Rares sont les pièces de théâtre qui ont pour seul objet la viticulture. La compagnie Le diable à 4 pattes, de la MJC intercommunale d'Ay (Marne), en présente une : « 1911, les raisins de la révolte ». Elle célèbre à sa manière les 100 ans de la révolte des vignerons champenois. En 1911, les ventes de champagne sont florissantes mais les vignerons sont dans la misère. Le négoce privilégie l'achat de moûts provenant d'autres régions. Il introduit même du cidre dans ses assemblages !
Le 11 avril 1911, les viticulteurs apprennent que l'aire délimitée, votée au Parlement en 1908 mais non respectée, va être modifiée. Furieux, ils se révoltent, montent des barricades, brûlent des maisons et exigent que seuls les raisins produits en Champagne puissent servir à l'élaboration du champagne. L'armée réprime brutalement la révolte. L'histoire retient que les émeutes n'ont fait aucune victime. Et pourtant, un vigneron arrêté s'est donné la mort en prison. Les deux auteurs de la pièce, Élodie Cotin et Sébastien Weber, ont choisi de situer toute l'action dans un compartiment du train Reims-Épernay. Le juge François d'Estrer, qui instruit le procès des vignerons émeutiers, s'installe. Léonie, une viticultrice, prend place en face de lui. « Il fallait mettre en scène un vigneron, souligne Sébastien Weber. Mais pour lui répondre, nous n'avons pas choisi un négociant. Le jeu aurait été trop convenu. Nous avons préféré un juge qui défend l'opinion du négoce d'une manière plus large. »
Un dialogue s'installe, d'un ton badin. Au début, les arguments du juge dominent ceux de cette femme d'allure si simple. Mais quelques répliques montrent assez vite que Léonie a du répondant et qu'elle ne se laisse pas impressionner par le juge.
« Nous autres, on a manqué de jugeote »
L'échange prend rapidement une tournure politique. « Ceux d'en face sont plus malins, admet Léonie. Ils ont compris bien avant nous qu'y fallait champagniser. Que sur la marge entre le prix du raisin et celui de la bouteille, on bâtit des empires. Oui, nous autres, on a manqué de jugeote à fermer nos pressoirs et à nous en remettre entre ces mains-là, vous avez mille fois raison. » Et peu à peu le spectateur comprend que Léonie n'est pas dans ce train par hasard… Les auteurs n'ont pris parti pour aucun des deux bords. Ils mettent en avant l'individualisme des vignerons et leur manque de discernement à travers les propos de Léonie. Et soulignent l'absence de scrupule du négoce qui importe impunément du vin d'autres régions alors que la délimitation existe depuis 1908. « Il fallait être très précis, car nous jouons dans les villages où s'est déroulée la révolte, commente Élodie Cotin. Nous n'avons pris aucune liberté avec les faits. »
Cette pièce a déjà été jouée dans plusieurs villages de la communauté de communes d'Ay. Le Syndicat des vignerons de Champagne a réservé cinq soirées fin janvier pour ses adhérents et plusieurs représentations sont prévues au printemps.
Comme aime à le préciser Élodie Cotin : « Cette révolte a conduit au respect de la délimitation, ainsi qu'à la naissance de l'appellation, des coopératives et du syndicat des vignerons. C'est quand même très rare, une révolte qui aboutit… »