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Dégustations d'assemblages chez un négociant

Michèle Trévoux - La vigne - n°250 - février 2013 - page 52

Pour obtenir des cuvées au profil constant, les négociants attachent grand soin à la sélection des vins. Comment s'y prennent-ils ? Qu'attendent-ils de leurs fournisseurs ? Cas concret avec Nicolas Dutour, acheteur aux Domaines Auriol, dans l'Aude.
Nicolas Dutour, l'acheteur des Domaines Auriol (à droite), s'entoure toujours d'un comité de dégustation composé de membres décisionnaires et de membres consultatifs, comme ici Lisa Margalef, responsable de l'administration des ventes, et Thibault Aullen, responsable marketing. PHOTOS G. BARTOLI

Nicolas Dutour, l'acheteur des Domaines Auriol (à droite), s'entoure toujours d'un comité de dégustation composé de membres décisionnaires et de membres consultatifs, comme ici Lisa Margalef, responsable de l'administration des ventes, et Thibault Aullen, responsable marketing. PHOTOS G. BARTOLI

Pour toute société de négoce, c'est une étape obligée, un moment crucial. La dégustation des échantillons représente le gros du travail de ses œnologues dès la fin des vinifications. Nicolas Dutour, œnologue et acheteur aux Domaines Auriol, maison de négoce basée à Lézignan-Corbières (Aude), détaille sa méthode pour « La Vigne »

Règle numéro un : ce n'est jamais un homme seul qui décide des assemblages, l'arbitrage est collégial. Le comité de dégustation des Domaines Auriol est composé de trois personnes décisionnaires : l'acheteur, Nicolas Dutour, le responsable contrôle et qualité, Nicolas Rager, et Matthieu Dubernet, le patron du laboratoire Dubernet, qui assure la fonction de directeur technique. D'autres employés de la société participent également aux dégustations, mais seulement à titre consultatif.

« Le regard extérieur de Matthieu Dubernet nous amène beaucoup, estime Nicolas Dutour. À trois, il est rare que nous tombions immédiatement d'accord. Il y a toujours débat, mais nos positions ne sont pas si éloignées et nous finissons toujours par nous mettre d'accord. »

Tri des échantillons

Les dégustations sont programmées en fin de journée, de 18 à 20 heures « Nous sommes moins dérangés par le téléphone. Et puis, après une dégustation, il est très difficile de se remettre au travail, car cela exige une grande concentration. C'est épuisant. » Les trois œnologues dégustent de 40 à 70 échantillons à chaque sélection.

Règle numéro deux : la dégustation est toujours ciblée sur un profil de vin. « Nous dégustons les échantillons dans un objectif très précis : sélectionner les bases d'assemblage les plus proches du profil de la cuvée que nous cherchons à reproduire », explique l'œnologue.

Pour la réalisation de Belle du Sud, un IGP Pays d'Oc à base de grenache et de syrah, la feuille de route est bien cadrée : à l'arrivée, ce vin doit avoir la puissance fruitée du grenache, de la matière et de la sucrosité, la syrah amenant la structure et le caractère épicé.

Pour l'assemblage 2012, le comité de dégustation a réalisé sa sélection parmi une vingtaine d'échantillons en provenance de six producteurs partenaires. « Nous avons éliminé trois échantillons de grenache et deux de syrah. Un de ces grenaches était intéressant, mais il avait un caractère épicé qui ne correspondait pas à notre profil. Les deux autres étaient trop maigres, avec un côté végétal lié à un défaut de maturité. Les deux syrahs étaient trop tanniques. »

Parmi les échantillons retenus, il y a un grenache très fruité que les dégustateurs pensaient parfait pour cette cuvée. Mais à l'assemblage, ils ont constaté un creux en milieu de bouche. Ce grenache n'avait pas l'onctuosité suffisante pour couvrir la structure tannique de la syrah. « Au final, nous l'avons intégré dans l'assemblage, mais dans une proportion moindre que celle imaginée au départ », confie l'acheteur.

Pour rester dans le profil défini, l'assemblage de cette cuvée de 1 000 hl sera donc légèrement modifié cette année, avec 70 % de grenache et 30 % de syrah, contre 80 % et 20 % les années précédentes.

Le vin passe à l'analyse

Une autre sélection est réalisée pour la cuvée Le Jour et la nuit, un 100 % carignan en IGP pays d'Aude à base de carignan âgé de cinquante ans. Le tri a porté sur dix échantillons en provenance de cinq vignerons partenaires. « C'est une petite cuvée de 250 à 300 hl. Les dix échantillons dépassent nos besoins, mais cela nous permet de réaliser une sélection plus large pour cibler ce qui colle le mieux à nos besoins, indique Nicolas Dutour. Il y avait des macérations carboniques et des vinifications traditionnelles sur raisins éraflés. Nous avons éliminé six des dix échantillons car ils manquaient d'onctuosité. Nous recherchons un profil très épicé avec des notes de réglisse et de cassis, de la concentration et du gras. Il s'obtient avec des petits rendements et des raisins bien mûrs. Cette année, la maturité a été plus difficile. »

Règle numéro trois : valider l'assemblage par l'analyse. Une fois les proportions déterminées, l'assemblage est réalisé en cave. Ce n'est qu'après l'assemblage que le vin passe à l'analyse. Celle-ci participe à la traçabilité. Les résultats doivent concorder avec ceux de l'assemblage réalisé en laboratoire à partir des échantillons dégustés.

Comment bien préparer et présenter ses échantillons

« Seulement un cinquième des échantillons que nous recevons sont correctement présentés. Pour nous, acheteurs, courir après les infos est une perte de temps », déplore l'œnologue Nicolas Dutour.

Voici quelques conseils de bon sens pour bien coller aux attentes des acheteurs :

La bouteille doit être remplie jusqu'en haut du goulot et correctement bouchée, quel que soit le mode de bouchage.

Si le prélèvement s'effectue avec une canne, veillez bien à plonger celle-ci jusqu'au milieu de la cuve. En cas de prélèvement au dégustateur, il est impératif de bien le purger avant le prélèvement.

L'échantillon doit systématiquement être étiqueté avec les données suivantes : nom et coordonnées du producteur, numéro de la cuve, volume disponible, résultats d'analyse (alcool, acidité totale, pH, acidité volatile, SO2 libre et total), cépages et description du profil produit.

« Si le producteur est déterminé sur un prix, qu'il le mentionne. Il peut aussi préciser s'il est prêt à négocier les prix en fonction des délais de retiraison », conclut Nicolas Dutour.

Un négoce, trois types de fournisseurs

Les Domaines Auriol sont une maison fondée en 1995 par une viticultrice, Claude Vialade. L'entreprise regroupe les activités de producteur (trois vignobles en Corbières), vinificateur et négociant en vin des différentes appellations du sud de la France. Pour l'activité négoce, elle a trois sources d'approvisionnement :

Les vignerons partenaires. Les trois œnologues de l'entreprise se déplacent dans ces caves durant toute la période des vendanges et orientent les vinifications en fonction des profils de vin qu'ils recherchent. Les volumes ne sont définitivement confirmés que lors de la dégustation finale, qui détermine les assemblages. Ces vignerons fournissent 50 000 hl, soit 50 % de l'approvisionnement de l'entreprise.

Les partenaires « experts ». Les Domaines Auriol sont en relation étroite avec eux depuis de nombreuses années. Chaque année, avant les vendanges, le négociant définit les volumes et les profils de vin attendus. Les vignerons ou caves coopératives se chargent de les élaborer.

Là encore, c'est la dégustation définissant les assemblages qui valide les volumes. Ce canal d'approvisionnement représente 30 000 hl par an (30 % du volume des achats).

Les achats spots sont destinés aux marchés de dernière minute. Ils représentent 20 000 hl par an. Pour ces achats imprévus, l'entreprise consulte en premier lieu ses fournisseurs privilégiés. En dernier recours, elle consulte les courtiers et autres négoces.

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