« Dans le Languedoc-Roussillon, le poudrage est très répandu, notamment chez les bios », affirme Nicolas Constant, conseiller technique chez Sudvinbio (ex-AIVB-LR). Même chose en Dordogne où, d'après une enquête d'Agrobio Périgord, 23 % des vignerons bios ont appliqué des poudrages au soufre en 2012.
Mais cette pratique perce aussi en viticulture conventionnelle et dans les vignobles septentrionaux. « Depuis quatre ou cinq ans, nous notons un retour des poudrages, indique Laurent Paupelard, responsable technique et environnement chez Soufflet Vigne, un distributeur de produits phytosanitaire. L'oïdium est plus agressif. Nous avons des témoins non traités présentant 100 % d'intensité d'attaque sur grappes. Le soufre, notamment sous forme de poudre, revient en complément de la lutte classique à partir de la fin de la floraison. »
Pas de résistance au soufre. François Dal, de la Sicavac à Sancerre (Cher), confirme : « Beaucoup de viticulteurs se sont rééquipés de poudreuses. La pratique est revenue d'abord chez les bios puis s'est étendue aux autres viticulteurs. Dans notre vignoble, nous avons de gros soucis avec les strobilurines et les IDM. Nous observons des pertes d'efficacité de ces antioïdiums. Face à cette situation, les viticulteurs refont des poudrages. » Pierre Morin, viticulteur à Bué (Cher) sur 9,5 ha, a ainsi acheté une poudreuse en 2009 pour traiter ses parcelles sensibles à l'oïdium. « Je n'utilise que du soufre pour lutter contre cette maladie. Et j'applique systématiquement un poudrage à la chute des capuchons floraux. Dans les parcelles vulnérables, j'en effectue un deuxième juste avant la fleur et un troisième juste avant la fermeture de la grappe. Depuis, je n'ai plus aucun problème d'oïdium », assure le vigneron qui avait essuyé des attaques en 2004.
Même regain d'intérêt en Bourgogne. Dans cette région, Pierre Petitot, conseiller de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or, constate que l'an dernier, les viticulteurs en conventionnel qui ont intercalé des poudrages à leur programme classique ont obtenu de meilleurs résultats que les autres.
« Toutes formulations confondues, il y a un retour au soufre, atteste Philippe Sunder, de Cerexagri, la firme qui commercialise Fluidosoufre. Et le poudrage suit cette tendance. Cette formulation a toujours eu une certaine part de marché qui tourne autour de 150 000 ha déployés et qui n'est jamais descendue en deçà de 140 000 ha. En 2012, on est monté à 200 000 ha déployés. »
Pourquoi un tel regain ? Car le soufre n'est pas sujet aux résistances. Sa réintroduction dans les programmes permet donc de casser le cycle des souches résistantes. Autre avantage : le soufre en poudre a un effet curatif. « Il rattrape pas mal de situations. Il sèche le champignon. Après un poudrage, il n'y a plus d'évolution vers l'éclatement des baies », explique Magdalena Girard, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime. Enfin, un poudrage est plus rapide qu'un traitement classique. Et les vignerons « ont l'impression que le produit pénètre mieux au cœur de la souche », note Nicolas Constant, conseiller technique à Sudvinbio.
En Anjou, où l'oïdium est aussi monté en puissance, la CAPL (Coopérative agricole des Pays de Loire) a acheté deux poudreuses portées Calvet d'une capacité de 150 kg chacune en 2011. Ces machines permettent de traiter 6 ha. « Nous les louons aux viticulteurs pour 50 euros la journée », rapporte Sébastien Beauvallet.
Mais les conditions d'application du soufre en poudre sont contraignantes. Ce dernier agit par effet vapeur. Et ce sont les UV qui le vaporisent. Il faut donc une forte luminosité pendant au moins 24 à 48 heures après un traitement. Un temps sec et sans vent est également nécessaire, car le soufre en poudre est très volatil. « Le vent est un important facteur de baisse d'efficacité », prévient François Dal. Philippe Sunder détaille : «
En ce qui concerne la formulation, le viticulteur peut opter pour du soufre sublimé ou trituré. « Dans le sublimé, les particules sont plus homogènes, relève Nicolas Constant. Il est plus fluide et permet une meilleure répartition sur la cible. Le trituré a des particules plus grossières, ce qui peut augmenter le risque de phytotoxicité. On peut donc penser que le sublimé est plus efficace, mais aucune étude ne le prouve. »
Un produit irritant. Ensuite, il faut une poudreuse. « Ces appareils sont relativement rustiques et peu précis », remarque Nicolas Constant. Pour que l'application soit efficace, il faut donc mettre de grosses quantités de soufre, « de l'ordre de 25 à 30 kg/ha pour le soufre sublimé et 40 kg/ha pour le trituré », précise Bernard Molot, de l'IFV pôle Rhône Méditerranée. De même, si la cuve de la poudreuse est trop volumineuse, le soufre peut se tasser. Pour pallier ce problème, il existe des poudreuses équipées d'un système de mélange mécanique ou par ventilation. « Ainsi, la poudre est toujours en mélange dans la cuve », indique Éric Maille, d'Agrobio Périgord.
Enfin, il faut manipuler les sacs de poudre, qui sont lourds, et bien se protéger, car le soufre en poudre est irritant. « Aucune muqueuse ne doit être à découvert », insiste Laurent Paupelard. L'idéal est donc d'avoir un tracteur équipé d'une cabine filtrée. Sinon, combinaison, gants, masque et lunettes sont indispensables. De même, il est impératif de respecter le délai de rentrée dans les parcelles, car l'effet vapeur peut durer plusieurs jours.
Vers une réduction des doses ?
Comme pour le cuivre, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation réfléchit à la réduction des doses de soufre en poudre. « Elle part du principe que le soufre en poudre est plus dangereux pour l'utilisateur que le soufre mouillable », rapporte Marc Chovelon, du Groupe de recherche en agriculture biologique. L'Institut technique de l'agriculture biologique a donc lancé une consultation nationale afin de connaître les utilisations du soufre en poudre en viticulture et en arboriculture bio. Les résultats montrent qu'il reste incontournable.
La plupart des viticulteurs bios l'appliquent une à deux fois au cours de la saison. Les doses utilisées sont importantes : 20 à 30 kg/ha. « Nous n'avons pas encore trouvé le moyen de les réduire, précise Marc Chovelon. En arboriculture, certains utilisateurs réduisent les doses de soufre et complètent avec une poudre inerte. Il faudrait donc mener des essais pour voir si cette pratique a un intérêt en viticulture. »
Le Point de vue de
FANNY MONBOUCHÉ, VIGNERONNE AU DOMAINE THEULET-MARSALET, À MONBAZILLAC (DORDOGNE), 27 HA DE VIGNES CONDUITES EN BIO
« Les contraintes sont importantes »
« Nous réalisons des poudrages depuis longtemps. Nous essayons d'effectuer deux passages préventifs en encadrement de la floraison si la météo le permet. Pour le premier poudrage, nous visons le tiers ou la moitié de la floraison. Nous positionnons le deuxième environ dix jours plus tard. Nous pouvons en appliquer un troisième si l'état sanitaire se dégrade. Le poudrage est intéressant pour son effet choc et son effet curatif contre l'oïdium. Mais les contraintes sont importantes. Le vent est vite gênant, donc je poudre le matin de bonne heure. J'aime bien qu'il y ait un petit point de rosée pour que la poudre se fixe mieux sur la cible. Je ne traite pas au-delà de 10-11 heures car le soufre fleur entre en action à partir de 25°C. Au-delà de cette température, il devient très irritant pour les yeux. Je suis équipée d'une poudreuse Rotabel d'une capacité de 500 kg. J'ai donc une autonomie de 12 à 15 ha. Je la remplis la veille du traitement. Je verse douze sacs de 25 kg de soufre pour avoir une dose moyenne de 20 kg/ha et j'ajoute 25 % d'argile bentonitique.
Cela rend le soufre moins compact, le mélange est plus fluide. La machine ne nécessite pas de gros réglages.
Le lendemain, je réalise le poudrage pendant 2 heures à 2 heures et demie puis je recharge la machine pour terminer le traitement le surlendemain. Mon tracteur n'a pas de cabine donc pour me protéger, je mets des lunettes. Malgré ça, il y a quand même du soufre qui passe et picote un peu les yeux. »
Le Point de vue de
DANIEL GODEFROY, CHEF DE CULTURE DU DOMAINE PRIEUR À MEURSAULT (CÔTE-D'OR), 21 HA DE VIGNES.
« Un investissement de l'ordre de 3 000 euros »
« Depuis 2000, nous avons une approche bio mais nous ne sommes pas certifiés. Ces dernières années, l'oïdium est devenu un vrai problème. Nous en voyons de plus en plus, même dans le pinot noir pourtant moins sensible que le chardonnay. Nous avons donc intégré des poudrages à notre programme de traitements. Si les conditions météo sont optimales, nous en réalisons un à deux dans les zones à risque. Nous les intercalons entre deux traitements classiques. Nous appliquons le premier poudrage lors de la chute des capuchons floraux. Nous essayons d'en effectuer un second entre la nouaison et la fermeture de la grappe. L'effet choc est intéressant. Pour réaliser ces traitements, nous avions déjà une poudreuse d'une capacité de 80 à 100 kg et nous venons d'en acheter une seconde d'une capacité de 150 kg pour 3 000 euros. Les deux sont montées sur nos enjambeurs. Pour les charger, c'est compliqué. Une personne conduit l'enjambeur. Une autre le suit avec un camion contenant les sacs de poudre et un escabeau. Elle réapprovisionne la poudreuse au fur et à mesure. Ces personnes sont protégées par des gants, une combinaison et un masque spécial pour protéger les yeux. Le traitement en lui-même est rapide car nous roulons à 7 ou 8 km/h, contre 5 km/h pour un traitement classique. En plus, nous traitons plusieurs rangs à la fois (quatre rangs pour la petite poudreuse et six avec la grande).
En une journée avec les deux poudreuses, nous pouvons traiter tout le domaine. »