Le marché des plants s'annonce tendu

La demande en plants s'annonce forte alors que le taux de reprise en pépinière est inférieur à celui de l'année dernière. Certains cépages et porte-greffes pourraient manquer. Les prix, eux, pourraient grimper.

Les pépiniéristes ne possèdent encore qu'une estimation de la demande des viticulteurs pour la prochaine campagne, mais le niveau de réservation des plants est déjà élevé. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Tout d'abord, la bonne tenue des marchés du vin et les primes à la restructuration – 114 millions d'euros pour la France en 2012 – incitent les viticulteurs à renouveler leurs vignes. À cela s'ajoutent les cahiers des charges des AOC qui imposent une baisse des rendements autorisés au-delà de 20 à 25 % de manquants, une disposition qui pousse à complanter.

En second lieu, l'intense période de froid de février dernier a provoqué une forte mortalité sur les vieilles vignes comme sur les jeunes plants.

Le Sud-Est compte parmi les régions les plus touchées. Le Syndicat général des vignerons des côtes du Rhône a ainsi estimé que 20 millions de plants étaient morts cet hiver dans sa région. Les vieux grenaches ont subi les plus lourdes pertes. Les Pépinières Gillibert, à Orange (Vaucluse), s'attendent de ce fait à une forte demande en grenache pour remplacer les pieds morts dans les vignes touchées, voire pour replanter des parcelles entières.

La mortalité provoquée par les maladies du bois ne faiblit pas

« En l'état actuel des choses, nous avons suffisamment de plants pour répondre à la demande, estime Didier Gillibert. Mais nous risquons d'avoir des surprises après les vendanges, lorsque les vignerons se rendront compte de l'importance des dégâts qu'ils ont subis. Les commandes pourraient affluer. Nous pourrions manquer de plants. »

En Aquitaine aussi, des vignes jeunes ont pâti du froid qui a atteint -15°C en février dernier. « Mais pour ces plants-là, la com plantation a déjà eu lieu », explique David Amblevert, responsable des Pépinières Amblevert, à Sainte-Florence (Gironde).

Pratiquement tous les vignobles ont souffert de cette intense vague de froid. Mais elle n'a pas eu les mêmes conséquences partout. Ainsi, en Savoie, ce froid a provoqué un débourrement tardif, mais pas de mortalité selon Philippe Grisard, vigneron et producteur de plants à Cruet. De même, en Champagne, il n'y a quasiment pas eu de mortalité cette année à cause du gel d'hiver. Mais les vignes gelées il y a deux ans n'ont, pour la plupart, pas encore été remplacées, faute de temps ou de plants disponibles.

« Cette année, vu la petite récolte, des viticulteurs pourraient être tentés d'arracher leurs vignes pour les remplacer et le marché pourrait être tendu, souligne à son tour Jean-Michel Dumont, pépiniériste en Champagne. Nous risquons d'être très justes en plants. L'année dernière, faute d'avoir de quoi fournir, nous avions déjà demandé à certains clients de repousser leurs projets d'arrachage et de plantation, pour environ 30 000 plants. »

Reprise moyenne du 41 B

À cela s'ajoute la mortalité provoquée par les maladies du bois, qui ne faiblit pas et représente une part importante des besoins en plants de vigne. « En Val de Loire, le taux de mortalité de certaines vignes est actuellement supérieur à 5 %, voire à 10 % par an sur certaines parcelles, s'inquiète Miguel Mercier, cogérant des Pépinières Mercier, à Vix (Vendée). On parle même d'une nouvelle crise phylloxérique. »

Or, du côté de la production de plants, le taux de reprise en pépinières semble être en recul de 10 % par rapport à 2011, où 191 millions de greffes boutures et 1,1 million de plants racinés avaient été mis en œuvre. « Le gel d'hiver et le printemps très froid et humide ont fait souffrir nos cultures dont le taux de réussite est plus bas que d'habitude, confirme Gilbert Jenny, président de la Fédération française de la pépinière viticole. Nous avons aussi eu beaucoup plus d'attaques de mildiou et d'oïdium, engendrant des traitements beaucoup plus fréquents grâce auxquels nous avons limité les dégâts. » « Malgré des greffages en hausse, l'offre sera légèrement inférieure à 2011, renchérit Miguel Mercier. Or, nous n'avons plus de stock. Le marché risque donc d'être tendu pour certains cépages ou porte-greffes (41B et Fercal) et il y aura certainement une pression au niveau des prix. »

Même son de cloche chez Jean-Michel Dumont, en Champagne : « Nous avons greffé un peu plus de plants cette année, mais la baisse des reprises est supérieure à l'augmentation des greffages. À cause des conditions météo, le porte-greffe 41B, qui constitue 90 % des vignes en Champagne, a eu une reprise moyenne en pépinière, en tout cas inférieure à celle des autres porte-greffes. » Certains pépiniéristes auraient perdu jusqu'à 50 % de leurs plants greffés sur 41 B. Le constat est le même pour le porte-greffe Fercal, mais dans une moindre mesure (moins de 20 à 25 %).

« La situation risque d'être tendue pour le chardonnay sur 41 B, affirme Philippe Grisard. Mais aussi pour le pinot noir, car il s'en exporte beaucoup. Or, les viticulteurs de Bourgogne, qui réalisent de petites récoltes depuis deux ans, pourraient vouloir arracher et replanter. »

À quelle hausse des prix peut-on s'attendre du fait de cette situation ? Peu de pépiniéristes veulent s'avancer. David Amblevert et Didier Gillibert osent un pronostic : selon eux, l'augmentation ne devrait pas excéder 5 %, pour une fourchette qui s'est tenue entre 1,20 euro par plant à Bordeaux (Gironde) et 1,60 euro en Alsace et en Champagne cette année.

Nouvelles conditions générales de vente

« Les viticulteurs qui n'auront pas de plants traditionnels pourront toujours se reporter sur des plants en pots », indique encore Didier Gillibert. C'est ce qui se fait déjà en Aquitaine où 2 à 3 millions de plants sont produits sous serre chaque année. « Ceux-ci sont vendus uniquement au vignoble bordelais et nous permettent cette année de ne pas être déficitaires », précise David Amblevert. En parallèle des tensions attendues sur le marché des plants, les nouvelles conditions générales de vente se mettent en place. Les pépiniéristes les ont rédigées pour régler différents problèmes, parmi lesquels les retours massifs de marchandise, les annulations de commande de dernière minute et le non-respect des délais de paiement. Elles seront appliquées pour la première fois lors de la prochaine campagne. Le fait est que les pépiniéristes ne devraient pas avoir beaucoup d'invendus dans les temps à venir.