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DOSSIER - Bonnes nouvelles de nos régions

Alsace Le crémant au sommet

CHRISTOPHE REIBEL - La vigne - n°282 - janvier 2016 - page 48

Après avoir fortement développé les ventes de leurs crémants, les Alsaciens les valorisent de mieux en mieux. Quelques bouteilles atteignent même des prix records.
MARC SEILLY, vigneron indépendant à Obernai, présente sa cuvée de crémant très haut de gamme « Désir ». © C. REIBEL

MARC SEILLY, vigneron indépendant à Obernai, présente sa cuvée de crémant très haut de gamme « Désir ». © C. REIBEL

L'Alsace a une image de région de vins tranquilles, mais personne n'oserait l'imaginer sans son crémant. Parti de zéro à sa naissance en août 1976, l'effervescent régional représente aujourd'hui près du quart d'une récolte. Il trouve 79 % de ses débouchés en France, principalement en grande distribution, et 21 % dans des pays comme la Belgique, l'Allemagne, mais aussi les États-Unis.

« L'Alsace a cru au crémant comme à un produit à part entière. Les Alsaciens se sont approprié ce vin. Et les consommateurs d'autres régions sont épatés par son rapport qualité-prix », explique Étienne-Arnaud Dopff, directeur général du domaine Dopff au Moulin, à Riquewihr (Haut-Rhin). « C'est un vin facile à comprendre avec lequel on n'a pas de complexe à se faire plaisir », complète Véronique Muré, du domaine éponyme, à Rouffach.

Alliance Alsace, qui réunit les coopératives de Turckheim et Traenheim, a investi 7 millions d'euros en 2014 dans une unité dédiée au crémant d'une capacité de 2 millions de cols par an. « Jusque-là, nous étions limités à 1,2 million de bouteilles par an. Nous avions des marchés en grande distribution. Nous devions nous agrandir. Désormais, nous sommes sur un rythme de ventes de 1,7 million de cols par an, tout en ayant pu augmenter notre tarif. La force du crémant, c'est sa qualité, homogène dans toute la région », témoigne Lionel Lécuyer, directeur général du groupe.

Les domaines plus modestes profitent aussi de la dynamique. À Bernardswiller (Bas-Rhin), Jean-Pierre Bilger, vigneron indépendant sur 9 ha, va produire 15 000 bouteilles de crémant cette année. « C'est un vin avec lequel la rentabilité est plus facile à atteindre qu'avec les vins tranquilles. »

Le succès arrive parfois de là où on ne l'attend pas. « J'en vends même en République tchèque », s'étonne presque Christophe Braun, à la tête d'un domaine de 15 ha en bio, à Orschwihr (Haut-Rhin). Depuis trois ans, il achète du vin de base pour pouvoir suivre la demande.

Cependant, depuis deux ans les ventes plafonnent aux alentours de 34 millions de cols par an à l'échelle du vignoble. Un essoufflement ? « Plutôt un déficit de matière première », rectifie Olivier Sohler, directeur du Syndicat des producteurs de crémant d'Alsace. La région vient en effet de subir trois petites récoltes consécutives. Pour stabiliser l'offre, les producteurs de crémant plaident activement pour la mise en place d'une réserve qualitative ou d'un rendement pluriannuel. « Il faut lisser la production. Rien n'est plus dangereux que les dents de scie. Il est facile de perdre sa place sur le marché. La récupérer est bien plus ardu », lance Olivier Sohler.

Mais même avec un retour à la normale des rendements, une majorité d'opérateurs juge qu'un palier a été atteint. « À 25 % d'une récolte vinifiée en crémant, le vignoble arrive à saturation », estime Étienne-Arnaud Dopff.

Désormais, le développement passe par la montée en gamme. Une coop comme Bestheim se satisfait de sortir 5 millions de cols par an, soit un tiers de sa production. Sa priorité est de mieux valoriser ses vins. Depuis deux ans, elle a ramené son offre de crémants à quatre références et l'enrichira d'un haut de gamme au printemps 2016.

Bestheim n'est pas la seule à tourner résolument le dos aux bouteilles « bradées » à 4 euros en grande surface. « Nous pouvons encore améliorer la qualité de nos crémants en fractionnant mieux les jus », juge Franck Buecher, qui leur consacre 80 % des 10,5 ha du domaine familial qu'il exploite à Wettolsheim (Haut-Rhin). « Des personnes n'acceptent pas de dépenser plus de 8 euros par bouteille. C'est mon premier prix. D'autres sont prêtes à payer bien plus. Elles achètent mon haut de gamme à 20 euros le col. Mais j'ai des rendements faibles en bio et quarante mois d'élevage. Ce n'est donc pas si cher. Heureusement, des restaurateurs jouent le jeu et n'hésitent pas à faire figurer des crémants à 40 euros sur leur carte des vins. »

« Il y a de la place pour des crémants très haut de gamme, de terroir, affichant dix ans d'élevage », confirme Véronique Muré, dont la gamme de trois effervescents est coiffée par un assemblage de chardonnay et de riesling proposé à 20,50 euros.

À Obernai (Bas-Rhin), le vigneron indépendant Marc Seilly positionne bien plus haut sa cuvée Désir, un millésime 2007 décliné en rosé et en blanc : 49 €/col, un prix qui devrait passer à 69 € en 2016. Un record ! « En moyenne gamme, les places sont prises. Autant se démarquer avec un nom, un marketing luxueux et un prix. Quel est le prix du désir ? C'est au client de décider si ce vin vaut son prix », se justifie Marc Seilly.

L'Alsace recense actuellement 530 producteurs de crémant. Et bientôt s'y ajouteront peut-être de nouveaux-venus. Et pas n'importe lesquels. Plusieurs producteurs-négociants de renom, comme la maison Hugel, réfléchiraient à se lancer dans le vin à bulles. D'autres noms circulent. Le syndicat des producteurs applaudit cette éventualité des deux mains. « Cela montrerait que le crémant est devenu incontournable. La notoriété de l'appellation en serait grandement confortée », approuve Olivier Sohler.

34,33 millions

C'est le nombre de cols de crémant d'Alsace vendus entre octobre 2014 et octobre 2015. Ce volume en fait le premier effervescent AOC de France hors Champagne. Source : CIVA

ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...

- Les Alsaciens jugent la notoriété de leurs vins insuffisante. « Les rieslings allemands sont plus connus aux États-Unis que les vins alsaciens », regrette un producteur.

- La question des niveaux de sucre résiduel dans les vins revient régulièrement sur le tapis. Beaucoup estiment qu'ils sont trop variables pour un même cépage. Cela brouille l'image du vignoble. Au point que des consommateurs hésitent à renouveler leurs achats. L'Alsace pense avoir trouvé la solution avec une nouvelle règle d'étiquetage. Ainsi, la mention « sec » figurera obligatoirement sur les étiquettes des vins correspondants à partir du millésime 2016. Cela suffira-t-elle à clarifier l'offre ? Les avis restent partagés.

ÇA MARCHE AUSSI...

- Le SlowUp, randonnée organisée chaque premier dimanche de juin, sur une trentaine de kilomètres le long de la route des vins, attire chaque année plus de marcheurs, cyclistes, patineurs... Ils étaient 15 000 en 2013, 29 000 en 2014, et plus de 36 000 en 2015.

- La route des vins demeure un atout oenotouristique inégalé. La beauté de son paysage attire des millions de touristes qui achètent près d'un quart de la production du vignoble, selon l'estimation de l'interprofession.

- Le pinot noir progresse. Avec 1 585 ha, il occupe 10 % de la surface du vignoble contre 1 218 ha en 1996. De plus en plus de maisons veulent montrer que leurs terroirs conviennent aussi au rouge.

L'essentiel de l'offre

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