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DOSSIER - Transmission : L'affaire d'une vie

2. C'est fait! « Nous ne voulons pas morceler le domaine »

Aude Lutun - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 66

Éric et Bruno Vesselle viennent d'achever la succession de leur père à 54 et 43 ans. La leur se profile déjà. Avec pour objectif de maintenir l'unité du domaine.
Éric et Bruno Vesselle Cogérants et exploitants du domaine Georges Vesselle (Marne).

Éric et Bruno Vesselle Cogérants et exploitants du domaine Georges Vesselle (Marne).

Chaque vignoble a ses vignerons emblématiques. Georges Vesselle, qui s'est éteint en 2009 à l'âge de 86 ans, était de ceux-là. Ingénieur agronome et précurseur talentueux, il a dirigé les vignobles Mumm, Perrier-Jouët et Heidsieck Monopole de 1956 à 1991. Carrière qu'il a menée de front avec son métier de viticulteur.

Succéder à un tel personnage pourrait sembler difficile. Pas pour Bruno, son plus jeune fils. « Mon père avait une forte personnalité mais il écoutait les autres, résume-t-il. Il fallait juste bien préparer son argumentaire ! Quand je suis revenu sur l'exploitation, je n'ai surtout pas cherché à l'imiter. Il faut rester naturel. Mon père adorait échanger et recevait beaucoup. Mes parents et leurs invités ont souvent “refait la Champagne” autour d'une table. Enfant, c'était passionnant à écouter… »

À la tête de 4 ha en 1951, Georges Vesselle a laissé à ses cinq enfants un domaine de 17 ha à Bouzy, dans la Marne. La transmission s'est faite par étapes. Seuls les deux plus jeunes ont souhaité reprendre. Éric, 54 ans, s'est installé en 1980, suivi par Bruno, 43 ans, en 1991.

Donation

« Mes parents ont commencé à organiser leur succession dans les années quatre-vingt-dix, en créant deux SCEV (société civile d'exploitation viticole), détaille Bruno Vesselle. Les cinq enfants sont associés dans la première SCEV qui exploite 5 ha. La seconde SCEV exploite 12 ha, avec Éric et moi pour seuls associés. Mes parents ont aussi créé une société de négoce, la SARL Diffusion Georges Vesselle, qui achète les raisins des 17 ha de vigne. »

En 1997, Éric et Bruno perdent leur mère. Leur père créé une indivision professionnelle qui comprend les bâtiments et les 17 ha de vignes. « Il voulait préserver l'unité du domaine, poursuit Bruno. Mes parents auraient aimé transmettre le foncier, mais ils étaient bloqués par le montant des plus-values. Faire une donation aurait nécessité de vendre plusieurs hectares pour payer les droits. »

En 2005, l'occasion d'effectuer enfin cette donation se présente. L'article 41 du code général des impôts introduit l'exonération des plus-values professionnelles, à condition que le bien soit donné en pleine propriété, qu'il soit conservé pendant au moins cinq ans et qu'il soit géré par les descendants du donateur. Les vignes étant en indivision professionnelle, Georges Vesselle les transmet à ses cinq enfants. Cette nouvelle indivision loue les vignes aux deux SCEV avec un bail de vingt-cinq ans.

Suite au décès des parents, la SARL Diffusion Georges Vesselle est transmise à Éric et Bruno. Chaque frère a son domaine de compétence. Éric s'occupe des vignes et de la vinification, Bruno du commerce. Les assemblages, moment privilégié en Champagne, se font en commun. 180 000 à 190 000 bouteilles de champagne sortent de leurs chais chaque année, dont un tiers part à l'export. Sur le marché français, la marque est présente sur tous les circuits, exceptée la grande distribution. Si la transmission de l'exploitation s'est bien passée pour la première génération, la suivante pourrait être plus complexe, avec le nombre croissant de personnes concernées et surtout la hausse du prix du foncier.

Transformer l'indivision

Bruno a trois enfants âgés de 17, 15 et 11 ans. Éric en a deux de 18 et 11 ans. Leurs choix professionnels ne sont pas encore arrêtés. Mais le frère aîné d'Éric et Bruno, qui a 58 ans, commence logiquement à réfléchir à transmettre son patrimoine, ce qui pourra avoir des répercussions pour l'une des SCEV et pour le foncier. « On sort tout juste de la succession de notre père qu'il faut penser à la nôtre », constate Éric Vesselle.

La famille réfléchit à transformer l'indivision en GFV (groupement foncier viticole), dans lequel le vote s'établirait au prorata du nombre de parts détenues. « Pour l'instant, tout se passe bien, car l'entente est bonne entre nous cinq, précise Bruno Vesselle. L'indivision présente toutefois un inconvénient : chaque co-indivisaire a le même poids dans les décisions, quelle que soit sa part. » Fidèles au souhait de leurs parents, les deux frères aimeraient que le domaine perdure sans être morcelé.

« Nous savons qu'il faut anticiper, mais que faire quand vos enfants sont encore jeunes ? s'interroge Éric. Je ne suis pas trop inquiet pour la génération de nos enfants. Ils sont treize, avec nos neveux et nièces, et ils ont bien connu nos parents. Ils sont attachés au domaine familial. Je pense que cela sera plus compliqué avec la génération d'après, qui sera moins liée à Bouzy. »

La plus grosse difficulté Le prix des vignes freine les transmissions

Bruno et Éric Vesselle exploitent 17 ha de vignes, qu'ils détiennent en indivision professionnelle avec leurs deux sœurs et leur frère. Ils sont en Champagne, où l'hectare de vigne se vend un million d'euros. La plus grosse difficulté à surmonter lors d'une transmission ? « C'est le problème du prix des vignes, répond Bruno. Apprendre le métier et développer des marchés requiert de l'énergie, mais c'est réalisable. Le foncier, c'est autre chose. Dans les régions qui vont bien, il vaut cher ; ailleurs, les vignerons ne trouvent pas d'acquéreurs. Nous avons eu la chance de bénéficier d'une fenêtre de tir en 2005 avec l'article 41 du code général des impôts (voir article). Mais le problème reste entier pour les générations suivantes. Nous louons les vignes en métayage au quart, ce qui génère des revenus intéressants pour notre frère et nos deux sœurs qui ne sont pas sur le domaine. Pour nous, le risque est limité d'avoir à racheter leurs parts. Mais à moyen terme, l'un de nos neveux ou nièces ayant bénéficié d'une donation pourrait avoir envie de vendre sa part. Il sera difficile d'en racheter beaucoup. »

Cet article fait partie du dossier Transmission : L'affaire d'une vie

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REPÈRES

Les exploitants : Éric et Bruno Vesselle.

Situation actuelle : cogérants de deux SCEV qui exploitent les terres d'une indivision familiale.

Âge : 54 et 43 ans.

L'exploitation : 17 ha, 180 000 à 190 000 bouteilles par an.

La transmission en dates

1980 : installation d'Éric.

1986 : création de la SCEV du domaine Georges Vesselle (5 ha).

1991 : installation de Bruno.

1993 : création de la SCEV Groupe Georges Vesselle (12 ha).

1997 : décès de la mère d'Éric et de Bruno, création de l'indivision professionnelle incluant les bâtiments et les vignes.

2005 : Georges Vesselle transmet l'indivision professionnelle à ses cinq enfants, dont Éric et Bruno, les deux exploitants.

2009 : décès de Georges Vesselle.

2011 : réflexion sur l'intérêt de transformer l'indivision en GFV (groupement foncier viticole).

L'essentiel de l'offre

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