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AU COEUR DU MÉTIER

En Dordogne, chez Claude Lafaye « Le moelleux et le rosé plaisent aux jeunes »

Florence Bal - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 40

À Bergerac, le château La grande Borie produit surtout des moelleux. Ces vins, qui plaisent aux jeunes, reviennent à la mode. Mais cet engouement ne suffit pas à compenser la mévente des vins rouges et des marchés peu rémunérateurs.
RENOUVELLEMENT DU VIGNOBLE. En 2010 et 2011, Claude Lafaye a planté 5 ha de sémillon et sauvignon blanc et gris conformément au cahier des charges de l'appellation qui prévoit une densité minimale de 4000 pieds par ha.

RENOUVELLEMENT DU VIGNOBLE. En 2010 et 2011, Claude Lafaye a planté 5 ha de sémillon et sauvignon blanc et gris conformément au cahier des charges de l'appellation qui prévoit une densité minimale de 4000 pieds par ha.

LE CÔTES-DE-BERGERAC MOELLEUX représente 40 % de la production du domaine. Claude Lafaye débourbe immédiatement après le pressurage. Lorsque la densité atteint 1 014 (50 g/l de sucres), il le mute avec 13-14 g de SO2/hl, soit la moitié de ce qui se pratiquait il y a vingt-cinq ans. PHOTOS F. BAL

LE CÔTES-DE-BERGERAC MOELLEUX représente 40 % de la production du domaine. Claude Lafaye débourbe immédiatement après le pressurage. Lorsque la densité atteint 1 014 (50 g/l de sucres), il le mute avec 13-14 g de SO2/hl, soit la moitié de ce qui se pratiquait il y a vingt-cinq ans. PHOTOS F. BAL

RÉACTIVITÉ. Claude Lafaye a investi dans une embouteilleuse, une étiqueteuse et une repiqueuse d'étiquettes. Ainsi, il est très réactif et peut même produire des demi-bouteilles à la demande.

RÉACTIVITÉ. Claude Lafaye a investi dans une embouteilleuse, une étiqueteuse et une repiqueuse d'étiquettes. Ainsi, il est très réactif et peut même produire des demi-bouteilles à la demande.

Depuis deux ou trois ans, le moelleux a le vent en poupe. « Cela n'a pas toujours été le cas », souligne Claude Lafaye, propriétaire du château La grande Borie, 30 ha à Saint-Nexans, dans le Bergeracois. Il y a peu, le moelleux souffrait d'une image vieillotte. Les amateurs considéraient avec condescendance que c'était un vin de femme. Aujourd'hui, « tout comme le rosé, il est à la mode. Festif, facile à boire, les jeunes l'apprécient », continue-t-il.

Ces deux vins contribuent au renouvellement de la clientèle du château. Le moelleux représente 40 % de la production. Et le rosé, un vin tendre avec 4 g/l de sucres résiduels, est fréquemment en rupture de stock. Pourtant, Claude Lafaye a triplé la production en cinq ans, pour atteindre 190 hl. « Les époques se suivent et ne se ressemblent pas », constate-t-il.

À son arrivée en 1983, le domaine comptait 13 ha dont 8 de blanc. Il vend tout en vrac, hormis 15 000 bouteilles. « Je ne suis pas né viticulteur, je ne savais même pas tailler, raconte-t-il. Mon beau-père, René Lafon, très patient et pédagogue, m'a tout appris. Puis il m'a toujours laissé faire. »

Claude Lafaye rachète 7 ha en 1989 puis 10 en 1994 pour arriver à 30 ha, surface qu'il exploite toujours aujourd'hui. Depuis le début, il rénove le vignoble en appliquant sa règle d'or : conserver l'équilibre entre les blancs et les rouges. « Il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier », justifie-il.

Les stocks de rouge s'accumulent

De fait, à la fin des années quatre-vingt-dix, « le blanc se vendait très mal, j'en ai même perdu », confie-t-il. Si bien qu'il décide de développer les ventes en bouteilles. Il commence à livrer la grande distribution qui achète aujourd'hui près de la moitié des 150 000 cols qu'il produit par an.

À partir de 2000, il décroche un marché avec des coliseurs, ces conserveurs qui proposent des colis-cadeaux en fin d'année, comme des assortiments de foie gras et moelleux. Il écoule ainsi entre 25 000 et 30 000 bouteilles tous les ans. Depuis 2005, un négociant bergeracois vend ses bouteilles à l'export. « J'ai investi dans une embouteilleuse, une étiqueteuse et une repiqueuse d'étiquettes qui fait les gencodes. Je fais des demi-bouteilles à la demande. Je suis très réactif. Les clients le savent. » C'est sa force.

Mais tout cela ne suffit pas à compenser la mévente des vins rouges et les marchés peu rémunérateurs. Occasionnellement, il vend des vins en vrac. « Cette année, j'ai vendu sur le papier au mois de mai 120 hl de côtes-de-bergerac moelleux à un prix correct, 1 200 euros le tonneau de 900 litres. J'étais content. Ce vin devait être retiré et payé avant le 31 juillet. En réalité, je l'ai encore dans le chai. Je me suis encore fait avoir », tempête-t-il.

À ses yeux, le prix du vrac est le nerf de la guerre. « Tant qu'il se vend des tonneaux de bordeaux rouge (900 l) autour de 700 euros, le prix de la bouteille vendue en grande distribution ne peut pas augmenter, explique-t-il. Bien au contraire : il faut se battre pour ne pas baisser les prix ! Quand je réussis à négocier le col de blanc sec à 1,70 euro et le col de moelleux à 1,95 euro pour une commande de dix palettes à la GD, c'est un miracle. »

Dans le même temps, les stocks de rouge s'accumulent. Il vend encore du 2005, du 2007 et du 2009. « Je n'ai pas su communiquer autour de mon vin, notamment avec les journalistes », analyse-t-il.

En 2009, il se rend à l'évidence. Il doit revoir sa stratégie commerciale. Son objectif : développer les marchés les plus rémunérateurs, les particuliers notamment. Ces derniers ne représentent que 10 % de ses ventes. Il veut doubler cette activité en cinq ans. Ses moyens : créer une SARL pour acheter des vins afin de proposer la gamme complète des AOC de Bergerac, participer à davantage de salons et embaucher un commercial.

À l'automne 2009, il se prépare à prendre un jeune en contrat d'alternance pour deux ans, avec embauche à la clef. « Tout était calé, y compris notre participation à de nouveaux salons, mais il a fait faux bond au dernier moment », regrette-t-il, encore sous le coup. Mais cela n'entame en rien sa détermination.

À 53 ans, Claude Lafaye n'a pas d'héritier pour reprendre le domaine. Il continue toutefois d'investir. Il renouvelle le vignoble, conformément au nouveau cahier des charges de l'appellation qui prévoit une densité minimale de 4 000 pieds par ha. En 2010 et 2011, il a planté 5 ha de sémillon et sauvignon blanc et gris. En 2012, il plantera 2,5 ha de merlot et de cabernet-sauvignon. L'année suivante, ce sera de la muscadelle. Il ambitionne d'avoir un bel outil à transmettre à un successeur avant de partir à la retraite.

Et si c'était à refaire ? « Je replanterais le vignoble à 5 000 pieds/ha »

« Depuis mon arrivée en 1983, j'ai replanté 15 ha de vignes à la densité de 3 000 pieds par ha et 6 ha à 4 000 pieds par ha. Ce qui m'a permis de ne pas changer de matériel. Je réalise aujourd'hui que, dès le départ, j'aurais dû replanter à 5 000 pieds par ha et investir dans du matériel adapté à une largeur de rangs de deux mètres. Si c'était à refaire, j'aurais aussi organisé une structure commerciale plus efficace en construisant un réseau d'agents pour garder la mainmise sur les ventes, jusqu'au dernier maillon de la chaîne. J'aurais ainsi mieux valorisé les vins et conservé les marges. Cela m'aurait permis de financer davantage d'investissements. J'aurais pu investir plus tôt dans une table de tri. Là, je ne pourrai le faire que l'an prochain. J'aurais pu déménager le chai dans un espace plus vaste qui me procurerait un meilleur confort de travail. Mais la grave crise que nous connaissons, je ne l'ai vraiment pas vue venir. »

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L'EXPLOITATION

Main-d'œuvre : lui-même, deux salariés, des saisonniers

Surface : 30 ha, dont 25 en production

Appellations : Bergerac, Côtes-de-Bergerac

Cépages : sémillon, sauvignon blanc et gris, merlot, cabernet-sauvignon, cabernet-franc

Mode de taille : guyot

Densité : 2 500 à 4 000 pieds/ha

Production 2011 (estimée) : 1 300 hl, dont 500 hl de moelleux, 430 hl de rouge, 190 de rosé et 190 de blanc sec

Les ventes

150 000 bouteilles, 1 000 bibs de 5 et 10 litres, sept vins

Prix TTC départ propriété : de 5,5 à 8 euros la bouteille, 12 et 23 euros pour les bibs

120 hl de moelleux en vrac (non retirés) à 1 200 euros tonneau de 900 litres

Les résultats

CA juillet 2010-2011 : 300 000 euros

L'essentiel de l'offre

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