À la retraite depuis janvier 2011, Jean Viennet ne manque pas d'occupations ! Avec sa femme Christine, céramiste reconnue, ils ont ouvert il y a quatre ans des chambres et une table d'hôtes au château de Raissac, aux portes de Béziers, dans l'Hérault. Sur ce domaine qui appartient depuis près de deux cents ans à sa famille, Jean accueille les visiteurs et se met volontiers aux fourneaux pour leur préparer des petits plats. « Je suis encore présent sur l'exploitation, explique-t-il. Quand j'ai développé la vente en bouteilles dans les années quatre-vingt, j'ai constitué une clientèle de cavistes et je continue à en livrer une partie. Mais ce n'est plus moi qui gère. J'ai transmis les rênes à mon fils Gustave en 2006. »
Modernisation
Ce dernier est revenu en 2000 sur l'exploitation de son père, comme salarié. Son bagage : un master de commerce international suivi d'une formation en viticulture et en œnologie, ainsi que plusieurs stages. « À cette époque, je travaillais avec mon frère Luc, raconte Jean Viennet. Mais en 2002, ma mère a fait le partage de la propriété. Luc a alors repris une autre propriété familiale. » Après le partage, Jean se retrouve seul exploitant, avec son fils parmi ses six salariés. La situation économique est délicate. « J'ai commencé à travailler avec mon père qui était négociant en vins. En 1974, j'ai repris le domaine, jusque-là géré par un régisseur. En trente ans, j'ai porté la surface des vignes à 95 ha, revu l'encépagement et modernisé la cave, où la vinification s'effectuait encore dans des foudres comme au XIXe siècle. Toutes ces mutations ont été financées en grande partie par des emprunts, que nous traînons encore aujourd'hui », détaille Jean, très fier d'avoir été parmi les premiers à vendanger à la machine et à conduire les vignes sur fil.
En 2006, la perte d'un débouché important sur le marché anglais dégrade définitivement la situation financière. Pour pouvoir lancer de nouveaux projets, il faut rassurer les banques et renégocier les prêts. Jean et Gustave estiment que c'est le bon moment pour changer de pilote.
Un même regard sur le métier
« Nous avons créé une SCEA. J'ai confié 60 % des parts à mon fils et j'en ai gardé 40 %, pour rester solidaire des dettes », précise le père de famille. « De mon côté, j'ai accepté la mission », souligne Gustave, qui, depuis, bataille ferme avec sa femme Marie pour redresser l'exploitation. « Les conditions de reprise n'étaient pas très favorables, mais c'est formateur », ajoute-t-il.
Depuis onze ans Jean et Gustave travaillent main dans la main. Ils déjeunent ensemble le plus souvent possible pour discuter des affaires du domaine. « J'ai eu le temps de transmettre à mon fils un certain regard sur la vigne et le vin. Nous partageons un même goût du métier, de la convivialité. Mais ce n'est pas avec moi qu'il a appris à gérer une entreprise. Sur ce plan-là, il a une bien meilleure formation ! » reconnaît Jean. De son côté, Gustave a eu le temps d'affiner sa connaissance du domaine. « Avant la reprise, j'avais commencé à amorcer des évolutions. À partir de 2006, j'ai dû prendre très rapidement des décisions radicales », révèle-t-il.
Gustave a resserré les boulons et, en un an, les coûts ont baissé de 30 %. Pour réduire les charges, il licencie. Il ne reste plus que cinq salariés. Parallèlement, il a concentré les investissements sur le commercial. « J'ai tout remis à plat. J'ai commencé par créer la marque Domaine de Raissac, tout en améliorant les vins et en restructurant la gamme. Les ventes en bouteilles se sont améliorées et les marges aussi. De 200 000 cols par an, nous sommes remontés à 300 000 cols et nous progresserons encore dans les années à venir », espère Gustave, qui mise sur l'export pour arriver à vendre 400 000 cols d'ici 2020.
Sur les 4 000 hl produits, 56 % sont vendus en bouteilles. Le domaine reste dépendant des cours du vrac dont il a subi la baisse ces dernières années. « La SCEA reste fragile et manque de fonds propres », remarque Gustave.
Les terres et le chai sont détenus par un GFA familial dont la SCEA est fermière. « J'ai dû arriver à 60 ans pour hériter de ces biens, je ne compte pas faire attendre mes enfants jusqu'au même âge », affirme Jean, qui prévoit de leur transmettre des parts du GFA dans les années qui viennent.
« Tous les efforts entrepris sur l'exploitation ne suffiront pas à eux seuls à résorber l'endettement », constate-t-il avec lucidité. Le domaine compte 55 ha de terres agricoles qui ne sont pas plantées. « Les vendre pourrait être une solution pour recapitaliser. Nous pourrions aussi réduire un peu la surface des vignes, relève Jean. La réflexion est en cours au sein de la famille. Nous devons trouver comment assurer l'avenir de l'exploitation, l'entretien du château et envisager une modalité de partage satisfaisant pour Gustave, mais aussi pour sa sœur Cécile. »
Les difficultés actuelles n'entament pas le caractère naturellement optimiste du père. « C'est indispensable pour construire dans la durée, certifie-t-il. La viticulture est un métier qui ne peut être fait que par des paysans attachés à leur terre. Chaque génération n'est qu'un maillon d'une chaîne qui ne doit pas s'interrompre. »
La plus grosse difficulté Dégager du temps libre
À la retraite depuis janvier 2011, Jean Viennet n'a pas encore vraiment ralenti son rythme d'activité sur l'exploitation, mais il espère y parvenir dans les deux ans qui viennent. « Je ne bats pas en retraite, précise t-il. Je contre-attaque ! Je compte bien arriver à dégager enfin du temps pour des activités personnelles. Jusqu'à présent j'étais plutôt un peintre du dimanche. J'ai envie de me consacrer librement à la peinture. Je me sens dans la peau d'un jeune artiste en devenir. Je ne suis pas pressé de gagner en maturité. J'ai toujours pensé que je serai célèbre le jour où je mourrai. Alors autant ne pas arriver trop vite à la célébrité ! », affirme-t-il avec humour.