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DOSSIER - Transmission : L'affaire d'une vie

2. C'est fait ! « La reprise n'était pas viable sans associé »

Patrick Touchais - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 58

Gilles et Martine Barreau ont transmis leur exploitation à leurs deux fils. Le cadet avait toujours songé à la reprendre. L'aîné est venu l'aider conquérir de nouveaux marchés.
Martine, Romain, Gaétan et Gilles Barreau. Viticulteurs de père en fils au domaine de la Maretière. © P. TOUCHAIS

Martine, Romain, Gaétan et Gilles Barreau. Viticulteurs de père en fils au domaine de la Maretière. © P. TOUCHAIS

Pendant trente ans, Gilles et Martine Barreau ont vécu « correctement », comme ils le disent eux-mêmes. Sans faire de folie. Modestement. Mais en investissant régulièrement dans le matériel, dans les bâtiments, dans les vignes. À Tillières (Maine-et-Loire), dans cette petite partie de l'ouest de l'Anjou qui produit du muscadet, le couple a développé le domaine de la Maretière au fil des années. De 7 hectares au début des années quatre-vingt, l'exploitation en compte une petite trentaine en 2010.

En 2006, c'est l'heure de la retraite pour Gilles. Il cède les rênes de l'entreprise à sa femme, jusque-là salariée. L'objectif est simple. Martine doit diriger l'EARL jusqu'à la reprise par Gaétan, le fils cadet. « Depuis toujours, c'était une évidence qu'il nous succède. Tout petit, il connaissait la cave par cœur. Il savait ce qu'on avait dans les cuves, si c'était du gros-plant ou du muscadet. Il a toujours participé à la vie de l'exploitation », souligne Martine.

Et c'est dans cet esprit qu'après un bac pro Vigne et vin obtenu au lycée Briacé et quelques stages, il est embauché comme salarié en 2002. Sous la direction de son père, il travaille indifféremment dans les vignes et à la cave.

La douche froide

La route semblait donc tracée pour Gaétan. Mais le gel meurtrier d'avril 2008 met le muscadet à mal. Le domaine de la Maretière n'y échappe pas. L'année suivante, c'est la douche froide. Martine et Gilles font réaliser un audit de transmission par le CER 49. Après quelques mois de travail, les conclusions du conseiller sont sans appel : « La reprise n'est pas viable pour Gaétan. » La faute à la conjoncture. Après le gel, la pénurie de vins fait grimper les prix du vrac et des bouteilles en grandes surfaces. Les consommateurs ne suivent pas. En 2009, les cours s'effondrent pour rivaliser avec le vin de table. Or, le domaine de la Maretière vend la moitié de sa récolte au négoce. « On livre nos raisins à un vendangeoir tout près », indique Gaétan. À 40 euros l'hectolitre, la rentabilité n'est pas au rendez-vous.

« Notre entreprise fonctionne bien. C'est le prix au négoce qui ne suit pas », insiste Martine, pas encore remise des résultats de l'audit. Du volume, mais pas de valorisation. C'est sur ce point que l'exploitation doit travailler. Et pour cela, le conseiller du CER a une solution. Il faut que Gaétan trouve un associé pour développer la vente directe aux professionnels et diminuer la part du vrac.

Car Gaétan cultive un atavisme familial. Il n'a pas la fibre commerciale. Comme son père, il se sent bien dans les vignes et dans le chai. Martine assure la vente aux particuliers au caveau, mais n'a jamais prospecté car « le vin se vendait correctement ». L'exploitation ne peut plus continuer ainsi. La seule issue pour éviter son démantèlement ou pire, sa liquidation, est de trouver un associé à Gaétan capable de vendre le vin en bouteilles. Et c'est Romain, l'aîné des deux fils, qui accepte de relever le défi.

Vendeur de portes automatiques après un BTS en maintenance industrielle, Romain ne compte pas ses heures. Il n'a en ligne de mire que le chiffre d'affaires mensuel. Cette pression, il ne la supporte plus. « D'autant que j'avais mon bureau à domicile. La journée n'était jamais finie. » L'idée de s'associer avec son frère ne lui a pas été imposée. « J'avais besoin de passer à autre chose et de créer ma société. C'était une occasion à saisir. Aujourd'hui, j'ai d'autres soucis : notre chiffre d'affaires et la banque…»

« Il a fallu être souple »

En 2010, les parents décident de dissoudre leur EARL. Leurs deux fils créent la leur et rachètent des actifs de l'exploitation. Un an après la reprise, Gilles et Martine jugent la situation avec ambivalence. Ils sont satisfaits d'avoir pu transmettre une exploitation qu'ils ont développée et qui les a fait vivre pendant trente ans. « Je suis contente de ne pas voir les vignes en friche, avoue Martine. Mais il a fallu être souple. » Sous-entendu, financièrement. Pour alléger la reprise, les parents n'ont pas cédé les vignes et les louent à l'EARL de leurs fils, cogérants à part égale. « Nos parents ont fait des concessions sur la reprise, notamment sur le matériel », reconnaît Romain. C'est souvent le cas dans les reprises familiales.

Gilles et Martine restent très soucieux quant à l'avenir. « On dit qu'il faut se lancer pendant les crises », souligne, dubitative, la mère de famille. Elle voudrait tellement y croire. En tout cas, Romain y croit dur comme fer. En un an, il a déjà réussi à implanter ses vins en restauration et dans quelques supermarchés régionaux, en les démarchant un par un. « C'est un début. Il faut continuer. Ça donne de l'espoir. »

La plus grosse difficulté Un manque cruel de trésorerie

Reprendre une exploitation n'est pas chose aisée. Dans le Muscadet, le défi prend une tout autre ampleur. Chargé de développer la commercialisation en direct des vins de la propriété, Romain se heurte à un problème de trésorerie. « Il me faudrait un peu plus de moyens pour la prospection et la livraison », souligne le jeune associé de la Maretière. Pour l'heure, son action s'est bornée aux régions Pays de la Loire et Bretagne. Des terres déjà largement labourées par ses collègues et concurrents. « Mais il y a encore des places à prendre. J'ai déjà touché quelques restaurants en Mayenne et des petits supermarchés. » Romain aimerait participer à des salons, mais les prix sont prohibitifs. Quant à prospecter à l'export, l'idée a été vite évacuée. L'entreprise n'a ni les moyens de financer des voyages d'affaires, ni le temps d'en attendre les retombées. « Il faut des résultats rapides. Heureusement, pour le moment, tous mes clients me paient dans les temps. »

Cet article fait partie du dossier Transmission : L'affaire d'une vie

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REPÈRES

Les cédants : Gilles et Martine Barreau.

Situation actuelle : retraités.

Âge : 62 et 57 ans.

Successeurs : leurs fils Gaétan, 29 ans, et Romain, 32 ans.

L'exploitation : 32 ha, 28 en production, dont 22 de muscadet.

La transmission en dates

2002 : Gaétan rejoint l'exploitation en tant que salarié.

2006 : Gilles, le père, prend sa retraite. Martine, sa femme, devient gérante de l'EARL.

2009 : réalisation d'un audit de transmission. La reprise n'est pas viable pour Gaétan seul.

2009 : Romain, le frère aîné de Gaétan accepte de participer à la reprise.

2010 : Gaétan et Romain reprennent l'exploitation.

2011 : premières ventes à des supermarchés et à des restaurateurs locaux.

L'essentiel de l'offre

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