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VENDRE - Conseils de pros

Comment faire passer une hausse de prix aux particuliers

Mathilde Hulot - La vigne - n°248 - décembre 2012 - page 60

Augmenter ses tarifs n'est pas chose aisée. Il faut distinguer deux cas : la hausse qui suit le coût de la vie et les hausses qui traduisent une montée en gamme.
Face à un client qui veut des explications, ne soyez pas désolé. Ayez une réponse préparée et positive. © J.-C. GUTNER

Face à un client qui veut des explications, ne soyez pas désolé. Ayez une réponse préparée et positive. © J.-C. GUTNER

1. Augmentez un peu tous les ans

Il est nécessaire d'augmenter régulièrement les prix en rapport avec le coût de la vie. Tant qu'il s'agit de hausses de 1 à 3 % par an, cela reste discret et dans l'ordre des choses. Inutile de vous justifier, sauf vis-à-vis des clients qui vous demandent des explications. « Augmenter de 3 % n'est pas difficile, mais ce n'est pas cela qui va améliorer votre train de vie », précise tout de même Michel Chapoutier.

« Beaucoup de vignerons préfèrent ne pas augmenter leurs tarifs par peur de représailles. Mais il faut réagir après plusieurs années sans hausse. L'exercice est d'autant plus difficile qu'il faut procéder à une hausse brutale », fait remarquer Jacques-Olivier Pesme. Cas typique : le fils ou la fille de vigneron qui doit rattraper dix ans de stabilité des tarifs. Pour justifier une telle rupture, le repreneur doit modifier le vin et l'image du domaine pour apporter quelque chose de plus au client.

2. Ne démarrez pas trop bas

C'est une erreur de démarrer avec des prix trop bas. Beaucoup la commettent pour conquérir des marchés ou parce qu'ils ne sont pas sûrs d'eux. Ces vignerons s'aperçoivent qu'ils ne gagnent rien. Mais ensuite, il leur faut beaucoup de temps pour corriger le tir. Cette règle est valable en France et à l'étranger.

En Chine, il faut aussi tenir compte du statut du vin. « Il ne faut pas partir de trop bas, surtout pour un vin français, car il y a de fortes chances que le consommateur chinois révèle le coût de la bouteille à ses convives. Or, pour les honorer, il doit leur annoncer un prix élevé », décrypte Jacques-Olivier Pesme.

À l'inverse, il est illusoire d'espérer vendre à un prix élevé « si l'image du domaine n'est pas en phase, poursuit-il. Un bon prix doit être le reflet du vin, de son appellation et de la notoriété du vigneron ».

3. Au-delà de 3 %, apportez un plus

Il faut que les clients aient le sentiment que les choses ont changé.

Les grands millésimes peuvent ainsi être vendus un peu plus chers que les autres. De même, un domaine peut justifier de hausses supérieures au coût de la vie s'il est régulièrement médaillé ou distingué par les critiques, s'il améliore significativement son accueil… Ceux qui entrent dans une démarche bio peuvent aussi se servir de cet argument. « Expliquez au client le bénéfice qu'il va en tirer, mais c'est mieux s'il le perçoit naturellement », indique Christophe Chevré.

Une autre manière de faire passer des hausses est de s'orienter vers une distribution plus sélective et d'obtenir des référencements dans des magasins habitués à vendre des vins chers.

Le prix est l'un des quatre éléments du marketing mix, avec la promotion, la place (lieux de vente, circuit de distribution) et le produit lui-même. « C'est le plus compliqué à déterminer, admet Jacques-Oli Olivier Pesme. On le fixe en fonction des trois autres variables dont il doit être le reflet. Lorsqu'on veut l'augmenter de manière importante, il faut modifier l'un des trois autres paramètres. »

4. Attention aux seuils psychologiques

« Si votre vin coûte moins de 10 euros, 9,90 euros par exemple, l'augmenter à 10,15 euros peut être dangereux, analyse Jacques-Olivier Pesme. Cela n'aura pas le même impact de passer de 8,50 à 9 euros que de passer de 9,90 à 10,40 euros, alors que, dans les deux cas, le pourcentage de hausse est le même. »

Dans le premier cas, on reste sous la barre des 10 euros, dans le second on la franchit. Or, c'est un seuil important pour beaucoup de consommateurs. Il est ainsi extrêmement difficile de vendre un bordeaux à plus de 10 euros le col.

« Le problème, c'est qu'aucun particulier n'a le même seuil psychologique ! explique Michel Chapoutier. On ne sait jamais quand on se déconnecte. Or, un rien peut faire chuter les ventes. À Châteauneuf-du-Pape, par exemple, le cours du vin s'écroule tous les six ou sept ans après avoir trop grimpé. Le point de rupture est difficile à définir. »

5. Cultivez la relation toute l'année

Communiquez régulièrement auprès de vos clients pour les fidéliser. Montrez-leur qu'il se passe des choses tout au long de l'année sur votre domaine : une démarche environnementale que vous entreprenez, une pratique qui évolue, un nouveau vin qui sort... Valorisez vos initiatives. « Les augmentations passeront d'autant plus naturellement », assure Jacques-Olivier Pesme.

6. Prévenez vos clients professionnels

Prévenez les professionnels mais pas les particuliers. Face à un client qui veut des explications, ne soyez pas désolé. Ayez une réponse préparée et positive. Certes, vous pouvez parler des matières sèches qui augmentent, de la grêle qui a détruit une partie de la récolte, etc., mais il ne faut pas donner au client le sentiment de payer pour vos problèmes. « Ce n'est pas en expliquant que le pétrole a augmenté qu'il achètera votre vin plus cher », rapporte Jacques-Olivier Pesme.

7. Oubliez la vente

« Le vendeur est là pour donner envie d'acheter, rappelle Michel Chapoutier. Vendre, c'est oublier la vente ! L'amour du vin et l'amour de l'argent du vin sont deux sentiments différents. L'homme qui a l'amour du vin n'est pas un simple vendeur, mais un passionné qui fait profiter de sa culture et de son savoir aux clients. » Face à un tel vendeur, qui ne parle pas que de lui mais aussi des autres vignerons, de sa région, voire des autres régions, l'horizon s'élargit. On oublie la hausse de prix.

8. Prévoyez une porte de sortie

Évitez de pratiquer une forte hausse sur l'ensemble de votre gamme d'un coup. En effet, si un client juge la hausse trop importante, vous pouvez toujours lui proposer un autre vin dont le prix n'a pas bougé. C'est une façon de lui donner le choix et de le fidéliser.

Le Point de vue de

Pierre Jaboulet-Vercherre, vigneron à Beaune (Côte-d'Or)

« Je joue la transparence »

Pierre Jaboulet-Vercherre, vigneron à Beaune (Côte-d'Or)

Pierre Jaboulet-Vercherre, vigneron à Beaune (Côte-d'Or)

« Nous commercialisons nous-mêmes nos récoltes. Alors quand l'occasion d'ouvrir la cave de l'Ange gardien, à Beaune, afin de proposer nos vins et ceux d'autres vignerons s'est présentée il y a trois ans, nous l'avons saisie. Nous avons donc une gamme large, allant de 5 à plus de 300 euros. Nos propres vins sont proposés entre 25 et 69 euros. Nous accueillons environ 12 000 personnes par an. Nous sommes confrontés tous les ans aux augmentations de prix. Tout d'abord, les clients comprennent parfaitement la hausse des prix. Nous leur apportons des explications. Nous n'augmentons pas les prix de tous les produits en même temps. Cela contribue à ne pas choquer les clients. Pour les entrées de gamme, nous les prévenons aussi longtemps à l'avance que nous le pouvons. Nous avons acheté le vin 40 % plus cher que l'an passé mais nous n'avons répercuté que 20 % de hausse car ni la main-d'œuvre, ni le carton n'ont augmenté à ce point.

Nous avons choisi la transparence, car les clients, sont parfaitement au courant de l'actualité, notamment grâce à internet. Il ne faut pas les prendre pour des idiots. Il faut être franc, communiquer ! Les acheteurs passent beaucoup de temps chez nous. Ils discutent et dégustent : ils peuvent se faire une idée de ce qu'ils aiment. Nous faisons pratiquement tout goûter à l'aveugle, nous ne parlons jamais de prix. Quand le consommateur a réalisé sa présélection, nous lui disons ce que c'est et combien ça coûte. Le prix n'est pas aussi important qu'on le croit. En ce qui concerne nos propres vins, tout le monde se moque de l'augmentation : c'est la qualité qui intéresse. »

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