Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

L'irrigation progresse en anguedoc-Roussillon

Frédérique Ehrhard - La vigne - n°231 - mai 2001 - page 34

Dans les zones les plus séchantes, l'irrigation devient nécessaire pour préserver le rendement et la qualité. De plus en plus de vignerons s'équipent individuellement et collectivement pour pouvoir arroser les parcelles qui en ont besoin.
STÉPHANE GROLIER viticulteur à Puisserguier (Hérault), membre de l'Asa des irriguants du pays d'Ensérune, installe le goutte-à-goutte dans l'une de ses parcelles de cabernet franc. Sur six communes, 500 ha seront irrigués cette année. © PHOTOS P. PARROT

STÉPHANE GROLIER viticulteur à Puisserguier (Hérault), membre de l'Asa des irriguants du pays d'Ensérune, installe le goutte-à-goutte dans l'une de ses parcelles de cabernet franc. Sur six communes, 500 ha seront irrigués cette année. © PHOTOS P. PARROT

PRATIQUE ET RAPIDE. Stéphane Grolier déroule le tuyau d'irrigation à l'aide d'un quad.

PRATIQUE ET RAPIDE. Stéphane Grolier déroule le tuyau d'irrigation à l'aide d'un quad.

« Depuis trois ans, les vignerons qui ont accès à une ressource en eau s'équipent à un rythme soutenu. Nous n'avions plus vu une telle demande depuis la fin des années 1990 », constate Lionel Palancade, de la société Aqua d'oc, qui distribue du matériel d'irrigation.

Plusieurs facteurs expliquent ce développement. Le manque de pluies estivales a entamé les rendements dans les parcelles les plus sèches. Par ailleurs, l'irrigation a été autorisée dans les AOC. Et on peut obtenir des primes dans le cadre de la restructuration du vignoble. Les vignerons qui plantent touchent un complément de 800 à 1 200 €/ha s'ils installent un goutte-à-goutte. Ceux qui adoptent cette technique après avoir utilisé des enrouleurs bénéficient d'une subvention dans le cadre des Plans végétaux pour l'environnement, car ils réduisent ainsi les quantités d'eau consommées.

« C'est devenu vital pour nous »

« Irriguer est devenu vital pour nous ! Après plusieurs années de sécheresse, notre rendement moyen est descendu à 32 hl/ha en 2009. En 2010, il a carrément plongé à 22 hl/ha. A ce niveau, ce n'est plus viable », affirme Simon Dauré, du château de Jau, à Casesde-Pène, dans les Pyrénées-Orientales.

Après un premier forage infructueux fin 2010, il a fait appel à un hydrogéologue. Le second forage, réalisé début 2011, a été le bon. « A une centaine de mètres de profondeur, nous avons trouvé une veine d'eau. Le débit devrait être suffisant pour irriguer nos 90 ha de vignes et approvisionner le mas », précise-t-il. L'autorisation de prélèvement de la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) vient d'arriver. Il reste maintenant à installer une pompe et une station de filtration. « Nous allons équiper 15 ha dès cette année dans la partie basse du domaine qui produit des IGP, avec l'objectif de remonter le rendement moyen à 60 hl/ha », relève Simon Dauré. Dans les vignes en AOC, il vise un rendement de 45 hl/ha. Mais pour arroser sur le plateau séchant où elles sont situées, il faudra remonter l'eau de 80 m. « Nous allons investir par tranches, en continuant en même temps à replanter une dizaine d'hectares par an pour regagner de la vigueur. »

Les études et le forage ont coûté 17 000 €. Pour amener l'eau dans chaque parcelle, il faudra rajouter 2 700 €/ha. « L'irrigation coûte cher, mais moins que de ne pas produire ! affirme le viticulteur. Nous avons d'abord investi dans le commercial. En quelques années, nous avons doublé notre chiffre d'affaires et aujourd'hui nous manquons de volume. Avec la valeur ajoutée que nous dégageons en vendant en bouteilles, nous pouvons investir dans le vignoble »,

« Si nous avions attendu les subventions, nous n'aurions pas encore l'eau »

Même constat dans les terrasses qui bordent l'Aude. « Dans les parcelles les plus séchantes, le stress hydrique devient excessif. Les raisins ont du mal à mûrir, ils se dessèchent en fin de cycle et les rendements descendent à 50 ou 60 hl/ha. A ce niveau, ce n'est plus rentable », souligne Gilbert Cazals, le président de l'Association syndicale libre de Font Taïchet, créée il y a trois ans pour amener l'eau sur 150 ha de vignes sur la terrasse de Caux-et-Sauzens, village situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Carcasonne.

« Jusqu'en 2005, la distillerie coopérative d'Arzens envoyait ses effluents par une canalisation où ils étaient épandus. Après avoir changé de système de traitement, elle a cédé l'usage de cette canalisation à l'ASL. Il a suffi de la raccorder à une borne du Bas Rhône Languedoc pour amener l'eau », explique Sabine Dainese, de la chambre d'agriculture de l'Aude.

L'opération a coûté 115 000 €, un montant que les vignerons ont financé seuls. Le réseau a été mis en eau en 2008. Aujourd'hui, la moitié des 150 hectares engagés sont irrigués. « Ce n'était pas facile d'investir en pleine crise. Mais si nous avions dû attendre des subventions, nous n'aurions peut-être pas encore l'eau ! » commente Gilbert Cazals.

Un projet d'extension de 70 ha est actuellement à l'étude, car de nouveaux producteurs sont intéressés. Les coopératives sont parties prenante. La Cave de la Malepère accorde ainsi des avances à taux zéro remboursables sur trois ans à ceux de ses adhérents qui veulent s'équiper. « Les coopératives ont tout intérêt à préserver les volumes pour maîtriser les coûts, et à obtenir des raisins d'une qualité mieux adaptée aux vins qu'elles veulent élaborer pour leurs clients », précise Sabine Dainese.

Dans l'Hérault, un projet sur 1 500 ha en trois ans

Dans d'autres zones du vignoble languedocien, les coûts pour amener l'eau sont nettement plus élevés. La coopérative Les Vignerons du pays d'Enserune, dans l'Hérault, a fait de l'irrigation une de ses priorités. Elle a monté un projet de 1 500 ha qui nécessite un investissement de 7 millions d'euros réparti en trois tranches. Ce projet associe des vignerons en cave particulière et des adhérents d'autres coopératives que celle du pays d'Enserune. La première tranche est en cours de réalisation et coûtera 2,5 millions d'euros. Le conseil régional et le conseil général en financeront chacun 35 %. Six extensions vont être réalisées à partir du réseau du Bas Rhône Languedoc, dont une artère traverse la zone.

Sur six communes, 500 ha seront irrigués dès cette année. Près de 200 vignerons ont adhéré à l'Association syndicale autorisée qui va piloter les travaux. Ils lui verseront 1 000 €/ha sur cinq ans pour participer aux investissements collectifs et devront financer également l'équipement de leurs parcelles.

« Nous espérons pouvoir mettre en eau fin juin », souligne Gérard Bourdel, le président de l'Asa. Vigneron sur 20 ha, à Puisserguier, il a engagé 5 ha. « Sur ces parcelles, lorsqu'il n'y a pas d'orages dans l'été, ce qui devient fréquent, j'arrive tout juste à 60 hl/ha, car les raisins se desséchent », constate-t-il. En irriguant, il compte bien remonter le rendement. « L'eau est le facteur limitant dans ces parcelles. Lorsqu'il pleut l'été, j'obtiens sans problème 80 hl/ha. A ce niveau, je retrouve une rentabilité et je peux envisager l'avenir. »

Raisonner l'irrigation

L'eau n'est pas la solution à tous les problèmes. Avant d'équiper une parcelle, il faut analyser les causes de la baisse des rendements et déterminer si le manque d'eau est bien le principal facteur limitant. « Le stress hydrique se manifeste par des pousses qui se recourbent, des baies qui ont du mal à grossir ou qui se flétrissent et un feuillage qui se dessèche trop vite en fin de cycle », rappelle Thierry Grimal, de la chambre d'agriculture de l'Aude.

Ces situations se rencontrent sur des sols filtrants ou peu profonds. Là, l'irrigation permettra de redresser la situation, à condition de bien ajuster les doses. « Les excès d'eau peuvent être préjudiciables. Nous avons mis en place des essais pour établir comment piloter les apports en fonction des profils de vin visés », précise sa collègue Sabine Dainese.

Des projets en attente de subventions

Depuis deux ans, le conseil régional du Languedoc-Roussillon et les responsables professionnels se mobilisent pour convaincre le gouvernement qu'irrigation ne rime pas avec surproduction. Ils ont fini par y parvenir.

« J'ai pris conscience que dans une région comme la vôtre, l'irrigation devient vitale », a affirmé le ministre de l'Agriculture lors de sa dernière visite dans le Midi le 31 janvier. Le gouvernement a enfin demandé à l'Union européenne l'autorisation de financer sur des fonds Feader une extension des réseaux d'irrigation en Languedoc-Roussillon. Mais le dossier rencontre des oppositions à Bruxelles et la réponse tarde à venir. Des projets plus ou moins avancés sont en préparation dans l'Aude, l'Hérault, le Gard et les Pyrénées-Orientales. Sans financement européen, une grande partie ne pourra pas être réalisée. Il ne s'agit pas de produire des excédents sans débouchés, mais de s'adapter au changement du climat et à l'évolution de la demande des marchés. Pour y parvenir, la région dispose de ressources en eau suffisantes pour irriguer de nouvelles surfaces sans pénaliser le milieu naturel. Il reste à en convaincre l'Union européenne.

Le Point de vue de

Gilbert Cazals, vigneron avec sa femme Corinne, à Arzens, dans l'Aude

« Un investissement plus que rentable »

Gilbert Cazals, vigneron avec sa femme Corinne, à Arzens, dans l'Aude

Gilbert Cazals, vigneron avec sa femme Corinne, à Arzens, dans l'Aude

« Pour irriguer nos vignes, nous avons adhéré à l'Association syndicale libre de Font Taïchet, gestionnaire du réseau qui nous amène l'eau.

Nous avons engagé quinze hectares pour lesquels nous payerons 150 €/ha et par an pendant dix ans. L'équipement des parcelles nous est revenu à 2 000 €/ha, fournitures et travail compris, ce qui représente 285 €/ha et par an d'amortissement pendant sept ans. Nous consommons environ 600 m3/ha payés à 0,11 €/m3, ce qui coûte 66 €/ha auxquels il faut rajouter un abonnement de 45 €/ha. En tout, nous avons 546 €/ha de frais d'irrigation. Pour les couvrir, il faut que le rendement progresse d'au moins 9 hl/ha payés à 60 €/hl. Sur les parcelles déjà équipées, nous n'avons eu aucun mal à arriver à ce résultat. Dans les terres où nous plafonnions à 50 ou 55 hl/ha, nous arrivons maintenant à 75 ou 80 hl/ha, avec un gain de degré et une meilleure maturation. Les vignes ont retrouvé de la vigueur et la végétation reste active plus longtemps. L'investissement est plus que rentabilisé, nous regagnons de la marge. Nous allons finir rapidement d'équiper les parcelles qui ne le sont pas encore. »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :