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Antoine Baumé était un chimiste touche-à-tout. Outre le domaine de l'alcool, il s'est intéressé à l'art ou encore aux plantes. © J. BOYER/ROGER-VIOLLET
Heureusement pour des générations de vignerons, une des découvertes d'Antoine Baumé est restée lettre morte ! Cet illustre pharmacien et chimiste du XVIIIe siècle aurait en effet réussi à élaborer un vin artificiel, sans aucun grain de raisin. Voici l'histoire telle que la raconte le pharmacien Charles-Louis Cadet de Gassicourt, dans son éloge de Baumé :
« Un jour qu'un ministre académicien vantait avec un orgueil insultant les mets recherchés qu'il offrait à ses savants collègues : puis leur versant le tokay, le constance, les vins d'Ithaque et de Chypre, voilà messieurs, disait-il, de quoi confondre la chimie. Vous ferez de bonnes drogues, mais vous n'imiterez jamais ces divines liqueurs.
Si monseigneur le permet, dit Baumé, je puis, sans sortir de table, lui prouver le contraire. J'ai fait un vin où il n'est pas entré un grain de raisin ; je crois qu'il peut soutenir le parallèle. Le ministre, piqué, accepte le défi : on court chez Baumé chercher le vin factice. On le sert confondu avec le nectar si précieux, si vanté par le ministre qui se flatte de le reconnaître et qui, en le goûtant, donne la préférence au produit chimique. On rit de sa méprise et de sa confusion. »
Le pharmacien chimiste a-t-il voulu donner une leçon à son ministre ? Nul ne le sait, mais rien ne permet de douter de la réalité de ce témoignage. L'affaire n'a pas eu de suite. Aucune industrie de fabrication de vin artificiel n'a vu le jour. Un siècle avant le phylloxéra, le monde viticole l'a échappé belle.
Antoine Baumé était autodidacte, féru de sciences et passionné par la recherche. « Simple et modeste, il évitait le grand nombre, souligne Charles-Louis Cadet de Gassicourt. Il ne cherchait point les grands et savait conserver auprès d'eux sa dignité. »
L'illustre savant naît à Senlis (Oise) le 26 février 1728, sous le règne de Louis XV. Fils d'un aubergiste, il quitte sa famille à l'âge de 13 ans pour commencer son apprentissage auprès d'un pharmacien de Compiègne (Oise). À 17 ans, il est admis dans l'officine parisienne du célèbre apothicaire Claude Geoffroy. Il est reçu maître apothicaire à l'âge de 23 ans. Dès lors, il s'associe avec un médecin chimiste connu. Ils fondent ensemble, à Paris, un cours de chimie et une petite officine de pharmacie qu'ils agrandiront.
Un travailleur acharné
En 1768, il perfectionne l'aréomètre, en inventant l'aréomètre Baumé, ainsi que la graduation correspondante, le degré Baumé. En fer-blanc ou en verre, cet instrument permet d'évaluer le poids spécifique d'un liquide par application du principe d'Archimède. Il est aussi bien utilisé pour mesurer les liquides plus denses que l'eau (pèse-sel, pèse-acide, pèse-sirop…) que ceux qui le sont moins. Dans ce dernier cas, il devient un pèse-liqueur utilisé pour « déterminer la force ou le degré de spirituosité de l'esprit-de-vin (l'alcool, NDLR) qui a été distillé », écrit Antoine Baumé. Une fois l'aréomètre plongé dans le liquide, on relève la graduation à la surface du liquide. Il faut également en mesurer la température. L'aréomètre Baumé étant étalonné à 15°C, il faut corriger les relevés pratiqués à d'autres températures en se reportant aux tables réalisées par le savant. « Le pèse-liqueur ne peut rien faire connaître sur la qualité des vins, estimait-il. (…) L'esprit-de-vin, dans le vin, ne se manifeste pas au pèse-liqueur, au prorata de la quantité qu'il en contient, parce qu'il est mêlé et combiné avec d'autres substances plus pesantes. » En d'autres termes, le pèse-liqueur Baumé ne convient pas à la mesure du degré alcoolique d'un vin.
Antoine Baumé était un travailleur acharné. Il a réalisé, en parallèle de son travail d'apothicaire, d'innombrables recherches. « Les collections académiques et les journaux savants sont remplis de ses travaux, raconte Charles-Louis Cadet de Gassicourt. Il s'est tour à tour occupé de la cristallisation des sels, des phénomènes de la congélation, de la fermentation, de la putréfaction. Il a soumis à l'analyse toutes les plantes. Son officine et ses laboratoires étaient moins des ateliers que de grandes manufactures… Il dirigeait les travaux, les expliquait à ses élèves, il rectifiait les procédés. »
Il se consacre à l'application de la chimie aux arts
Tout au long de sa vie, il a écrit des livres de vulgarisation qui ont connu un grand succès comme : « Éléments de pharmacie théorique et pratique » et « La pharmacopée ». En 1778, il a publié le fruit de trente années de recherche sur la distillation : « Mémoire sur la meilleure manière de construire les alambics et fourneaux propres à la distillation des vins pour en tirer des eaux-de-vie ».
En 1780, Antoine Baumé cède son officine. Dès lors, il se consacre à l'application de la chimie aux arts : mise au point de procédés de teinture ou de dorure, fabrication de porcelaine, etc. Ruiné par la Révolution, il meurt le 13 octobre 1804.
