MARCHÉS DU ROSÉ Démarrage en trombe

Stocks au plus bas, vendanges tardives, petite récolte dans la vallée du Rhône et à Bordeaux : tout se conjugue pour un démarrage sur les chapeaux de roues des échanges de rosés en vrac. Le point sur quatre marchés en effervescence.

Languedoc : Les caves bousculées comme jamais

Sitôt finis de fermenter, sitôt enlevés. La campagne démarre fort pour les rosés en Languedoc. Un phénomène qui touche aussi les blancs. « Depuis la mi-août, nous étions à sec, indique Louis Servat, courtier à Gruissan, dans l'Aude. Et la récolte tardive a retardé l'arrivée du nouveau millésime. De ce fait, les premières transactions en vin de France sont intervenues dès que les vins étaient secs. Les retiraisons se sont faites dans la foulée, dès la première semaine d'octobre. »

« Depuis le début de la récolte, le négoce est à l'affût, témoigne Jean-Luc Trinquier, directeur de la cave de Puilacher, une grosse coopérative de la vallée de l'Hérault qui vinifie environ 180 000 hl par an. Nous avons essayé d'anticiper, mais avec cette année tardive, ce n'était pas simple. Dès les fermentations terminées, nous avons collé à la bentonite nos premiers lots de rosés et de blancs, puis pratiqué une filtration tangentielle pour être en mesure de les livrer tôt. Fin octobre, nos acheteurs avaient déjà retiré 5 000 à 6 000 hl, surtout des vins de France rosés. »

« C'est la première année depuis vingt ans que nous sommes ainsi bousculés. Heureusement, les fermentations se sont bien déroulées et nous avons pu tout vendanger sans faire de pause pour attendre la maturité. Le syndicat du Pays d'Oc a aussi avancé le démarrage des commissions de dégustation. Nous avons pu déposer nos premières demandes de labellisation le 10 octobre pour des vins qui l'ont été le 18 octobre. C'est la première fois que nous sortons des lots aussi tôt », confirme Jérôme Cadario, directeur de la cave de Montagnac, dans le Gard. Début novembre, sa coopérative avait déjà livré près de 3 000 hl de rosés IGP Pays d'Oc sur les 16 000 qu'elle a produits cette année.

D'autres caves corroborent ce climat d'empressement. « Des metteurs en marché avec lesquels nous n'avons pas l'habitude de travailler nous appellent, cherchant des rosés et des blancs en vin de France », confie Alain Tastavy, directeur de la cave de Sérignan, dans l'Hérault.

« Il y a une demande forte pour des enlèvements rapides autant par le négoce vraqueur que par le négoce embouteilleur. Ce qui bloque, c'est que les vins ne sont pas prêts. Le marché des blancs et rosés va devenir plus actif à partir de la mi-novembre », soutient Bruno Crouzet, courtier basé à Gallargues, dans le Gard.

Dans ce contexte, les prix sont fermes. Les IGP Pays d'Oc rosés se négocient aux alentours de 75 €/hl, contre 74 €/hl en moyenne en 2012- 2013. Les vins sans IG rosés partent autour de 64 €/hl, en hausse par rapport à l'an dernier.

Car même si le nouveau millésime arrive avec du retard, le Languedoc- Roussillon devrait avoir de quoi approvisionner ses clients. Selon les prévisions du ministère de l'Agriculture, 13,2 millions d'hectolitres y ont été récoltés cette année, soit 4 % de plus que la moyenne quinquennale. Et il semblerait que les caves aient privilégié la vinification en rosé. « Nous avons produit 3 000 hl de plus que l'an dernier, précise, par exemple, Jérôme Cadurio. À la demande de nos clients, nous avons fait pour la première fois des merlots rosés (2 000 hl) et du cabernet sauvignon (1 000 hl). »

Provence : Le risque d'une surchauffe des cours

Pour les rosés AOC de Provence, la situation est également tendue puisque les stocks sont exceptionnellement bas. Comme chaque année, les syndicats ont obtenu une dérogation pour un déblocage du millésime au 1er décembre, quinze jours plus tôt que ne le prévoit le code rural.

Pour pouvoir libérer les vins à cette date, « nous encourageons nos producteurs à faire leurs déclarations de récolte et de revendication avant le 10 novembre, quitte à faire des déclarations partielles, relate Philippe Brel, directeur d'Estandon Vignerons, le plus gros groupement de producteurs de Provence, qui commercialise 200 000 hl de vin de Provence par an. Nous voulons pouvoir enlever le nouveau millésime dès le 20 novembre afin d'avoir le temps de préparer les vins et de les livrer le 1er décembre ».

Reste à savoir comment évolueront les cours. En fin de campagne 2012- 2013, le côtes-de-provence rosé a atteint 200 €/hl, contre une moyenne de 177 €/hl sur la campagne. Certaines transactions se sont même faites à 230 €/hl. Beaucoup craignent un emballement. « Il serait raisonnable que les cours se situent entre 180 à 200 €/hl pour le côtes-de-provence. Au-delà, on risque de casser la belle dynamique de nos rosés », estime Philippe Brel. Il sera peut-être entendu, car la récolte s'annonce plus importante que l'an dernier, avec plus de 900 000 hl contre 854 000 hl en 2012.

IGP Méditerranée : Une possible rupture d'approvisionnement

Le grenache a coulé dans la Drôme, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, qui sont de gros producteurs d'IGP Méditerranée, une dénomination dont la moitié des volumes est en rosé. La perte de récolte est estimée entre 25 et 30 %. Un coup dur pour cette IGP en pleine croissance avec 230 000 hl de rosés échangés en vrac en 2012-2013, soit 20 % de plus que la campagne précédente.

« Cette petite récolte pourrait marquer un coup d'arrêt à cette dynamique, s'inquiète Pierre Martin, acheteur chez le négociant Moncigale, à Beaucaire (Gard). Les difficultés d'approvisionnement conjuguées à une hausse des cours risquent de pousser nos clients distributeurs à se reporter sur d'autres produits. » « Nous nous sommes fait piéger par la récolte tardive, explique Christophe Lesage, directeur de la cave des Vignerons du roi René, à Lambesc (Bouchesdu- Rhône). Nous sommes en rupture du fait du décalage de la mise en marché du millésime 2013. Nous avons déjà labellisé 1 000 hl, dont une partie en primeur. Pour l'autre partie, nous avons plaidé la rupture de stock afin d'être labellisé en même temps que les primeurs. »

Bordeaux : Des prix et des échanges en hausse

À Bordeaux aussi, la campagne démarre sur les chapeaux de roues. L'interprofession a enregistré 22 000 hl de bordeaux rosés vendus en vrac (tous millésimes) d'août à octobre, contre 9 600 hl à la même époque en 2012. Le vignoble manque de disponibilités et le négoce prend les devants. Jean-Philippe Code, directeur du service économie du CIVB, l'interprofession, souligne que la récolte 2013 est en net retrait pour l'ensemble des vins, tout comme les stocks. « Les sorties de bordeaux rosé durant la campagne 2012- 2013 ont dépassé de plus de 30 000 hl le volume récolté en 2013 », rappelle-t-il. Elles se sont élevées à 216 000 hl pour une récolte de 185 000 hl.

Dans ce contexte, les prix démarrent bien au-delà de 1 097 euros le tonneau de 900 litres, le prix moyen enregistré par le CIVB en 2012-2013. Éric Meynaud, qui produit du rosé depuis six ans à Landerrouat (Gironde), a déjà fait affaire avec ses deux acheteurs habituels, Grands chais de France et GRM, un négociant basé à Pineuilh, dans l'Entre-deux-Mers. « J'ai déjà 300 hl retenus à 1 200 euros le tonneau de 900 litres. L'an dernier, j'étais à 1 050 euros le tonneau. Les 200 hl restants vont partir très vite », signale-t-il.

De son côté, le courtier Éric Échaudemaison observe l'évolution des comportements : « Le bordeaux rosé n'est plus ce marché d'opportunisme où le négoce pouvait jouer des coups sur des produits peu qualitatifs. Nombre de viticulteurs signent des contrats avec des négociants avant de produire les rosés. Le négoce anticipe et le viticulteur se sécurise », commente-t-il.

Bruno Fontana (13 500 hl de rouge, 600 de rosés), à Gensac (Gironde), ne dit pas autre chose. Depuis trois ans, il produit du rosé. En août dernier, il a signé un contrat avant les vendanges avec Œnoalliance pour 416 hl de rosé, à 1 250 euros le tonneau. « C'est très sécurisant », atteste-t-il. Il faut dire qu'Œnoalliance est en confiance. Il s'approvisionne pour 5 000 à 6 000 hl de rouge chaque année auprès de Bruno Fontana.