Un jour en Angleterre, un autre à Hong Kong : Usha Lavie-Tessier parcourt le monde pour vendre son vin. Indienne d'origine, elle passe sa jeunesse à Singapour. À 25 ans, elle se retrouve à la tête d'une société américaine au Congo. Elle y restera dix ans, jusqu'en 1989. Un coup d'État plus tard, la voilà priée de faire ses valises. Du fait des attaches bordelaises de son époux d'alors, le couple débarque à Bordeaux (Gironde). Usha ne connaît personne. Elle parle l'anglais, son français est très léger. Elle s'inscrit à la faculté d'oenologie « parce qu'à Bordeaux, il n'y a pas de pétrole, mais du vin ». Durant son cursus, elle visite le château Gamage, 30 ha en appellation Bordeaux supérieur, à Saint-Pey-de-Castets. Le propriétaire d'alors veut vendre. Les vignes sont bien tenues. Usha sent qu'il y a un potentiel et se porte acquéreuse. « Je n'avais aucune expérience de la vigne. Tout était compliqué. Mais jamais je n'ai baissé les bras », confie-t-elle.
L'Inde lui résiste
L'ancien propriétaire vendait le vin en vrac. Usha décide de le mettre en bouteilles et de l'exporter. En 1994, elle attaque le marché anglais. À Londres, elle frappe aux portes des importateurs. Un flop total. Ne voulant pas rentrer avec ses échantillons, elle tente d'accrocher des hôtels. Et se rend au Ritz où on lui conseille d'en laisser quelques-uns. De retour à Bordeaux, elle trouve un fax du Ritz lui passant commande de cinquante cartons. « À partir de là, les importateurs m'ont appelée. Aujourd'hui, j'écoule 15 000 bouteilles en Angleterre. »
Depuis sept ans, l'œnologue Claude Gros intervient sur la propriété. « Usha sait ce qu'elle veut. Je l'aide à faire un vin qui colle à sa personnalité », explique-t-il. Elle-même décrit son vin comme « soyeux, avec de la retenue, délicatement sexy ». À Hong Kong, à Singapour et aux États-Unis, il fait un tabac. Seul le marché indien se révèle compliqué. « Les Indiens sont machos », glisse Usha. Elle parvient à peine à leur vendre 5 000 bouteilles par an.
« Je ne fais pas de salons. Je ne vends par sur internet. Je vais voir les importateurs et, ensemble, nous rendons visite à leurs clients : des propriétaires de wine shop, de bars ou de restaurants. Aucun client n'est fidèle. Si je ne vais pas vers eux, je peux les perdre. »
Son souhait ? « Écouler à l'export les 40 % de ma production que je vends encore en vrac. »
Le choc des cultures
« J'ai toujours été surprise par les règles rigides qui concernent le vin en France. On est tous capables de faire de bons vins. Mais on est vite bloqués par l'Inao et par l'administration. Le chardonnay, soit disant, ne peut pas pousser sur les terroirs bordelais. Mais pourquoi ne peut-on pas essayer ? J'aimerais aussi planter de la syrah. Comment peut-on vivre sans la liberté de tenter des expériences ? C'est absurde. On a les mains et les pieds liés. »