Vendre plus du quart de sa production à l'étranger semble un obstacle que l'Alsace a du mal à franchir. Depuis dix ans, la part de ses exportations se fige autour de ce seuil, qui s'élève peut-être à 30 % si l'on ajoute la vente directe aux touristes étrangers de passage sur la route des vins. Alors, quand le rythme de vente annuel se tasse, l'export suit. En 2011, le volume exporté est inférieur de 40 000 hl à ce qu'il était en 2001. Les marchés étrangers ne sont pourtant pas délaissés. Sur un budget de 9,5 millions d'euros, le Conseil interprofessionnel des vins d'Alsace (Civa) brûle quasiment 3,7 millions hors de l'Hexagone pour financer dîners et voyages de presse ainsi que mini-expositions, séminaires, partenariats promotionnels, distribution de PLV, etc.
Encore outsider
« Le vignoble alsacien reste un outsider moins connu que le Bordelais ou la Champagne, rappelle Jean-Louis Vézien, directeur du Civa. Se faire connaître demande plus d'énergie. Nous y arrivons auprès des prescripteurs, mais pas assez pour que le grand public suive. Nos moyens pour sensibiliser directement les consommateurs ne sont suffisants que sur de petits pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark. »
L'Alsace a abandonné du terrain sur le marché voisin qu'est l'Allemagne, mais elle a compensé ce recul en consolidant ses débouchés en Scandinavie et au Benelux. En tout, l'Union européenne absorbe 18 % de ses ventes globales.
Sur ces marchés proches, il faut veiller « à ne pas nous endormir, prévient Lionel Lécuyer, directeur de la cave de Turckheim (Haut-Rhin). Les affaires deviennent plus difficiles aux Pays-Bas. L'Alsace y subit la concurrence de vins moins chers. Le positionnement prix est primordial et l'Alsace se trouve entre trop cher et pas assez. Néanmoins, le crémant y tire de plus en plus son épingle du jeu ».
Accelérer sur la Russie, les États-Unis ou la Chine
Les marchés européens étant jugés matures, l'Alsace a entamé sa diversification vers le grand export. Mais elle peine encore à traduire ses efforts en volumes conséquents. À peine 7 % de ses vins (62 800 hl) y trouvent preneurs. « L'Alsace a les vins pour ces marchés, mais il lui manque le dynamisme commercial, remarque Étienne Hugel, de la maison de négoce du même nom à Riquewihr (Haut-Rhin), qui exporte 90 % de sa production de 1,2 million de bouteilles par an. Les entreprises doivent être prêtes à attendre. Le retour d'investissement n'arrive pas dans les douze mois. »
L'objectif clairement affiché est d'accélérer sur les pays tiers classiques comme la Russie, les États-Unis ou la Chine, mais aussi plus exotiques comme le Mexique, le Brésil ou le Vietnam. Avec un prix moyen supérieur à 6 euros par litre, les vins d'Alsace y sont vendus plus cher qu'en Europe. Depuis 2009, le Civa y dépense près de 1,8 million d'euros par an. Il y a doublé ses budgets grâce à 900 000 euros d'aides européennes annuelles.
L'interprofession négocie leur reconduction. Un enjeu capital aux yeux de Jean-Louis Vézien. « Les actions engagées ne produiront leur plein effet que si l'effort est poursuivi. Trois ans, c'est trop court. »
Les opérateurs en prospection en Amérique ou en Asie partagent cette analyse. « Ces pays sont prêts à acheter des grands crus relativement cher et on ne s'y marche pas sur les pieds entre opérateurs alsaciens », note Lionel Lécuyer. Mais, « pour réussir, il faut plus de moyens et une présence forte sur le terrain, constate Patrick Aledo, directeur de la cave de Beblenheim (Haut-Rhin). On y vend mieux quand un conseil est apporté. Les consommateurs sont positivement surpris par le rapport qualité-prix de nos vins lors des dégustations. Il y a une très belle carte à jouer pour les rieslings secs, car les Allemands ou certains Américains ont habitué les consommateurs à des rieslings moelleux ».
Étienne Hugel rappelle que ces résultats à l'exportation sont le fruit du travail de fourmi fourni par deux générations pour développer les relations dans la restauration aux quatre coins du monde. Ce travail lui permet d'être présent dans 107 pays. Il recommande à ceux qui veulent partir à l'export d'ouvrir un site web dans la langue du pays où ils veulent s'implanter. « Cela donne un impact considérable et permet de mesurer son audience », estime-t-il. Tout en concédant qu'en prospection, « je passe 80 % de mon temps à parler de l'Alsace en général et seulement 20 % de ma gamme ».
Le Point de vue de
Étienne-Arnaud Dopff, directeur de Dopff au Moulin, à Riquewihr (Haut-Rhin). 2,2 millions de bouteilles par an, dont 25 % vendues à l'export.
« J'ai dû adopter une autre attitude commerciale »
« Nous exportons depuis deux ans en Chine. Mais j'ai attendu novembre 2012 pour y effectuer ma première tournée avec mon importateur et deux traducteurs. Je voulais comprendre pourquoi nous vendons en Chine et surtout pourquoi nous n'y vendons pas plus ! Dans mes bagages, j'ai emmené une vidéo de présentation de mon entreprise sous-titrée en chinois qui m'a bien servi sur place. En dix jours, je me suis rendu dans quatre villes, dont Pékin et Shanghai, pour visiter des points de vente, animer des dégustations et des repas, ainsi que pour participer à différents salons. J'avais fait acheminer un riesling, un pinot gris et deux gewurztraminers de ma gamme réserve ainsi qu'un grand cru. Des vins qui se marient bien aux plats locaux. Ce que j'ai vu m'a surpris. Les Chinois que j'ai côtoyés ne connaissaient pas le vin. J'ai dû adopter une autre attitude commerciale et j'ai passé beaucoup de temps à instruire les consommateurs. Les commentaires sur le produit ne servent à rien. Il est plus important de raconter une belle histoire liée au vin pour retenir l'attention des interlocuteurs. Je suis reparti rassuré de Chine. À chacune des occasions, un de mes vins a plu. La demande existe donc. Mais il faut absolument un relais sur place qui possède une parfaite connaissance du marché. Comme le consommateur ne veut pas faire d'effort pour trouver un vin, c'est au distributeur de se mettre à sa disposition. Il doit être sur le terrain. Et moi aussi. J'ai déjà prévu de retourner en Chine accompagné de mon responsable export. Nous visons de passer le cap de 30 % d'export, contre 25 % actuellement. »