Depuis quelques années, les organismes techniques et les firmes œnologiques travaillent sur les interactions entre les levures et les bactéries. « Nous avons ainsi défini quatre groupes de levures, rapporte Daniel Granès de l'ICV. Celles du groupe 1 favorisent fortement l'implantation des bactéries et donc la malo. Celles du groupe 2 sont favorisantes ou neutres : lorsqu'on les utilise, la malo s'enclenche avec un décalage de trois à cinq cinq jours par rapport au groupe 1. Celles du groupe 3 retardent faiblement la malo (décalage de cinq à six jours par rapport au groupe 2). Celles du groupe 4 sont fortement retardatrices voire inhibitrices de la malo dans certaines conditions (décalage d'une dizaine de jours par rapport au groupe 3). »
Des composés défavorables aux bactéries
Pourquoi de telles différences ? Premier facteur : la nutrition. « La levure consomme préférentiellement l'azote minéral, puis l'azote organique (acides aminés). De son côté, la bactérie se nourrit principalement d'acides aminés. Si la levure est très vorace, la bactérie n'a plus rien pour s'alimenter », précis Arnaud Delaherche, chez La-mothe-Abiet. Ensuite, la levure peut produire des composés dévaforables aux bactéries : le SO2 et les acides gras à moyenne chaîne (encore dénommés C6, C8 et C10). « Des chercheurs ont également mis en évidence l'effet inhibiteur de deux petits peptides que produit la levure, mais ils ne les ont pas encore identifiés », complète Arnaud Delaherche.
« C'est le choix de la levure qui prime »
Les fournisseurs tiennent compte de ces connaissances pour établir leurs conseils. « Le choix de la levure prime pour la qualité du vin. Si le style de produit que l'on recherche impose d'utiliser une levure défavorable à la malo, il faut choisir une bactérie bien adaptée à ce contexte. Dans cet esprit, nous avons sélectionné une bactérie très résistante aux acides gras : la Lactoenos 350 PreAc », explique Vincent Renouf, chez Laffort. Pour les rouges d'élevage, Lamothe-Abiet recommande d'utiliser la levure Excellence XR associée à Œno 1, une bactérie spécialement sélectionnée pour la co-inoculation. « Excellence XR produit peu ou pas de SO2. Elle produit des polysaccharides qui fixent les acides gras et apportent de la rondeur. Cette souche consomme en outre peu d'azote. Elle favorise donc l'implantation d'Œno 1. Elle fonctionne sur une large gamme de pH », argumente Arnaud Delaherche.
Autre couple qui fonctionne bien dans le Beaujolais en coinoculation : Excellence FR et Œno 1. « Pour élaborer des vins primeurs, mieux vaut opter pour une levure qui produit des arômes fruités. Avec excellence FR associée à Œno 1, la malo se déclenche rapidement, ce qui permet d'avoir des vins prêts le plus tôt possible », poursuit Arnaud Delaherche.
Pour les vins blancs, rosés et rouges fruités, Chr. Hansen propose l'association Viniflora Merit et Viniflora CiNe en coinoculation. « Viniflora Merit est une Saccharomyces cerevisiae très faiblement productrice de SO2. Elle favorise l'implantation de Viniflora CiNe. Cette bactérie ne produit pas de diacétyle, donc pas d'arômes lactés durant la malo. L'association des deux est intéressante pour les vinificateurs qui souhaitent stabiliser les vins et obtenir de la rondeur avec la malo tout en conservant le fruité d'origine », justifie Laurent Hubert, de Chr. Hansen.
Pour les vins de chardonnay, il recommande le couple Viniflora Melody et Viniflora CH35. Viniflora Melody est un mélange de levures Saccharomyces cerevisiae, Torulaspora delbrueckii et Kluyveromyces thermotolerans qui procure une grande complexité aromatique. Viniflora CH 35 est une bactérie fortement productrice de diacétyle. Elle produit des notes lactées, briochées et de beurre frais, conformes au style de chardonnay le plus apprécié. Pour obtenir ces résultats, Chr. Hansen recommande une co-inoculation tardive de la bactérie CH35 (fin de FA à 1015-1010 de densité).
Autre exemple pour les blancs : la co-inoculation avec la levure IOC B 3000 et la bactérie Inoflore. « IOC B 3000 favorise beaucoup le déclenchement de la malo. Elle produit peu de SO2, a de faibles exigences moyennes en azote et ne fabrique pas de composés inhibiteurs. De son côté, Inoflore préserve bien les esters fermentaires et produit peu de diacétyle. Les vins restent sur le fruit », argumente Olivier Pillet, responsable développement technique vins tranquilles à l'institut œnologique de Champagne.
Thermo Premium et Elios Premium pour les vins thermovinifiés
De son côté, l'ICV recommande un couple particulièrement adapté aux vins thermovinifiés : Thermo Premium, un mélange de souches de levures starters Killer, et la bactérie Elios Premium. Thermo Premium assure une fermentation et favorise les arômes fruités. « Derrière il fallait une bactérie montrant une bonne synergie avec ce mélange de levures. Dans les ateliers de thermovinification, les cuves sont souvent de grande dimension. Les températures peuvent être difficiles à maintenir et les pH variables. Sans compter que les degrés sont parfois élevés sur la deuxième partie des vendanges. Nous avons donc cherché une bactérie qui fonctionne bien dans ces conditions», explique Daniel Granès.
En plus, Elios Premium bénéficie de la technologie 1-Step, c'est-à-dire que les bactéries sont pré-acclimatées avant leur lyophilisation. Lors de la préparation du levain, l'eau minérale n'est donc plus obligatoire.
Mais pour Chr. Hansen, le plus intéressant ce sont les triplets : levures non Saccharomyces, levures Saccharomyces et bactéries. « Pour les blancs de type sauvignon et les rosés, le vinificateur commence par un ensemencement avec Viniflora FrootZen, une pure Pichia kluyverii, très forte pour extraire les précurseurs d'arômes, précise Laurent Hubert. Derrière, il ensemence avec une Saccharomyces cerevisiae révélatrice de thiols après une chute de 30 points de densité. Puis il gère sa malo avec Viniflora CiNe, ajoutée en fin de FA à 1010 de densité. Il faut deux à trois semaines pour l´ensemble des fermentations, avec un coût de production très compétitif. Le vinificateur obtiendra un vin d'une intensité aromatique explosive avec un côté rond. Et avec la malo, le vin sera stabilisé naturellement. »
D'autres synergies entre les enzymes et les levures
Œnobrands, à travers DSM, travaille depuis longtemps sur les interactions entre les produits œnologiques. Elle a ainsi mis en évidence plusieurs synergies entre les enzymes et les levures. Pour stabiliser la couleur des vins rouges, elle recommande l'utilisation séquentielle de l'enzyme Rapidase Maxifruit et de la levure Fermicru XL. « Cette enzyme présente une activité cynamil estérase qui conduit à la production d'acide coumarique qui est ensuite utilisé par la levure pour former des vinyl-phénols. Ces derniers s'associent aux anthocyanes pour former un pigment stable. Les vinyl-phénols associés aux anthocyanes ne sont pas transformés en éthyl-phénols (responsables des notes d'écurie...), en présence de Brett », indique Céline Fauveau, d'Œnobrands. La firme propose également pour les rosés le couple enzyme Rapidase Rosé et levure Fermicru Rosé. « Rapidase Rosé favorise l'extraction des précurseurs d'arôme sans influencer la couleur. Derrière, Fermicru Rosé convertit les précurseurs d'arômes. »
Un couple de levures favorise les thiols
L'IFV et Œnobrands ont testé l'association de deux souches de levures Saccharomyces cerevisiae - collection cépage sauvignon et Fermicru 4F9 - pour élaborer les vins blancs de sauvignon. « La première libère les thiols variétaux, l'autre les convertit en leur acétate, plus aromatique », explique Céline Fauveau, d'Œnobrands. Les expérimenteurs ont testé ces souches en coinoculation à 10 g/hl chacune ou en inoculation séquentielle : d'abord Collection cépage sauvignon à 15 g/hl puis, 48 h après, Fermicru 4F9 à 10 g/hl. Les vins élaborés à partir du mélange des deux souches présentent des teneurs en esters et en thiols plus élevées que les mêmes vins vinifiés avec l'une ou l'autre des deux souches seules. A la dégustation, ils sont préférés pour leur intensité au nez et leur caractère « thiol » supérieurs. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les souches sont apportées l'une après l'autre. Mais les différences sont minimes par rapport à la co-inoculation. L'IFV recommande donc plutôt la co-inoculation pour des raisons pratiques, préférentiellement sur des moûts riches en azote.