Tournez les manivelles… une pressée à l'ancienne fait revivre le temps d'un jour le vieux pressoir. Ce dernier fonctionne avec un système de transmission par engrenages (en haut à droite). En version mobile (en bas à droite), le pressoir châtillonnais s'attelait à un cheval pour être déplacé d'un vigneron à l'autre. © A. BOUHÉLIER
« Une période intéressante dans l'histoire du perfectionnement des pressoirs est celle où parut le pressoir Lemonnier », affirme Claude Ladrey dans l'édition de 1881 de son ouvrage « L'art de faire le vin ». Encore dénommé pressoir châtillonnais, il fait partie de ces modèles peu encombrants et peu coûteux, apparus au XIXe siècle, avec la révolution industrielle.
Accessibles aux petits propriétaires, ils entraînent la disparition des pressoirs collectifs de villages, qui sont restés pendant des siècles d'imposantes machines en bois appartenant aux plus fortunés et nécessitant une main-d'œuvre nombreuse.
C'est à Châtillon-sur-Seine, petite bourgade du nord de la Côte-d'Or, qu'Amand Lemonnier installe, vers 1830, ses ateliers de construction mécanique. Dans la région, la métallurgie a le vent en poupe. Le sous-sol est riche en minerai de fer.
Homme habile et ingénieux, Amand Lemonnier entend les besoins des vignerons. Le vignoble est en pleine expansion mais il manque de bras. L'arrondissement de Châtillon compte alors plus de 2 500 ha de vignes. Les secteurs proches, comme ceux des Riceys (Aube) ou de Chablis (Yonne), connaissent la même situation. Pourquoi ne pas appliquer la mécanisation au monde viticole ? En 1848, il dépose un brevet pour un pressoir d'un nouveau genre : le pressoir châtillonnais.
Dans ce modèle très performant, deux ouvriers étaient à la manœuvre, actionnant chacun une manivelle située de part et d'autre du pressoir. Ils faisaient tourner ces manivelles et, par un jeu d'engrenages et de pignons, le mouvement était transmis à une énorme roue dentée, située sous le pressoir, solidaire de la vis. Cette vis, en tournant, faisait descendre l'écrou du pressoir, écrasant le raisin.
Une pluie de médailles d'or et de premiers prix
« C'est certainement l'instrument de ce genre le plus parfait, il réunit la triple économie d'emplacement, de main-d'œuvre et de temps », souligne la Société impériale d'agriculture. Le pressoir châtillonnais s'affirme très vite comme un des meilleurs pressoirs mécaniques de la première génération. Amand Lemonnier perfectionne constamment ses modèles et dépose de nouveaux brevets. Il fabrique en petites séries des pressoirs personnalisés, fixes ou mobiles. Avec ses pressoirs ambulants, une nouvelle activité apparaît, celle de maître de pressoir, un prestataire de service qui se déplace de cave en cave.
En 1865, Amand Lemonnier s'associe à Amédée Nouvion. Des Expositions universelles de Paris aux foires de province, leur pressoir obtient une notoriété nationale, récompensée par 13 médailles d'or et 23 premiers prix ! L'épopée prend fin en 1889. Le vignoble français est en pleine crise phylloxérique mais, surtout, les modèles à engrenages sont dépassés. Ils font place aux pressoirs à levier multiple différentiel, bien connus sous le nom de pressoirs à cliquets. La puissance commerciale des grandes firmes déstabilise les petits constructeurs régionaux. On entre dans la fabrication en grande série. Pour autant, les pressoirs châtillonnais ont continué de fonctionner durant de nombreuses années. Ils méritent d'être sauvegardés.
Sources : « les Pressoirs châtillonnais » par A. Bouhélier, aux éditions Images en Châtillonnais, 2010. Site : pressoirs-chatillonnais.over-blog.com