« On entend tout et n'importe quoi au sujet du GNR (gazole non routier). On manque d'une information claire et d'un protocole à suivre pour y passer sans inquiétude », déplore Léon Calage. Ce viticulteur de Canet (Hérault) s'apprête à commander sa première livraison de GNR courant mai. Il n'est pas le seul à n'avoir pas encore utilisé ce nouveau carburant. Mi-avril, « La Vigne » a interrogé 25 exploitations viticoles de toutes les régions au sujet du passage au GNR. À cette époque, 27 % d'entre elles possédaient encore du fioul. En cela, les viticulteurs ne se distinguent pas du reste des agriculteurs. En effet, selon une enquête réalisée par le Bureau de coordination du machinisme agricole (BCMA), 27 % des agriculteurs roulaient encore au fioul en février.
Les tracteurs ont été peu utilisés durant l'hiver. Le domaine Raspail-Ay, à Gigondas (Vaucluse), est habitué à faire le plein de fioul une fois par an et dispose encore d'un à deux mois de réserve. Le château Alteirac, dans l'Hérault, devrait seulement liquider le stock de fioul pendant les vendanges. Par ailleurs, certains viticulteurs ont été tentés de refaire le plein avec du fioul avant la date butoir du 1er novembre 2011 pour attendre les retours d'expérience des premiers utilisateurs de GNR.
Des propriétés détergentes
Légalement, tous les engins mobiles non routiers doivent être alimentés avec du GNR depuis le 1er novembre 2011. Un nouveau carburant qui pollue beaucoup moins que le fioul, grâce à une teneur en soufre cent fois moindre. En revanche, il se conserve moins bien parce qu'il est plus instable. Passés six mois de stockage, on constate un début de dégradation du GNR. Ce carburant contient en effet jusqu'à 7 % d'esters méthyliques d'acides gras (EMAG) qui viennent remplacer le soufre pour la lubrification des moteurs. Ces additifs présentent deux inconvénients. Ils ont des propriétés détergentes et peuvent, de ce fait, mettre les dépôts de fonds de cuve en suspension. Ils sont aussi hydrophiles. En d'autres termes, ils retiennent l'eau produite par la condensation à l'intérieur des cuves. Cette eau entraîne un développement plus rapide des bactéries dans la cuve et nuit à la qualité du carburant.
En raison des propriétés détergentes du GNR, on ne peut pas utiliser les anciennes cuves en l'état. Il faut les nettoyer ou acheter des cuves neuves. 18 des 25 exploitations que nous avons interrogées ont choisi la seconde option. « C'était l'occasion de se mettre aux normes », remarque Xavier Nauze, du château Balan, à Blasimon (Gironde). Cette exploitation a investi 1 500 euros HT dans une cuve de 1 500 litres en plastique à double paroi avec une pompe. Elle a effectué ce renouvellement lors d'un achat groupé à l'initiative de sa coopérative. Le château de Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire, disposait d'une cuve métallique ancienne et a préféré acheter une cuve neuve. « On nous a dit que le GNR était corrosif, alors on a préféré ne pas prendre de risque », explique son responsable culture. Deux autres exploitations ont acheté des cuves neuves pour le GNR tout en conservant leur ancienne cuve métallique pour le fioul, qui reste autorisé pour le chauffage. Le coût de nettoyage des cuves existantes a paru dissuasif à certains, tel Edgard Fourcade. Après s'être renseigné, ce viticulteur de Charente-Maritime a fait le choix d'un équipement neuf. Le prix demandé par les entreprises spécialisées en nettoyage peut atteindre 350 à 390 euros HT par cuve.
Neuf exploitations ont néanmoins choisi de conserver les cuves existantes. Trois d'entre elles les ont fait nettoyer par leur fournisseur. Quatre autres s'en sont occupées elles-mêmes. « J'ai vidé ma cuve métallique et mis un produit chimique qui désagrège le dépôt restant en fond de cuve avant de faire le plein de GNR », explique Jean-Pierre Bories, du domaine de Blanes, à Villeneuve-la-Rivière (Pyrénées-Orientales). Un produit vendu 151 euros HT les 5 litres.
Problème de stockage
Deux viticulteurs nous ont dit ne pas vouloir prendre autant de précautions. L'un possède une cuve en plastique de moins de dix ans. Il se contentera de faire le plein une fois le fioul vidé. L'autre fera de même après avoir aspiré le maximum de dépôts au fond de sa cuve métallique.
Les viticulteurs qui sont passés au GNR confient n'avoir eu aucun problème avec ce nouveau carburant. Par précaution, tous ont procédé au changement des filtres de leurs tracteurs.
Mais un autre problème se pose : celui du stockage. Le GNR n'est pas aussi stable que le fioul. De plus, il est décliné en deux qualités selon les saisons. La version été, commercialisée entre avril et octobre, résiste au froid jusqu'à 0°C. La version hiver, vendue d'octobre à mars, contient des additifs pour offrir une température limite de filtrabilité (TLF) jusqu'à - 15°C.
Les viticulteurs que nous avons interrogés gèrent ce problème de différentes manières. « Comme pour le fioul, nous continuerons à recevoir deux livraisons pour ne pas stocker plus de six mois », indique-t-on au château Alteirac. Léon Calage « évitera de trop faire le plein », pour tenir compte de l'instabilité du carburant. Le château de Montreil-Bellay « a fait un plein en GNR hiver pour toute l'année ». Jean-Pierre Bories s'est fait livrer en GNR zéro, sans EMAG, « pour ne pas avoir de souci », précise-t-il. Autorisé, ce type de carburant n'est cependant pas distribué sur tout le territoire.
Un démarrage plus difficile par grand froid
Selon l'enquête menée par le BCMA en février auprès de 151 agriculteurs de l'est de la France, 26 % déclarent avoir eu un problème de figeage en sortie de cuve cet hiver avec du GNR, contre 20 % avec du fioul. En l'absence de problème en sortie de cuve, les difficultés rencontrées au démarrage sont en revanche nettement plus élevées avec les tracteurs roulant au GNR (57 %) qu'avec ceux roulant au fioul (36 %). Les tracteurs récents sont par ailleurs plus sensibles : neuf sur dix, achetés en 2011 et 2012, ne fonctionnent pas au bout de 10 minutes par grand froid ! En cause, la durée et l'intensité du froid, mais aussi l'inadéquation entre les mailles des filtres montés sur les tracteurs récents (de 2 à 10 microns) beaucoup plus fines que celles ayant servi à déterminer la température limite de filtrabilité de - 15°C calculée par les pétroliers (45 microns).
Les normes de stockage en plein air depuis le 1er juillet 2004
L'achat d'une cuve neuve doit être accompagné d'un certificat de conformité CE délivré par le constructeur. Les réservoirs doivent être équipés d'une seconde enveloppe étanche et être conçus de telle sorte qu'il soit possible de se rendre compte de toute fuite de l'enveloppe intérieure. Ils doivent avoir un dispositif de jaugeage et ne pas avoir de point de soutirage en partie basse. Ils doivent être opaques et solidement fixés sur une aire maçonnée plane. Il est recommandé de protéger la cuve contre un choc avec du matériel roulant en mettant en place des obstacles. À défaut de seconde enveloppe, les réservoirs doivent être placés dans une cuvette de rétention d'une capacité au moins égale à la plus grande de ces deux valeurs : 100 % de la capacité du plus grand réservoir ou 50 % de la capacité globale des réservoirs. Une distance d'un mètre entre l'installation et le bâtiment doit être respectée pour toute cuve de plus de 2 500 l.