1 - Définissez votre projet
Pourquoi souhaitez-vous vous lancer dans l'élevage en barriques ? Est-ce pour développer la notoriété de votre domaine ? Pour répondre à une demande de vos clients ? Pour vous engager sur de nouveaux circuits ? À l'export ? Voici quelques-unes des questions à vous poser pour définir votre projet. Il est également nécessaire de vous interroger sur votre capacité à vendre cette cuvée à un prix rémunérateur.
« Cette analyse stratégique est essentielle, témoigne Stéphane Hébrard, ingénieur commercial œnologue chez Seguin Moreau. J'ai vu beaucoup de producteurs se lancer dans un élevage bois sans l'avoir menée. Ils ont élaboré de très beaux vins, mais n'ont pas été capables de les vendre. Au final, ces bouteilles sont bradées et l'expérience tourne court. »
2 - Calculez votre prix de revient
Une barrique neuve coûte aux alentours de 600 euros. Ce seul investissement se traduit par un coût de 0,60 à 0,70 euro par bouteille pour une utilisation de la barrique pendant trois ans. À cette dépense s'ajoutent tous les frais d'élevage (ouillage, bâtonnage, suivi analytique des vins, entretien des barriques...), sans compter les dépenses d'aménagement d'un local dédié, le cas échéant. Au total, le surcoût se situe entre 1,50 et 2 euros la bouteille pour les seuls frais l'élevage.
Enfin, la création d'un packaging plus haut de gamme vient alourdir la facture : meilleur bouchon, bouteille plus lourde, étiquette plus travaillée, etc. « Il est difficile d'envisager un élevage en fûts pour des vins vendus moins de 10 euros la bouteille, estime l'œnologue Jean Natoli. Pour des prix de vente inférieurs, mieux vaut utiliser des douelles ou des copeaux. »
3 - Anticipez le casting de vos parcelles et cépages
« L'élevage se prépare lors de la vinification et la vinification se prépare à la vigne »Pour des prix de vente inférieurs, mieux vaut utiliser des douelles ou des copeaux. », affirme Jean Natoli. C'est donc là qu'il faut commencer à travailler le projet d'élevage en barriques en réfléchissant aux parcelles ou aux cépages à sélectionner. L'objectif est de tout mettre en œuvre pour obtenir des raisins bien mûrs et assez concentrés et structurés pour supporter le passage en barrique.
« Jusqu'ici, en Languedoc, les cuvées haut de gamme étaient à dominante de syrah, cépage qui se prête bien à l'élevage en barrique. Pour se démarquer, certains vignerons s'orientent sur le grenache, qui offre beaucoup de finesse dans ces cuvées haut de gamme », note Jean Natoli. « Le grenache est plus oxydatif, nuance Gérald Lafon, œnologue conseil à l'ICV en vallée du Rhône. Il s'accommode mieux de contenants plus grands (demi-muids ou foudre) et d'un élevage plus court. »
4 - Prévoyez un chai adapté
Pour Gérald Lafon, il est impératif de disposer d'un local dédié à l'élevage en fût. « Ce serait dommage de se lancer sans être dans de bonnes conditions », argumente-t-il. Le chai à barriques doit être aménagé dans un local isolé et thermorégulé. L'humidité doit y être maintenue entre 70 et 90 %. L'aspect esthétique doit également être soigné si on veut utiliser le chai comme outil de communication.
5 - Sélectionnez vos barriques
Six critères interviennent dans la sélection des barriques : l'origine du bois, la taille du grain, la chauffe du bois, la taille et l'âge du contenant et enfin le tonnelier. Le bois américain marque beaucoup plus que le chêne français, apportant des notes de noix de coco. Pour des notes fumées et grillées, il faut des chauffes moyennes à fortes. Pour des arômes plus discrets, il est préférable d'opter pour les chauffes légères.
« Pour orienter au mieux nos clients, il nous faut un descriptif précis du profil de vin qu'ils recherchent », indique Stéphane Hébrard. « Quand on démarre, il est intéressant de tester plusieurs options : utiliser des barriques d'âges différents, plusieurs types de chauffe et différents tonneliers, pour se faire une idée de leur impact sur son vin », conseille Gérald Lafon.
6 - Dégagez du temps
L'élevage en barriques requiert un suivi plus rapproché que l'élevage en cuve. « Avec du vin en cuve, on peut se contenter d'une analyse tous les deux mois. En barrique, mieux vaut effectuer un contrôle tous les mois, préconise Gérald Lafon. Il faut également pratiquer des ouillages réguliers : généralement une fois par semaine pour les barriques neuves et tous les quinze jours pour les fûts d'un vin ou plus. » Enfin, les barriques doivent être dégustées régulièrement pour déterminer la fréquence des soutirages, contrôler la prise de bois et comparer les différents fûts. À volume équivalent, le nettoyage des fûts est également plus long que celui des cuves béton ou inox.
7 - Faites preuve de patience
« On peut obtenir de beaux vins dès la première année. Mais dans la plupart des cas, il faut au moins trois millésimes pour trouver la bonne formule », évalue Gérald Lafon. Il faut également se montrer patient pour le retour sur investissement.
L'élevage sous bois dure de six à dix-huit mois, après quoi il convient de stocker les bouteilles au moins six mois. La mise en marché de ces vins est donc décalée d'un à deux ans par rapport à une cuvée classique.
« Il est plus judicieux de commencer sur des petits volumes et augmenter les quantités en fonction du succès rencontré », recommande Jean Natoli. Avant d'ajouter : « Élever ses vins en barriques exige de la rigueur, ce qui a des effets bénéfiques sur l'ensemble de la gamme. »
FRANCK LÉONOR, DOMAINE DE LA ROUVIOLE, 30 HA DE VIGNES À SIRAN (AUDE), DANS LE MINERVOIS « Je manque de vin pour mes cuvées en barrique »
« J'ai toujours su qu'un jour ou l'autre, je viendrais à la barrique. J'ai vécu à Bordeaux, en Gironde. J'aime les vins concentrés et boisés. Quand j'ai repris cette propriété familiale à la fin des années quatre-vingt-dix, nous ne vendions qu'en vrac. Ma priorité a été de rénover le vignoble en plantant de la syrah et du grenache.
J'ai également équipé la cave pour améliorer la qualité et envisager une valorisation en bouteille. C'est à la faveur d'une rencontre avec Jean-Luc Thunevin, producteur négociant à Bordeaux, que j'ai démarré un élevage en barriques. Il nous fournissait les fûts ainsi que le mode opératoire et vendait le vin à l'export sous sa marque.
Notre collaboration a pris fin en 2004 quand les premières difficultés de commercialisation sont apparues sur le marché américain. J'ai continué à élever en barriques la totalité de ma production en AOC Minervois la Livinière et une partie de mon minervois parce que les résultats étaient probants. Les premières années n'ont pas été faciles. J'ai fait des salons et participé à de nombreuses missions à l'étranger pour me faire connaître. Aujourd'hui, je manque de vin pour mes deux cuvées haut de gamme vendues de 11 à 18 euros TTC la bouteille (15 000 à 20 000 cols par an), mais il m'a fallu près de dix ans pour atteindre ce résultat. Techniquement, je suis encore en phase d'exploration : j'expérimente chaque année un nouveau tonnelier, je teste différentes chauffes et différentes tailles de contenants. Je suis loin d'avoir fait le tour du sujet. »