Christiane et Fernand Meyer se souviendront longtemps du vingt-troisième anniversaire d'Aurélie, leur fille unique. C'était le 22 octobre 2005. Ce jour-là, elle leur annonce qu'elle souhaite leur succéder à la tête de leur exploitation située à Sigolsheim, près de Colmar (Haut-Rhin).
Il n'en avait pas été question jusque-là. Christiane était persuadée qu'un jour, il faudrait vendre. Seul Fernand y croyait secrètement. « Notre fille nous a toujours aidés dans les vignes. Mais nous ne l'avons pas influencée dans le choix de ses études », explique-t-il.
Fernand et Christiane sont à la tête d'un domaine de 6,3 ha, dont 3 en propriété, qui réalise bon an mal an un chiffre d'affaires de 280 000 euros HT. Aurélie est diplômée de l'École supérieure de commerce de Grenoble, option marketing. Mais la perspective d'être libre de mettre en œuvre ses idées sur l'exploitation la décide.
Fernand et Christiane l'embauchent alors pendant six mois en contrat saisonnier. Ils signent ensuite avec elle un contrat de professionnalisation. Elle a ainsi accès à une formation par alternance au Centre de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) de Rouffach. « On n'apprend pas les mêmes choses à l'école et à la maison, commente Aurélie, 29 ans aujourd'hui. Le soir, en rentrant, nous avons souvent fait la part des choses entre une certaine vision de la viticulture et la réalité que nous avions sous les yeux. »
Six mois de réflexion
Petit retour en arrière. Fernand est salarié quand il crée le domaine à partir de rien en 1979. En 1984, il devient viticulteur à plein temps, en nom propre. Christiane est alors conjointe d'exploitation. En 1991, Fernand crée l'EARL Meyer-Krumb en cogérance avec sa femme. En 1993, il opte pour le statut de salarié non exploitant de l'EARL dont il détient 44 % des parts. Avec ses 56 %, Christiane reste la seule gérante. Un tel montage permet de ne payer qu'une fois la MSA, de cotiser pleinement pour la retraite de Christiane et de ne pas avoir à rembourser la dotation jeunes agriculteurs si elle venait à quitter les commandes du domaine avant dix ans.
Pour intégrer leur fille, Fernand et Christiane prennent conseil auprès de la chambre d'agriculture et de leur comptable. Au bout de six mois d'étude et de réflexion, Christiane abandonne par donation à sa fille 5 % de ses parts dans l'EARL alors que Fernand lui donne 41 % des siennes.
Le couple lui fait don du logement qui occupe l'étage du bâtiment d'exploitation et de la moitié de ses vignes, soit 1,5 ha, dont il garde l'usufruit. Enfin, Fernand lui octroie 25 % des parts qu'il possède dans la SCI créée en 2000 avec un collègue lors de la construction d'un hangar de stockage du matériel de 100 m2.
« J'étais dans la meilleure position pour transmettre, observe Fernand. Christiane doit conserver la gérance en vue de sa retraite. L'EARL lui verse de gros salaires pour cumuler des points. » De son côté, Christiane avoue qu'elle aurait eu du mal à céder autant et si tôt à sa fille. « Même si le transfert de propriété ne change rien dans notre manière de fonctionner, il y a un seuil psychologique à passer, dit-elle. Car une fois la transmission effectuée, on ne peut plus revenir en arrière. Garder la majorité des parts de l'EARL me rassure. »
Maintenant que le premier pas est franchi, le couple a le sentiment d'avoir fait le bon choix. « Il n'était pas concevable qu'Aurélie paye pour l'outil de travail. Si cela avait été le cas, il aurait fallu mettre la clé sous la porte », ajoute Christiane. Le couple a aussi voulu profiter des règles actuelles sur la transmission du patrimoine. « Qui sait comment la loi va évoluer ? » s'interroge-t-il. Le recul de l'âge de la retraite fait d'ailleurs bondir Fernand. « Obliger des anciens souvent dépassés dans le monde économique actuel à prolonger leur activité est un non-sens. Une structure comme la nôtre doit être transmise rapidement pour laisser le pouvoir de décision à la nouvelle génération. »
Y penser à partir de 55 ans
Aurélie a songé à s'installer. Mais elle a fini par garder un statut de salariée pour ne pas perdre les avantages qui y sont liés, comme le congé maternité dont elle a déjà profité, ayant deux fils. Elle intervient essentiellement à la vente et au bureau. Maîtrisant l'informatique, elle a réalisé une version électronique du cahier de caisse que Christiane tenait jusque-là manuellement.
Aurélie a obtenu son diplôme de dégustatrice experte en 2009. Fernand et Christiane terminent d'investir dans un nouveau bâtiment qui comprend une réception de raisin, leur logement et deux gîtes. « C'est une manière de nous diversifier et ce sera une activité qu'Aurélie pourra facilement gérer », jugent-ils.
À 57 et 54ans, ils ont le sentiment que la transmission est bien engagée. « Il faut y penser à partir de 55 ans », estiment-ils. Les prochaines échéances sont pour 2015, pour la retraite de Fernand, puis 2019 si Christiane attend jusqu'à 62 ans pour demander la sienne. Alors, Christiane donnera probablement ses vignes (1,5ha) à Aurélie. Mais rien n'est encore décidé sur les conditions de transmission de l'EARL. L'idée est de réaliser une seconde donation. « Mais nous manquons de visibilité. Nous aviserons en fonction de l'évolution de la législation », expliquent les parents.
La plus grosse difficulté « Le travail physique »
« Le défi majeur de cette reprise se posera quand je ne serai plus là pour m'occuper des vignes, relève Fernand Meyer. Ce travail présente un côté physique qu'Aurélie aura du mal à assumer. Elle n'a pas le gabarit pour conduire le tracteur ou soulever de lourdes charges. Aujourd'hui, nous ne savons pas quelle sera la solution retenue. Je doute que l'exploitation ait les moyens d'embaucher un salarié. Pierre-Emmanuel, mon gendre, est salarié dans l'industrie. Il pourrait revenir, mais acceptera-t-il de tirer un trait sur les 35 heures et sur cinq semaines de congés payés ? La vinification sera sans doute moins problématique. Cependant, cela ne passionne pas Aurélie. Mais elle est prête à s'y mettre en 2012. »