avril, j'ai réalisé mon premier traitement contre l'oïdium, car la pression est assez importante et je travaille en réduction de dose. J'ai donc remis en route mon ancien pulvérisateur. »
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Ils mettent les bouchées doubles pour suivre le rythme imposé par la vigne
« L'ébourgeonnage et le pliage en urgence »
« La vigne a plus de quinze jours d'avance. Nous avons été pris de court pour le pliage. Avec mes salariés nous avons dû nous concentrer sur cette tâche au détriment de la tonte et du travail du sol. Et nous avons dû nous atteler dès le 23 avril à l'ébourgeonnage et à l'épamprage, alors que d'habitude nous commençons tranquillement dix à quinze jours après le pliage. Jusqu'à début mai, nous n'avons pas eu de temps pour l'entretien des sols. J'ai quatre salariés et 42 hectares. Mes parcelles sont situées dans un rayon de 7 km. Avec la précocité, c'est très juste pour réaliser tous les travaux. L'herbe est très haute, mais elle pousse moins que les autres années, les sols sont secs. Une partie de mes vignes est enherbée avec un désherbage mécanique sous le rang et l'autre partie – plus de 12 hectares – est entretenue par un travail du sol intégral. Pour rattraper notre retard, trois tracteurs tournent en même temps pour gratter la terre ou tondre. Les 2 et 3 mai, j'ai fait mon premier traitement (cuivre et soufre) contre le mildiou et l'oïdium, car nous avons eu des pluies orageuses. S'il avait plu plus tôt, je ne sais pas comment nous aurions fait pour assurer les traitements. Pour l'heure, la vigne est en pleine forme, elle pousse de façon homogène, il n'y a pas une quantité extraordinaire de boutons, mais tous sont sortis. Si on évite les gelées, l'année sera très bonne. »
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Ils mettent les bouchées doubles pour suivre le rythme imposé par la vigne
« Le premier traitement fin avril »
« La vigne a quinze jours d'avance sur une année normale. Nous sommes sous pression pour les travaux de printemps. A Pézenas, il est tombé 200 mm en une semaine à la mi-mars. La semaine suivante, impossible d'entrer dans les vignes. Nous avons donc pris un peu de retard sur les travaux de labour et de désherbage. Et début avril, la brusque montée des températures a précipité le cycle végétatif. Ce départ fulgurant de la végétation chamboule le planning des interventions, car tous les travaux s'imbriquent. Nous avons fait le premier traitement fin avril alors qu'en année normale, nous n'intervenons pas avant le 8 mai. Pour le travail du sol, d'habitude je passe un cadre, mais cette année, avec la pluie, il y a trop d'herbe. J'ai donc été obligé d'utiliser la fraise rotative qui me prend deux fois plus de temps : je fais quatre hectares par jour alors qu'avec le cadre, j'arrive à huit hectares par jour. Ce sera donc un surcoût en temps de travail et en gasoil. J'ai également six hectares de plantiers où il faut monter le palissage. Habituellement, je n'interviens pas avant le 15 mai. J'avais prévu le personnel à cette date. Il a fallu que je trouve quelqu'un pour intervenir quinze jours plus tôt. Heureusement que cette année, le 1er mai et le 8 mai tombent un dimanche, sinon on aurait encore perdu deux jours de travail. »