L'idée que les vins corses ne se boivent pas en dehors de leur île n'est plus vraie. « Nous encourageons les producteurs à s'ouvrir à d'autres marchés que la vente locale, explique Bernard Sonnet, directeur de l'interprofession des vins de Corse. D'abord, pour limiter leurs risques et équilibrer nos parts de marché. Et parce que la concurrence d'autres vins est de plus en plus forte en Corse. » Aussi, aujourd'hui, près des deux tiers des volumes sortent de l'île et 23 % voyagent hors des frontières françaises.
Pourtant, exporter n'est pas tâche aisée pour la Corse. La région produit une forte proportion de vins rosés, qu'elle a du mal à faire voyager. De plus, les cépages corses rouges donnent souvent des vins très structurés, qui ne répondent pas toujours à la demande internationale. Enfin, l'insularité fait flamber le coût des expéditions hors de l'île.
Mais les producteurs persévèrent. Au premier rang des exportateurs figurent trois grandes coopératives. Celles-ci écoulent environ la moitié des volumes exportés. « Notre marché principal est l'Allemagne, expose Éric Mialhe, directeur export de la cave des Vignerons de l'île de Beauté. Nous travaillons depuis vingt ans avec notre importateur qui distribue nos rouges et nos blancs en grande distribution. Notre marque Corsaire réserve du Président est d'ailleurs dans le top dix des marques françaises de la grande distribution allemande. »
Une image touristique
L'Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas et le reste de l'Europe du Nord sont d'autres bons clients de la Corse. « Nos exportations se calquent sur le tourisme, en majorité venu d'Europe, analyse Christophe Paitier, œnologue de la cave des Vignerons d'Aghione (Haute-Corse), qui exporte un quart de ses volumes. Nous vendons des rouges et des blancs en Suisse, en Belgique, en Norvège et en Allemagne, où nous mettons en avant l'image de l'île de Beauté. »
Ce lien entre tourisme et exportation est en effet perceptible. Pour preuve : les touristes allemands sont parmi les plus nombreux à fréquenter l'île et l'Allemagne est le premier marché des vins corses…
Les vins corses veulent aussi miser sur leur originalité, que les producteurs souhaitent valoriser, plutôt que chercher à vendre du volume à bas prix. D'autant que la production locale n'est pas très abondante. La cave des Vignerons corsicans, qui exporte à 40 %, met par exemple l'accent sur les cépages locaux. « En Amérique du Nord, notre premier client, les vins de cépage marchent très bien, illustre Alain Mazoyer, le directeur. Nous investissons beaucoup dans notre muscat effervescent, le Muscadellu. »
Nombre de caves particulières jouent aussi le jeu, en exportant la plupart du temps de petits volumes vers des marchés de niche. L'interprofession les aide en les représentant sur les salons d'envergure internationale que sont Vinexpo, Vinisud, ProWein ou la London Wine Fair. Elle organise des opérations ponctuelles : mission de prospection en Russie au printemps dernier, journées de dégustation en Belgique deux fois par an… « Nous sommes là pour ouvrir les portes d'un pays, note Bernard Sonnet. Après, c'est aux producteurs d'entretenir le contact avec leurs importateurs. »
Les Corses ont bon espoir que leurs exportations progressent encore. L'ouverture vers des pays émergents, comme la Russie ou la Chine, le permettra peut-être. De même que la tendance actuelle des marchés traditionnels à vouloir diversifier leurs gammes, pourquoi pas avec des vins corses.
Le Point de vue de
Valentina Mendoza, responsable export de la cave des Vignerons d'Aghione (Haute-Corse). 25 % d'export.
« Le relationnel est compliqué »
« Fin octobre, j'ai tenu un stand lors des journées Vins et spiritueux organisées par Ubifrance à Moscou et Saint-Pétersbourg. La Russie est un marché émergent, avec un fort potentiel de consommateurs. Il était donc intéressant d'y aller. J'ai présenté six cuvées : un muscat pétillant, des rouges et des blancs adaptés à l'export (contenant des cépages comme le merlot), car les consommateurs russes recherchent des vins assez doux et pas trop corsés. À Moscou, beaucoup de sommeliers sont venus sur le stand pour découvrir les productions corses. À Saint-Pétersbourg, les visiteurs étaient plutôt des employés d'entreprises commerciales.
J'ai obtenu quelques contacts, mais il faudra que je les travaille sur la durée pour gagner leur confiance. Le relationnel m'a paru assez compliqué. Les gens ne connaissaient pas bien le vin et beaucoup cherchaient des prix bas. Cela n'a pas été simple de communiquer sur l'originalité des cépages, des terroirs et des vins corses. J'ai parlé en anglais, mais les Russes ne maîtrisent pas toujours cette langue. Je pense apprendre un peu le russe pour mieux développer ce marché. »