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DOSSIER - Bonnes nouvelles de nos régions

Muscadet Une montée en crus

MATHILDE HULOT - La vigne - n°282 - janvier 2016 - page 62

Reconnus en 2011, les crus de muscadet-sèvre-et-maine ouvrent de nouvelles portes aux producteurs de la région.
CHRISTOPHE ET THIERRY MARTIN, vignerons à Gorges (Loire-Atlantique), produisent des crus Gorges et Clisson.

CHRISTOPHE ET THIERRY MARTIN, vignerons à Gorges (Loire-Atlantique), produisent des crus Gorges et Clisson.

Plus de huit mille hectares, l'un des plus grands vignobles de vin blanc de France, mais un prix de vente trop bas : le « petit blanc nantais » souhaitait passer à autre chose. « Nous voulions montrer qu'il existe des muscadets de garde, des vins originaux », explique Romain Mayet, ingénieur en charge des crus communaux à la Fédération des vins de Nantes.

D'autant que la région pouvait se prévaloir d'antécédents et de traditions. Un document datant de la fin du XIXe siècle atteste « qu'on peut faire vieillir les vins trois à quatre ans en barrique et indéfiniment en bouteille, dans les bonnes années ». Et les « barriques de noce », réservées aux grandes occasions, montraient la capacité du melon de Bourgogne, cépage du muscadet, à braver le temps.

Restait à délimiter les meilleurs terroirs et à définir des règles de production. Le travail démarre dans les années 1990.

Après maints efforts, l'Inao entérine trois crus, en 2011 : Gorges, Clisson et Le Pallet. Quatre dossiers sont toujours en cours d'instruction. « Et deux autres pourraient voir le jour », ajoute Romain Mayet. Ces neuf crus sont tous en muscadet-sèvre-et-maine.

Thierry Martin exploite 22 hectares à Gorges (Loire-Atlantique). Il fait partie des pionniers qui ont cravaché pour créer les crus. Il produit 1 000 hl par an de muscadet, dont il vend 70 % directement. Il revendique deux crus, Gorges et Clisson, sur une surface de 1,5 ha pour chacun, mais son potentiel de production est plus large. « Nous y allons doucement. Nous nous fions au marché. »

Thierry Martin vend 3 000 à 3 500 bouteilles de crus par an à 10 € TTC départ caveau, contre 4 € son muscadet AC. « Le positionnement des prix a été délicat. Nous avons commencé à produire des crus dans les années 1990, alors qu'ils n'étaient pas encore officiellement reconnus. À l'époque, nous vendions le muscadet 13 francs et les crus, 50 francs le col. Il fallait faire accepter cette différence de prix ! »

Ces nouvelles appellations ouvrent des marchés et tirent la production vers le haut. « Nous n'avions pas d'importateur aux États-Unis, poursuit Thierry Martin. Deux d'entre eux nous ont démarchés après avoir découvert les crus dans un restaurant. Et nous avons pu placer un muscadet sèvre-et-maine sur lie dans la foulée. » Selon lui, les crus resteront marginaux. « Notre cheval de bataille reste les muscadets sur lie. »

Avec le recul, Thierry Martin voit un autre intérêt dans l'aventure, technique celui-là. Les crus l'ont amené à faire des essais qu'il a ensuite appliqués à l'ensemble de l'exploitation, comme le travail du sol entre les rangs.

Cet aspect est essentiel pour Jean-Jacques Bonnet. Président de l'association du cru Goulaine, il gère avec son frère le domaine Bonnet-Huteau, 40 ha en bio et biodynamie. Son premier vin, un muscadet-sèvre-et-maine sur lie, vaut 4,90 € TTC ; sa sélection de terroirs se situe entre 6 et 8 €, et son goulaine entre 10 et 15 € en fonction du millésime. En tout, le goulaine représente 5 000 à 6 000 bouteilles par an, dont beaucoup partent aux États-Unis, sur un total de 200 000.

Le travail engagé sur les crus est un formidable prétexte de ralliement entre confrères et un laboratoire de recherche et développement, d'après Jean-Jacques Bonnet. « Aujourd'hui, le cru Goulaine, c'est vingt vignerons et une cinquantaine d'hectares. Nous travaillons ensemble car on progresse plus vite en groupe. Certes, on commet des erreurs, mais on améliore la qualité des vins, collectivement. »

Pour les vignerons, cette montée en gamme était plus que nécessaire pour redorer l'image de leur région. « Des clients qui boudaient le muscadet y reviennent, observe Thierry Martin. On leur propose de goûter des crus à l'aveugle et ils peinent à deviner ce que c'est. »

« Certains consommateurs ne veulent plus entendre parler de muscadet !, renchérit Jean-Jacques Bonnet. Mais lorsqu'ils dégustent un cru, comme ce goulaine 2010 que nous avons servi en carafe lors d'une journée porte ouverte chez un caviste, ils sont tellement surpris qu'ils paient 12 € la bouteille sans rechigner. »

Cependant, compte tenu des volumes vendus, les crus ne génèrent encore qu'un petit supplément de chiffre d'affaires. Et nombre de producteurs estiment même qu'il n'est pas rentable d'en produire.

De 8 à 15 €

C'est le prix public auquel sont vendus les crus de muscadet, soit deux à trois fois le prix d'une bouteille de muscadet en grande surface. Source : producteurs

ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...

- Les volumes commercialisés en crus sont encore très faibles, quatre ans après leur reconnaissance. On parle de 5 000 hl pour une production totale de 400 000 hl, toutes appellations confondues.

- L'AOC Muscadet reste une des moins valorisées de France. L'an dernier, elle s'est vendue au prix moyen de 3,49 €/l dans les grandes surfaces et à 91,30 €/hl sur le marché du vrac.

- La superficie du vignoble a fortement chuté ces quinze dernières années. Elle est passée de 17 600 ha en 2000 à 11 800 ha en 2014, tous vins confondus. Faute de marchés, des viticulteurs ont dû arracher.

L'essentiel de l'offre

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