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Magazine - Histoire

Félix Kir : Ardent défenseur du vin

Florence Bal - La vigne - n°249 - janvier 2013 - page 69

Chanoine et député-maire de Dijon, il fut une figure haute en couleur de la Bourgogne d'après-guerre. Il a donné son nom à l'apéritif régional, le vin blanc-cassis, et l'a fait mondialement connaître.
Félix Kir avait bien compris que la filière viticole est une branche essentielle de l'économie française. Il n'hésitait donc pas à en faire la promotion © AFP IMAGEFORUM

Félix Kir avait bien compris que la filière viticole est une branche essentielle de l'économie française. Il n'hésitait donc pas à en faire la promotion © AFP IMAGEFORUM

« Il ne faut pas lésiner sur un apéritif. C'est une publicité peu coûteuse, favorable à l'image de la ville et au commerce. » Voilà ce que Félix Kir, alors maire de Dijon (Côte-d'Or), répondait à ses détracteurs quand ceux-ci dénonçaient la tendance de « l'hôtel de ville à devenir le plus important débit de boissons de la ville ». Il faut dire qu'à l'époque, le maire reçoit beaucoup : jusqu'à sept groupes par jour (des clubs et des associations venant du monde entier), cinq jours sur sept. Il leur sert naturellement l'apéritif en vigueur à la mairie depuis l'époque du phylloxéra : un aligoté et de la crème de cassis, deux productions locales.

En 1952, Félix Kir autorise même la maison Lejay-Lagoute à associer son nom à cet apéritif. Il entre alors dans le langage commun. De nombreux pays étrangers s'en emparent et des variantes voient le jour : le kir royal avec du champagne, le kir gaulois avec de l'hydromel et le double K : crème de cassis, aligoté et vodka.

« Les grands crus ne conduisent pas à l'alcoolisme »

Pourtant, rien ne destinait Félix Kir à acquérir cette notoriété. Né en 1876 dans une modeste famille bourguignonne – son père est un ancien cheminot devenu barbier et sa mère est fille de vignerons –, il prend le chemin du séminaire à l'âge de quinze ans. Il est ordonné prêtre dix ans plus tard, en 1901.

À partir de 1928, il prend la direction des œuvres diocésaines, avant d'être nommé chanoine en 1931. Il devient rédacteur en chef du « Bien du peuple », un hebdomadaire catholique de Côte-d'Or.

Idéologiquement, Félix Kir « ne fait guère mystère de son opposition au cartel des gauches en 1924 », puis au Front populaire en 1936, « assimilant par exemple la lutte pour les semaines de quarante heures à une mystique de la paresse », relate Louis Devance.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, il devient un héros de la résistance. Pour les Dijonnais, il reste « celui qui a accueilli vertement les Allemands en 1940 », poursuit Louis Devance dans son livre sur le chanoine. « Après la Libération, il devient le personnage charismatique autour duquel les droites dijonnaises se réorganisent, indique sa biographie de député. En 1945, il est élu maire de Dijon et député de Côte-d'Or. À 69 ans, il démarre donc une carrière politique. »

En quelques semaines, dans sa soutane noire, « il s'affirme comme l'une des figures les plus hautes en couleur de l'Assemblée nationale. Frondeur, tonitruant dans les débats, il intervient à de très nombreuses reprises sur les sujets les plus variés », peut-on lire dans sa biographie.

Il dénonce de manière récurrente les dangers de la propagande antialcoolique : « C'est une erreur, les grands crus ne conduisent pas à l'alcoolisme. (…) Sans chauvinisme, je puis vous dire que les vins de Bourgogne sont incomparables, argumente-t-il lors d'un débat sur ce thème. Il s'agit pour la France de défendre une de ses gloires et de défendre en même temps un élément de choix de notre prospérité nationale. »

Mais, parfois, il va jusqu'au déni le plus flagrant : « L'alcoolisme est un pseudo-fléau imaginé par des groupes de pression», affirme-t-il ainsi sans sourciller.

Plus tard, il dénoncera un autre danger pour la filière : le Coca-Cola. « Sa consommation ne peut que progresser au détriment du vin, de la bière, du cidre et des jus de fruits, prévient-il. Elle constitue un grave danger pour la santé physique et morale des consommateurs et pour la viticulture, branche essentielle de l'économie française. »

« Un homme simple et proche des gens »

En politique, il refuse simultanément le gaullisme et le communisme, « ni aventure, ni dictature », dit-il. Pendant vingt ans, il est réélu, à l'évidence avec des voix de tout bord. Proeuropéen, pacifiste, il prône la multiplication des jumelages et a lui-même associé Dijon à de nombreuses villes étrangères. « C'était un personnage truculent, aux réparties mordantes. (…) Un homme extraverti qui se mettait en scène avec un rare talent de communicateur », fait remarquer Louis Devance.

Dans sa région, le chanoine impulse la construction de logements, d'écoles, d'hôpitaux et… du grand lac artificiel qui porte aujourd'hui son nom. « C'était un homme simple et proche des gens », rapportent ceux qui l'ont connu.

Le chanoine meurt à l'âge de 92 ans, le 25 avril 1968, à Dijon. Il était titulaire de nombreuses décorations françaises et étrangères. Aujourd'hui, son souvenir s'est estompé, sauf auprès des Bourguignons. Mais son nom, désignant désormais le vin blanc-cassis, est passé à la postérité.

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SOURCES

« Le chanoine Kir, l'invention d'une légende », par Louis Devance, aux éditions universitaires de Dijon.

Biographie de député, Assemblée nationale.

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