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DOSSIER - Transmission : L'affaire d'une vie

3. C'est fait ! « Je suis un homme comblé »

Colette Goinère - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 60

Après des années d'incertitude, Guy Caussan savoure le bonheur d'avoir pu transmettre son entreprise à son fils unique Nicolas. Il n'aurait pas supporté de voir disparaître le fruit de son travail.
Nicolas Caussan a soulagé ses parents, Christiane et Guy, en leur déclarant en 2003 vouloir reprendre l'exploitation familiale en AOC Médoc. © P. ROY

Nicolas Caussan a soulagé ses parents, Christiane et Guy, en leur déclarant en 2003 vouloir reprendre l'exploitation familiale en AOC Médoc. © P. ROY

« Vendre, cela m'aurait tué. Ma vie est ici. Je suis Médocain. Je ne suis pas attaché à ce qui vient des ancêtres mais je suis viscéralement attaché au fruit de mon travail. » Guy Caussan, 65 ans, regard franc, affiche tranquillement ses convictions. Ce viticulteur peut être rassuré. Le 1er août dernier, il a transmis le château le Tertre de Caussan à son fils Nicolas. La propriété couvre 17,86 ha en AOC Médoc, 1 000 hectolitres vendus à 90 % en bouteilles au négoce et 10 % aux particuliers.

L'histoire n'était pas écrite d'avance. Guy et son épouse Christiane ont un fils unique, lequel n'avait pas vocation à devenir viticulteur. Certes, le garçon est très attaché à la famille et il manifeste un goût pour le vin. Mais ses études d'ingénieur l'amènent à travailler dans le nord de la France, puis à intégrer CNB (Construction navale Bordeaux), un chantier naval spécialisé dans la construction de yachts de luxe.

Changement de cap

Pendant une bonne dizaine d'années, Guy fait l'autruche, préférant ne pas aborder l'avenir de la propriété. En 2003, Nicolas décide de prendre un autre cap. Son métier, il en a fait le tour. Le goût de l'indépendance le taraude. Et puis, il aimerait se rapprocher davantage de ses racines. Il fait part à ses parents de son projet de reprendre l'exploitation. Pas de quoi étonner son père : « Je me disais qu'avec les contraintes de la hiérarchie dans une entreprise, un jour ou l'autre, le virus de l'indépendance le prendrait. »

Pour préparer au mieux sa reconversion, il suit en formation continue les cours de l'Énita (École nationale d'ingénieurs des travaux agricoles) de Bordeaux pour devenir ingénieur tout en étant salarié de CNB. En 2007, il démissionne et devient salarié de la propriété pendant plusieurs mois. Dans la foulée, il s'inscrit à l'ISVV, l'Institut des sciences de la vigne et du vin, pour décrocher un diplôme national d'œnologie.

Les relations entre père et fils sont sans accrocs. Le viticulteur apprend à son fils les gestes du métier, comme l'art de tailler la vigne. « Quand on taille, il faut toujours anticiper et penser à ce que l'on veut que la vigne devienne », affirme le père. « Nous lui avons appris à rouler une barrique, à faire les remontages. Mais surtout, il a compris que nous faisions un métier que l'on aimait », se plaît à rappeler Christiane, sa mère.

Cerise sur le gâteau, la théorie apprise par Nicolas corrobore le savoir-faire de son père, un autodidacte qui, en termes d'études, reconnaît s'être contenté du « minimum syndical ».

« Nous avons confronté la théorie à la pratique. C'est là que je me suis rendu compte que je travaillais bien dans ma façon de conduire la vigne et de vinifier », explique, non sans fierté, Guy Caussan. Ainsi, les deux hommes tombent d'accord sur la conduite des fermentations, la maîtrise des températures, les méthodes de remontage… Chacun selon son caractère. Le père se reconnaît « brouillon », il travaille au « feeling ». Le fils, lui, est « méthodique et organisé ».

Peu à peu, Guy Caussan lâche du lest. Son fils prend la propriété en main. Et il n'est pas mécontent de le voir prendre la relève. « Je ne supporte plus les contraintes administratives liées à mon métier. Aujourd'hui, tout est traçabilité. C'est très contraignant. Nicolas est né avec. Ça ne lui pose aucun problème. Quand je l'ai vu arriver la première fois dans le cuvier, avec un cahier sous le bras, ça m'a fait drôle. »

Sans douleur

En parallèle, Guy et Christiane organisent la transmission de leur exploitation. Les vignes sont en très bon état. Guy n'a pas de crédit sur le dos. Il a un partenariat avec un négociant depuis vingt-cinq ans. « Il ne m'a jamais lâché », confie-t-il. Le couple va chercher des conseils à la chambre d'agriculture de Gironde, laquelle les met en contact avec un avocat spécialisé dans les transmissions d'entreprises. Peu à peu, un scénario prend corps. Guy Caussan reste propriétaire des vignes. Il les loue au travers d'un bail à long terme à une EARL crée en juillet 2011 dont Nicolas est le gérant majoritaire et dont les parents ne détiennent que 5 % des parts chacun. Guy cède son matériel pour une valeur de 130 000 euros à son fils, lequel l'apporte à l'EARL.

L'évaluation du matériel (deux tracteurs, une machine à vendanger, les pulvérisateurs, pressoir et quinze cuves en acier revêtu) réalisée par un commissaire aux apports coûtera 2 000 euros. Les frais d'avocat s'élèvent à 4 000 euros et les frais de notaire à 5 000 euros. Au final, la transmission s'est déroulée sans douleur.

Depuis le 1er août, Guy est retraité. Aux dernières vendanges, il s'est contenté de conduire, tranquille, la machine à vendanger. Pas d'ordre à donner aux vendangeurs. Son fils était le chef d'orchestre à la manœuvre pour sa première vendange en tant que chef d'exploitation. Ce dernier a des projets plein la tête : lancer un vin très haut de gamme sur un petit volume (10 hl), augmenter la vente aux particuliers et rénover les bâtiments de la propriété.

Guy approuve tous ces projets. Il va continuer à donner « des coups de mains » à son fils lors des « coups de bourre », tout en « prenant du champ ». Mais attention, Guy et Christiane ont encore du pain sur la planche. Sur la commune de Soulac (Grionde), ils conservent une ferme. Une quinzaine de vaches allaitantes réclament qu'on s'occupe d'elles. Au quotidien.

La plus grosse difficulté « Je n'en ai pas rencontré »

« Rien n'a été difficile pour moi, se réjouit l'heureux retraité. J'ai toujours su que Nicolas voudrait être indépendant un jour. Je n'ai pas été étonné qu'il revienne à la propriété. Il y a une grande connivence entre nous. Nous sommes sur la même longueur d'onde. Je pense que je lui ai transmis le fait qu'on ne peut pratiquer ce métier qu'avec bonheur, parce qu'il faut accepter le fait que la nature commande. Dans le fond, nous avons tous les deux la chance de faire ce que nous aimons vraiment. Aujourd'hui, Nicolas me consulte sur tout. Mais je n'interviens plus dans la prise de décision. Mon seul regret ? J'aurai préféré lui transmettre l'exploitation dans de meilleures conditions économiques. Nous ne sommes qu'à 1 800 euros du tonneau de 900 litres. »

Cet article fait partie du dossier Transmission : L'affaire d'une vie

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La transmission en dates

2003 : Nicolas, le fils de Guy Caussan, s'inscrit en formation continue à l'Énita de Bordeaux.

2007 : Nicolas quitte son emploi pour devenir salarié sur l'exploitation de son père.

31 juillet 2011 : création d‘une EARL dont Nicolas Caussan, 38 ans, est le gérant et l'actionnaire majoritaire.

REPÈRES

Le cédant : Guy Caussan.

Situation actuelle : retraité depuis le 1er août.

Âge : 65 ans.

Successeur : Nicolas, son fils.

L'exploitation : 17, 86 ha en AOC Médoc.

L'essentiel de l'offre

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