Retour

imprimer l'article Imprimer

VENDRE

« Sur un marché, il faut savoir accrocher les clients »

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°256 - septembre 2013 - page 53

LE DOMAINE RIGOT, À JONQUIÈRES, DANS LE VAUCLUSE, vend ses vins sur le marché paysan de Velleron depuis vingt ans. Une activité qui rapporte plus de contacts que de chiffre d'affaires et qui exige d'être patient, persévérant et accrocheur.
JOËLLE RIGOT est présente sur son emplacement du marché de Velleron (Vaucluse) tous les jours d'ouverture : tous les après-midi, sauf le dimanche, en été et les vendredis et samedis d'octobere à avril. PHOTOS C. SARRAZIN

JOËLLE RIGOT est présente sur son emplacement du marché de Velleron (Vaucluse) tous les jours d'ouverture : tous les après-midi, sauf le dimanche, en été et les vendredis et samedis d'octobere à avril. PHOTOS C. SARRAZIN

JOËLLE RIGOT RETIENT LES CLIENTS sur son stand en leur lançant : « Bonjour ! Si vous voulez déguster, laissez-vous tenter ! Tout est frais, blanc, rouge, rosé. » L'été, la phrase fait mouche.

JOËLLE RIGOT RETIENT LES CLIENTS sur son stand en leur lançant : « Bonjour ! Si vous voulez déguster, laissez-vous tenter ! Tout est frais, blanc, rouge, rosé. » L'été, la phrase fait mouche.

Yseult, fonctionnaire, et Olivier, menuisier (ci-contre). « Originaires de Belgique, nous séjournons quinze jours en Provence l'été depuis six ans. Nous fréquentons le marché de Velleron régulièrement et nous achetons à Joëlle Rigot un bib de 10 litres de rosé chaque année. Nous l'entamons ici et nous le terminons en Belgique pour prolonger les vacances ! »

Yseult, fonctionnaire, et Olivier, menuisier (ci-contre). « Originaires de Belgique, nous séjournons quinze jours en Provence l'été depuis six ans. Nous fréquentons le marché de Velleron régulièrement et nous achetons à Joëlle Rigot un bib de 10 litres de rosé chaque année. Nous l'entamons ici et nous le terminons en Belgique pour prolonger les vacances ! »

Vendredi 19 juillet, 18 heures. Un coup de sifflet retentit. Le très prisé marché paysan de Velleron, dans le Vaucluse, ouvre ses portes. Tous les ans, il attire 15 000 personnes ! Joëlle Rigot, à la tête du domaine Rigot, à Jonquières, avec son mari Camille, y vient depuis vingt ans pour vendre ses vins ainsi que des confitures et sirops de menthe et d'orgeat fabriqués par sa fille Nathalie.

Les premiers clients se pressent. Le jeune producteur de légumes en face de la viticultrice est d'emblée pris d'assaut. Tomates charnues, aubergines luisantes, courgettes vertes et jaunes garnissent, en un clin d'œil, les cabas grands ouverts. Les haricots verts d'un autre producteur, cueillis le jour même, partent comme des petits pains.

« C'est toujours ainsi, observe la vigneronne en donnant un coup de main à son voisin débordé. Les clients s'approvisionnent d'abord en produits frais. » Le vin, c'est le superflu, l'achat d'impulsion que l'on effectue en dernier. D'autant qu'une bouteille ou un carton, ça pèse lourd dans le panier de courses. « Aucune vente ne ressemble à une autre, poursuit Joëlle Rigot. Hier, j'ai fait un tabac avec mon côtes-du-rhône rouge cuvée Jean-Baptiste Rigot à 5,90 euros. Avant-hier, c'était très varié. J'ai vendu des côtes-du-rhône rouges et rosés à 6,50 euros, des vins de France à 4 euros ou des Bag-in-box de cinq litres à 11,40 euros…»

Terre connue. Aujourd'hui ? Réponse à la clôture du marché, à 20 heures. Joëlle Rigot se trouve ici en terre connue. Elle est là tous les jours d'ouverture : tous les après-midi de mai à septembre, sauf le dimanche, puis tous les vendredis et les samedis d'octobre à avril. L'abonnement coûte 50 euros par an, plus 3 euros par jour à l'entrée.

Le matin, elle prépare son camion aménagé par Camille, son époux. Joëlle reconstitue le stock en fonction des ventes de la veille. « Je transporte l'équivalent d'une cave : trente bouteilles de chaque cuvée et de chaque millésime, soit 400 cols environ ! »

En plus des bouteilles, elle emporte soixante bibs de cinq litres, quarante de trois litres et dix de dix litres, moitié côtes-du-rhône, moitié vins de France, et deux glacières dans lesquelles elle dépose une bouteille du dernier millésime de chacune de ses cuvées dans les trois couleurs. « L'été en Provence, le mercure dépasse allègrement les 30°C, rappelle-t-elle. Il est primordial de proposer du vin frais aux clients. » Elle tient aussi à faire déguster dans des verres en verre. Elle emporte donc un cubitainer d'eau de cinq litres pour les nettoyer.

Joëlle doit impérativement arriver à 17 h 30. Sans quoi sa place est attribuée aux non-abonnés. 17 h 10, la voici à bon port. Elle installe son stand : une table pliante à trois étages qu'elle recouvre d'une nappe colorée. Elle couche une bouteille de chacune de ses onze cuvées sur l'étagère la plus basse. Une étiquette indique le prix de vente. Elle garnit l'étagère du haut de bibs. Elle pose les confitures et les sirops sur le côté droit de la table. Puis elle prépare ses tarifs, sa monnaie et glisse les deux glacières sous la table. Elle est prête.

La foule arrive. « J'espère que je vais vendre », souffle-t-elle. Pour y parvenir, il faut accrocher le chaland. Joëlle a sa tactique. Dès qu'un passant s'approche, elle lui tend un dépliant de son domaine comportant la liste des cuvées en lui lançant de son accent chantant : « Bonjour ! Si vous voulez déguster, laissez-vous tenter. Tout est frais, rouge, rosé, blanc ! » Un jeune homme prend le prospectus. Joëlle enchaîne tout de go : « Vous désirez quelle couleur ? » « Rouge », répond-il. « Plutôt léger ou puissant ? », enchaîne-t-elle. Va pour le plus corsé ! Joëlle sert sa cuvée Prestige des Garrigues 2011, un côtes-du-rhône à 6,50 euros. Mais son interlocuteur trouve le vin « trop froid » et passe son chemin.

Affluence. Joëlle ne désarme pas. Elle continue de distribuer ses dépliants en hélant les passants. Après une bonne demi-heure sans résultat, un couple se présente spontanément sur le stand. « C'est ici ! lancent-ils. Nous avons des chambres d'hôtes et l'un de nos clients nous a recommandé votre rosé demi-sec. » Joëlle désigne sa cuvée Extase à 6,90 euros et en explique la vinification. « Il est doux car nous stoppons la fermentation. Ainsi, le sucre ne se transforme pas intégralement en alcool. Il est aussi peu alcoolisé, II°. » Sûr de son fait, le couple achète une bouteille sans déguster.

Dans la foulée, un passant demande à goûter le sirop de menthe. De jeunes parents questionnent la vigneronne sur ce qu'est la confiture de gratte-cul, un drôle de terme qui amuse leurs enfants. « Elle provient des fruits de l'églantier », renseigne Joëlle. Intrigués, ils en prennent un pot.

Pendant ce temps, un autre couple patiente. En un instant, un petit attroupement s'est constitué devant le stand. Joëlle doit faire vite, en gardant le sourire et détend l'ambiance. « Ces afflux de clients sont difficiles à gérer, admet-elle. Il arrive que certains s'en aillent. »

Le couple n'a pas perdu patience. Il a eu le temps de choisir : un rosé en bib de cinq litres. « J'en ai deux différents, leur indique la vigneronne. Vous souhaitez déguster ? » Ils acceptent et choisissent le vin de France, plus « aromatique » à leur goût et économique : 11,40 euros les cinq litres. Joëlle leur propose de garder cet achat encombrant jusqu'à leur départ. Ravi, le couple opine du chef. Avant de partir, Joëlle n'oublie pas de leur tendre le coupon pré-imprimé qu'elle a toujours à portée de main pour recueillir les coordonnées de ses nouveaux clients.

Difficultés économiques et concurrence. « Les personnes qui consentent à déguster sont de plus en plus rares, observe-t-elle cependant. Les ventes sont moins aisées. » Heureusement, il y a les habitués. Comme cet habitant du coin qui débarque en sifflotant. Tous les quinze jours, il lui achète un bib de dix litres de rosé en vin de France.

Les affaires se corsent lorsqu'un groupe de jeunes femmes à l'accent germanique s'arrête devant son stand. Joëlle ne parlant pas anglais, elle montre ses bouteilles pour savoir ce qu'elles souhaitent déguster. C'est du blanc qui les intéresse.

Joëlle leur sert deux cuvées : le côtes-du-rhône et le vin de France. Les jeunes femmes semblent connaisseuses, elles goûtent avec application. Le bon rapport qualité prix du vin de France, 4 euros la bouteille, emporte leur adhésion. Elles en achètent trois.

19h 30, le marché touche à sa fin. Montant de la recette : 88 euros. Aujourd'hui, les bibs ont eu du succès. La veille, la vigneronne avait engrangé 66 euros et 88 euros l'avant-veille. Les bons jours, elle réalise jusqu'à 150 euros. « C'est moins que par le passé, confie-t-elle. Les ventes reculent depuis quelques années. Les gens consomment moins et l'on ressent les difficultés économiques. »

La concurrence s'est aussi intensifiée. « Au départ, nous étions seuls sur le marché de Velleron. Aujourd'hui, nous sommes six vignerons. »

La famille Rigot a donc investi de nouvelles places. Depuis 1998, leur fils Laurent se rend sur le marché paysan de Graveson (Bouches-du-Rhône), à une soixantaine de kilomètres du domaine, les vendredis après-midi de début mai à fin octobre.

Joëlle déplie encore son stand sur le marché de la place des Carmes, à Avignon, tous les samedis depuis deux ans. Cette année, elle teste le marché de Saint-Martin-d'Ardèche, en Ardèche, les mercredis matins. « Les journées sont chargées », reconnaît-elle.

Enrichir le fichier clients. Les Rigot produisent sur leur domaine de 50 ha 1 500 hl par an dont ils vendent la moitié en bouteilles. La vente au domaine représente 58 % de ce volume, les salons 28 %, l'export 11 % et les marchés 3 % seulement.

« À l'époque, nous avons misé sur ce circuit pour diversifier nos ventes », expose Joëlle Rigot. Bien qu'il pèse peu, le domaine y maintient sa présence, car il génère des retombées. « Sur les marchés, nous enrichissons notre fichier clients en collectant les coordonnées des touristes, indique Laurent Rigot. Nous récupérons en moyenne une vingtaine d'adresses par jour. Nous convions ensuite ces clients aux salons des vignerons indépendants auxquels nous participons. » Certains touristes rencontrés sur les marchés viennent parfois visiter le domaine.

Avec 66 % des volumes vendus sur les marchés, celui de Velleron génère l'essentiel des recettes. Graveson arrive en deuxième position avec 30 % des ventes. Mais la famille Rigot risque de ne plus y participer l'an prochain, car il est en perte de vitesse. La décision interviendra à la fin de la saison. Vendre sur les marchés n'a rien d'une sinécure

ATTIRER LE CLIENT ET LE CERNER RAPIDEMENT

Optez pour un marché valorisant. La famille Rigot privilégie les marchés paysans. Ils drainent une clientèle dont le panier moyen est souvent supérieur à celui d'un marché classique.

En été, proposez du vin frais. Joëlle entrepose les vins qu'elle fait déguster dans deux glacières. Elle envisage l'acquisition d'un mini-réfrigérateur pour pouvoir vendre des blancs et des rosés frais.

Attirez le regard. Sur les marchés, le regard des visiteurs est sollicité. Pour attirer l'œil, Joëlle Rigot installe un imposant mathusalem au nom du domaine. Elle met ses tarifs et ses prospectus bien en vue.

Utilisez le bib comme vecteur de communication. La famille Rigot a eu la bonne idée d'indiquer sur ses bibs les jours et horaires des marchés où elle se rend. Elle y mentionne même les salons auxquels elle participe.

Soyez efficace. La vente sur un marché diffère de celle au caveau. Dès qu'un client s'arrête sur le stand, il faut cerner ce qu'il souhaite (blanc, rouge ou rosé) et ses goûts (fruité, doux, léger ou corsé).

On a rarement le temps d'entrer dans des explications détaillées sur la vinification ou le domaine. En revanche, une fois l'achat effectué, donnez un conseil sur la température de service ou une idée de recette.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :