JAUFFREY CANIER, maître de chai au GICB, à Banyuls (Pyrénées-Orientales), apprécie de pouvoir passer d'un bloc de cuves à l'autre grâce à une passerelle, sans avoir à descendre d'escalier. Entre le premier plan de cuverie proposé par le bureau d'études et la version finale, il y a eu douze étapes ! PHOTOS F. EHRHARD
GICB : Un chai rapidement pris en main
En 2011, le Groupement interproducteurs de Collioure et Banyuls (GICB), dans les Pyrénées-Orientales, a investi 12 millions d'euros dans un nouveau chai. À cette occasion, il a fait intervenir deux ergonomes pour réduire la pénibilité au travail et améliorer l'efficacité des salariés. Les deux spécialistes ont fait réaliser de multiples simulations. « Les travaux ont été décalés de trois mois, mais nous avons quand même réussi à boucler pour les vendanges 2011. Et quand nous avons pris le chai en main, chacun connaissait déjà son poste. Nous n'avons eu que quelques ajustements à réaliser », commente Jauffrey Canier, le maître de chai.
Des passerelles pour aller partout. Ce chai est équipé de 54 cuves de 500 hl, subdivisées en deux, la partie haute servant aux vinifications en phase solide, la partie basse étant consacré aux vinifications en phase liquide. Des passerelles entourent ces cuves à mi-hauteur et au sommet.
« Le bureau d'étude n'avait pas relié les deux batteries de cuves. Il fallait descendre puis monter des escaliers pour passer de l'une à l'autre, explique Jauffrey Canier. Nous avons demandé à refaire douze fois les plans avant d'arriver à tout caler. Mais cela en a valu la peine. Il n'y a que trois escaliers au lieu de neuf. Nous pouvons passer devant et derrière chaque rangée de cuves et aller d'une batterie à l'autre par des passerelles sans changer d'étage. »
De vrais espaces de travail. Au départ, la largeur envisagée pour les passerelles était de 70 cm, comme le prévoient les normes. Mais les deux ergonomes savaient bien que c'était insuffisant. Pour le prouver, ils ont délimité une passerelle fictive en plaçant deux fils à 70 cm de distance et demandé à l'un des cavistes d'y passer en portant un bidon de chaque côté. Tous ont pu constater que ce n'était pas assez large !
« Nous avons donc décidé de remplir tout l'espace entre les cuves par un plancher en caillebotis, aux deux étages. Cela représente 200 m2 de surface de travail en plus. Pour ne pas augmenter les coûts, nous avons pris des caillebotis en acier galvanisé et non en inox », détaille Jauffrey Canier.
Des cuves bien pensées. « Nous avons réalisé plusieurs séances de travail avec les cavistes pour réfléchir à la hauteur des portes, des jauges, des tâte-lies, des dégustateurs et des vannes sur chaque cuve. » Par exemple, il n'y a qu'un tuyau de 2 mètres à connecter pour envoyer les jus de la cuve du haut dans celle du bas. « Un caviste peut réaliser cinq saignées en deux heures. Auparavant, pour en faire trois, il fallait deux personnes, une pompe et un épépineur durant une journée », précise Jauffrey Canier.
Autre exemple, l'angle et le diamètre de la cheminée ont été calculés pour que l'on voie le vin dans la cuve du bas. « Je peux surveiller les fermentations », apprécie Jauffrey Canier. Un entonnoir fabriqué sur mesure se place dans le caillebotis pour évacuer facilement les marcs dans un chariot placé au sol.
CASTELMAURE : Une organisation plus efficace
« Les ergonomes nous ont permis d'améliorer notre organisation en amont et en aval des pressoirs, analyse Bernard Pueyo, le directeur de Castelmaure, la coopérative d'Embres-et-Castelmaure, dans l'Aude. En 2011, nous avons ainsi pu presser jusqu'à cinq cuves par jour sans finir à minuit ! Jamais nous n'avions été aussi efficaces. Avec nos anciens pressoirs, il fallait travailler plus tard pour seulement trois cuves. »
Une enquête de terrain. Avant de réfléchir à leur intégration au chai, la coopérative avait lancé un appel d'offres pour des pressoirs capables de traiter en une fois le marc d'une cuve de 400 hl. Trois constructeurs y ont répondu. « Les ergonomes nous ont poussés à aller voir des installations et à discuter avec leurs utilisateurs. Nous avons constaté que seul le Willmes de 100 hl répondait à nos critères », précise le directeur.
L'évacuation des marcs repensée. Avec la nouvelle installation, les marcs sont évacués en quelques minutes seulement. Ils tombent directement des pressoirs par quatre trappes dans une benne installée en hauteur. Ces bennes ont la capacité de recevoir les marcs de cinq cuves, ce qui correspond au volume maximum d'une journée de travail. « Auparavant, les marcs étaient envoyés dans une trémie mobile qui contenait 2,5_cuves. Lorsqu'elle était pleine, nous devions attendre le transporteur et, s'il tardait, toute la chaîne s'arrêtait. » Une personne devait être pré sente à l'arrivée du transporteur pour guider la trémie et une autre répartissait les marcs dans le camion. Aujourd'hui, le transporteur charge seul les bennes.
À l'aise pour nettoyer. Chaque pressoir est entouré d'une vaste passerelle, installée à bonne hauteur. « Le bureau d'étude n'avait prévu que 70 cm de large, c'était insuffisant. » Grâce à l'intervention des ergonomes, ces passerelles mesurent 110 cm de large. De ce fait, le caviste peut sortir et nettoyer les drains sur place. Une fois le pressoir en position inclinée, il a accès à tout l'intérieur avec son jet, et peut le nettoyer sans avoir à y entrer.
Des chariots plus maniables. La cave réalise des macérations de quelques heures en rosé et en blanc. Il faut ensuite décuver et amener le marc au pressoir. « Nous utilisions des chariots qui peuvent contenir 400 kg. Il fallait être deux pour les pousser et les vider dans un conquet. C'était pénible. » En concertation avec les ergonomes, le constructeur a conçu de nouveaux chariots que l'on déplace à l'aide de transpalette et qui se vident plus facilement car ils sont mieux équilibrés. Les saisonniers se fatiguent beaucoup moins.
Un contrat de prévention avec la MSA
La coopérative de Castelmaure (Pyrénées-Orientales) et le GICB ont tous deux fait appel à Jacques Escouteloup et Joffrey Beaujouan, ergonomes et enseignants à l'université de Bordeaux (Gironde) et de Clermont-Ferrand, dans le cadre d'un contrat de prévention signé avec la MSA. « Les ergonomes sont intervenus sur les projets d'aménagements de ces deux caves, sur l'amélioration des conditions de travail et sur la réduction des risques d'accident », précise Jean-Pierre Alfonso, de la MSA de l'Aude, qui a accompagné Castelmaure. Tout le personnel a participé aux réflexions, ce qui a fait évoluer les relations au sein de l'entreprise.
« Aujourd'hui, quand un salarié voit quelque chose pour faciliter le travail, il en parle », souligne Bernard Pueyo, directeur de Castelmaure. « Les postes de travail sont bien conçus. Les permanents se fatiguent moins. Ils sont plus réceptifs aux enjeux qualité et plus disponibles pour encadrer les saisonniers durant les vendanges », constate Jauffrey Canier, maître de chai du GICB. Dans ces deux coopératives, la MSA, a financé en grande partie l'intervention des ergonomes dans le cadre d'une convention avec la CCVF. « Quelques fonds existent aussi pour les caves particulières qui ont d'un demi à dix salariés », précise Sophie Poulalion, de la MSA des Pyrénées-Orientales, qui a accompagné le GICB. Des financements existent également dans le cadre des fonds de formation ou des aides à l'investissement dans les chais.
Le Point de vue de
Jacques Escouteloup et Joffrey Beaujouan, ergonomes et enseignants à l'université de Bordeaux (Gironde) et de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
« Nous observons les hommes au travail »
LA VIGNE : Que pensez-vous du milieu du vin ?
Jacques Escouteloup et Joffrey Beaujouan : Les professionnels qui y travaillent sont passionnés par leur métier, plus qu'ailleurs. Ils s'engagent à fond et ne ménagent pas leur peine. Pour les intéresser à l'ergonomie, il faut d'abord leur parler de qualité et de productivité. Ensuite, ils découvrent que tout est lié et qu'une personne moins fatiguée est plus efficace et prend de meilleures décisions.
Comment définir le métier d'ergonome ?
J. E. et J. B. :C'est un spécialiste de l'être humain au travail. Il s'intéresse aux interactions entre l'homme et ses outils.
Comment intervenez-vous dans une entreprise ?
J. E. et J. B. : Nous observons les situations de travail pour repérer ce qui est pénible, ce qui complique ou freine l'avancée d'une tâche. Nous nous intéressons aussi à l'organisation du travail, depuis la transmission des consignes jusqu'à la circulation des personnes et des engins. Nous posons beaucoup de questions. Nous n'hésitons pas à réaliser des simulations pour vérifier, par exemple, qu'un camion a réellement la place de tourner dans un espace donné. Nous ne pouvons pas nous contenter de calculs à partir du rayon de braquage car dans la pratique, bien souvent, les chauffeurs ne peuvent pas braquer à fond.