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DOSSIER - Transmission : L'affaire d'une vie

2. C'est fait! « Une heureuse issue »

Florence Jacquemoud - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 62

À Nérac, en Lot-et-Garonne, Sabine et Patrice Sterlin ont transmis à leur fille cadette Laetitia et à leur gendre Mickaël leur propriété du château du Frandat. Pourtant, au départ, ils étaient partis pour le vendre.
Mickaël et Laetitia Le Biavant au côté de Sabine et Patrice Sterlin, les parents de la jeune femme, devant le château du Frandat, à Nérac (Lot-et-Garonne). © C. BOSSY

Mickaël et Laetitia Le Biavant au côté de Sabine et Patrice Sterlin, les parents de la jeune femme, devant le château du Frandat, à Nérac (Lot-et-Garonne). © C. BOSSY

« En 2002, lorsque nous avons décidé de transmettre notre propriété, nous avons réuni nos quatre enfants pour leur demander si l'un d'eux était intéressé, se souvient Patrice Sterlin. Comme aucun ne l'était, nous l'avons mise en vente. Mais la conjoncture était défavorable et notre bien difficile à vendre.»

Situé à un kilomètre de Nérac, sur l'aire de l'AOC Buzet, le château du Frandat possède 28 hectares de vignes mais aussi 32 hectares de pruniers d'Ente et 16 hectares de céréales. Le château vinifie et vend toute sa récolte en bouteilles. Il produit 180 000 cols de Buzet rouge et rosé par an, ainsi que 4 000 bouteilles de floc de Gascogne et un peu d'armagnac. Il vend 10 % des volumes aux particuliers, 80 % par l'intermédiaire de grossistes et 10 % à l'export.

« Un projet de couple »

« Lorsque nous avons repris l'exploitation il y a trente ans, elle était à l'abandon et nous avons mis vingt-cinq ans à la redresser, poursuit Patrice Sterlin. Nous ne voulions pas la brader. Après une vente qui a failli se conclure, nous avons continué l'exploitation. Jusqu'au jour où notre fille cadette Laetitia nous a appris qu'elle avait l'intention de prendre notre suite.» Ingénieure en agriculture spécialisée en agroalimentaire, Laetitia Sterlin était cadre depuis cinq ans dans de grandes entreprises lorsqu'elle a choisi de s'installer sur la propriété. Une décision prise avec son mari, Mickaël Le Biavant, alors agent immobilier. « Nous travaillions tous les deux à Paris, mais nous étions fatigués de la vie parisienne, témoigne-t-elle. En 2006, nous avons fait le projet de reprendre l'exploitation ensemble. Je savais qu'elle fonctionnait bien et à quoi m'attendre en arrivant, mais je ne serais jamais revenue seule. Il s'agissait vraiment d'un projet de couple. »

Laetitia et Mickaël partent alors en formation à Bordeaux, elle pour passer un diplôme d'aptitude à la dégustation à la faculté d'œnologie, lui pour suivre une formation sur les techniques de vente du vin à la Chambre de commerce et d'industrie. Parallèlement, le CER France d'Agen réalise une importante étude juridique et financière afin d'envisager la transmission dans les meilleures conditions.

GFA familial

« J'avais également pris contact avec un conseiller juridique et fiscal d'Albi, spécialisé dans les questions agricoles, précise Patrice Sterlin. Mais nous avions déjà en tête le montage que nous voulions réaliser. Laetitia est notre héritière naturelle, nous lui avons donc transmis l'exploitation et elle l'a mise à disposition de l'EARL qu'elle a créée avec Mickaël. »

Les terres appartiennent à un GFA familial dont parents et enfants possèdent les parts. Ce GFA a accordé un bail de trente ans à Laetitia qui le met à disposition de l'EARL. « Notre fille a par ailleurs racheté les bâtiments d'exploitation en nom propre (chai, hangar, hall de vente), tandis que le matériel agricole et de vinification, ainsi que le stock, ont été repris par l'EARL. Cette dernière paye ainsi une redevance annuelle à Laetitia, qui s'acquitte, pour sa part, du fermage pour les terres. »

C'est ainsi qu'à l'été 2008, le jeune couple succède aux parents de Laetitia, un an et demi après son arrivée sur la propriété. « Même si nous avions quelques notions grâce à nos formations, nous avons tout appris sur le terrain, reconnaissent Laetitia et Mickaël. La vinification, ça ne s'apprend pas dans les livres. Heureusement, nous avons bénéficié des conseils de Sabine et Patrice. Mais nous pouvons aussi compter sur l'œnologue qui travaille ici depuis vingt ans et sur nos deux salariés, affectés à la vigne et au verger. Le savoir-faire a été bien transmis et nous sommes aujourd'hui opérationnels pour la vinification. En ce qui concerne les ventes, nous nous maintenons bien, même si le contexte est difficile. »

Laetitia et Mickaël ont gardé les clients de Patrice. Mais ils ont aussi agrandi et aménagé un lieu de vente sur la propriété où ils accueillent la clientèle privée. Un marché qu'ils développent au même titre que les partenariats avec des prestataires locaux pour l'accueil de groupes.

« La première année, nous étions toujours en train de courir. Aujourd'hui, nous parvenons à anticiper, précise Laetitia. La vie est plus difficile qu'en étant salarié, et plus stressante, du fait des responsabilités. Mais nous n'avons plus de chef et nous n'avons aucun mal à nous lever le matin. Nous sommes vraiment heureux d'avoir franchi le pas. »

« Transparence totale »

Patrice et Sabine se félicitent également que tout se soit bien passé avec leurs trois autres enfants. « Cela a demandé un certain renoncement de leur part, avoue Patrice, mais ils étaient contents que la propriété reste dans la famille. La réussite d'une transmission dans le cadre familial repose sur une transparence totale, afin que chacun soit au courant du montage juridique choisi. » « Il faut aussi mettre de la distance entre parents et enfants », souligne Sabine, même si Patrice regrette d'habiter aujourd'hui trop loin, à Compiègne, dans l'Oise, pour pouvoir venir donner un coup de main de temps à autre.

En ce qui concerne l'image de la propriété, le jeune couple tient à garder un lien avec le vigneron retraité, dont le nom reste connu dans le milieu viticole. Ainsi, les étiquettes des bouteilles sont encore, pour le moment, signées « Sterlin-Le Biavant ».

La plus grosse difficulté « Des banquiers trop frileux »

« Les banquiers ont été très frileux concernant ce projet de transmission d'une propriété viticole qui disposait de trois ans de stocks, indique Patrice Sterlin. Heureusement, le centre de gestion d'Agen, auquel nous avions fait appel pour la réalisation des études d'installation, nous a bien conseillés. » Laetitia et Mickaël ont ainsi mis les banques en concurrence. Par chance, ils ont aussi bénéficié d'aides de l'Union européenne (projet Leader) et du conseil général du Lot-et-Garonne pour l'agrandissement et l'aménagement de leur boutique de vente dans le cadre d'un programme de valorisation des circuits courts.

Cet article fait partie du dossier Transmission : L'affaire d'une vie

Consultez les autres articles du dossier :

La transmission en dates

2002 : mise en vente de la propriété, faute de successeur parmi les enfants.

2006 : Laetitia, la fille de Sabine et Patrice Sterlin, décide finalement de reprendre l'exploitation avec Mickaël, son mari.

2007 : Laetitia passe un diplôme universitaire d'aptitude à la dégustation des vins et Mickaël se forme à la vente du vin.

2008 : les parents signent un bail de trente ans avec leur fille pour l'exploitation des terres. Laetitia et Mickaël créent une EARL qui rachète l'outil de production.

Fin 2008 : Sabine et Patrice Sterlin déménagent à Compiègne.

REPÈRES

Les cédants : Sabine et Patrice Sterlin.

Situation actuelle : retraités à Compiègne, dans l'Oise.

Âge : 67 ans.

Successeurs : Laetitia et Mickaël Le Biavant, leur fille et gendre.

L'exploitation : 60 ha, dont 28 de vignes.

L'essentiel de l'offre

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