Chez le caviste Nicolas Julhès, rue du faubourg Saint-Denis, Paris Xe, samedi 23 mars Rencontrer le vigneron rassure toujours le client

ANIMATION Nicolas Julhès sait sa clientèle parisienne exigeante. Outre la qualité et un large choix de produits, elle veut ce petit plus qui lui fait vivre une expérience sensorielle. Les animations en magasin sont fréquentes. Morceaux choisis d'une dégustation menée par un vigneron.

La boutique fleure bon le fromage de qualité et les raviolis frais. Il est vrai que le magasin de Nicolas Julhès, spécialisé dans les vins et les spiritueux, dispose d'un rayon épicerie fine très cotée dans le quartier. L'établissement est aussi apprécié pour ses animations régulières, notamment ses soirées dégustations et ses rencontres avec un vigneron. Alain Chabanon, viticulteur à Lagamas (Hérault), fait partie de ces fournisseurs qui montent à Paris pour présenter leurs vins en direct. Ce matin, il arrive un peu avant 11 heures dans le magasin de la rue du faubourg Saint-Denis. Le commerçant et le viticulteur se connaissent bien : le Parisien commercialise les vins du Languedocien depuis sept ans. Alain Chabanon, lui, organise une animation pour Nicolas Julhès une fois par an. Il confie avoir un peu de mal avec cette activité : « Il faut être très commercial, voire un brin hâbleur… Moi, je suis plutôt réservé. J'adore parler de mes vins mais à des amateurs. Je n'aime pas faire de la retape… » L'homme s'installe et prépare les quatre vins présentés sous son nom dans la boutique : il y a trois AOC Coteaux du Languedoc, vendues entre 14,50 et 33 euros la bouteille, et une IGP Pays d'Oc 100 % merlot à 29 euros.

Peu décidé à aller vers les quelques clients qui se présentent dans le magasin en ce milieu de matinée, Alain Chabanon attend patiemment que l'un d'entre eux se décide à venir goûter l'une de ses bouteilles. Son flegme finit par payer… du moins dans un premier temps. Un monsieur âgé de 85 ans venu faire ses courses prend les devants : « Vous êtes de quelle région ? » « Du Languedoc. Vous voulez goûter ? » propose alors Alain Chabanon. L'octogénaire lui décoche une moue peu agréable. « Je n'aime pas beaucoup les vins du Languedoc. Ils sont durs. » Le client se laisse quand même tenter et goûte le verre que lui tend le viticulteur. Les lèvres du monsieur ont à peine touché le vin que le cou peret tombe : « Oui, c'est bien ce que je disais. Il est dur. » Alain Chabanon reste de marbre. Peu de temps après le départ de ce client peu amène, le producteur lance, un brin agacé : « Voyez, c'est cela qui est dur dans le métier. C'est presque une humiliation d'entendre de telles âneries. Pourtant, on ne peut rien dire. Ce monsieur est persuadé de s'y connaître et il avait une idée préconçue sur les vins du Languedoc. Rien n'aurait pu le faire changer d'avis. »

Vers 11 h 30, l'affluence gagne la boutique. Plusieurs clients semblent intéressés par la dégustation du vigneron mais déclinent l'offre, faute de temps. Parmi ces Parisiens pressés, Jérôme, 37 ans, est venu acheter de quoi accompagner son brunch du samedi. Côté vin, il se sert toujours dans le coin promotion. « J'ai choisi un vin bio à 5,80 euros », explique-t-il. « Je me suis dit : "Bio, c'est bon pour la santé." Autant bien commencer le week-end ! » souri-t-il.

Dans la file d'attente de la caisse, Taylor, 64 ans, d'origine anglaise, décline gentiment la dégustation d'Alain Chabanon. « J'ai demandé au caviste un vin pour accompagner le fromage de chèvre que je viens d'acheter. Je lui fais totalement confiance. » Et de plaisanter : « D'ailleurs, je ne sais même pas quelle appellation il m'a vendue. Il m'a dit que ce serait bon. Je sais que la bouteille coûte autour de 8 euros. C'est tout ! » Après avoir réglé ses courses, la sexagénaire se ravise et décide de goûter aux vins d'Alain Chabanon. Elle démarre avec le 100 % merlot, apprécie et demande : « C'est combien cette merveille ? » « 29 euros », répond le viticulteur. « Ah quand même ! » rétorque, un brin étonnée, la cliente. Et d'ajouter : « Par principe, je n'achète jamais un vin à plus de 15 euros la bouteille. » Alors que notre Britannique semble visiblement intéressée pour en savoir plus sur la gamme du viticulteur, elle demande : « Vous avez une carte à me laisser ? » « Non, je les ai oubliées. » Décidément, ce n'est pas le bon jour pour Alain Chabanon… La cliente s'en va. Certainement une occasion manquée.

Il est 12 h 30, notre viticulteur a pris ses marques. Il est plus à l'aise pour aborder les clients qui se pressent dans la boutique, l'heure du déjeuner approchant. Christophe, bobo parisien, est venu acheter une « bonne bouteille » pour des amis qu'il reçoit le soir même. Il se montre tout de suite intéressé par la dégustation. Le jeune homme profite de la présence du professionnel pour poser des questions sur l'élevage des vins. Il demande aussi des conseils sur le service. « J'ai lu qu'il fallait ouvrir une bouteille assez longtemps avant de la servir. Est-il bon de l'ouvrir carrément la veille ? » Le viticulteur confirme la bonne façon de faire. Le client, content, repart avec une cuvée d'Alain Chabanon de 1998, vendue 35 euros la bouteille. Flacon que le caviste est allé chercher dans la réserve. « C'est important de pouvoir rencontrer le producteur. C'est la meilleure personne pour expliquer comment le produit a été fabriqué », explique le jeune parisien. Des propos confirmés par Baya, quinqua en visite dans la capitale. « Dès qu'une dégustation est proposée par un producteur, je goûte. Je n'achète pas toujours, même si le produit me plaît. En revanche, je prends les références et j'achète après. »

Tout aussi organisé, Guillaume, 41 ans, acheteur d'un coteaux du Languedoc à 14,50 euros d'Alain Chabanon, sort son iPhone pour photographier l'étiquette de la cuvée Trélans, un IGP Oc blanc que lui a fait goûter le viticulteur et qu'il a appréciée. « La prochaine fois, c'est celle-ci que j'achèterai », assure-t-il. Le viticulteur sourit : « Trélans, c'est le nom de la commune sur laquelle est produit ce vin. Mais c'est un nom qui me va bien car j'aime prendre mon temps. Pour produire le vin et pour le déguster. »