Avec le fisc, il ne faut pas faire le mort. C'est ce que l'on peut retenir de l'affaire tranchée par le Conseil d'État le 30 janvier 2013. Certes, les faits ne concernent pas des agriculteurs, mais cette décision intéresse tous les contribuables.
Les faits sont les suivants : Richard Crésus connaît bien le droit. Il sait que les placements financiers dans les départements et territoires d'outre-mer bénéficient d'avantages fiscaux. Il monte donc aux Caraïbes une société de charters en mer, baptisée Navilux. Après avoir profité pendant des années des avantages fiscaux attachés à ces opérations, notre homme constate que sa société perd de l'argent. Il négocie avec un dénommé Louis Dor la cession de la majorité des parts de Navilux. Comme les résultats de l'entreprise sont mauvais, la cession est déclarée au fisc pour 1 euro.
À l'époque de la fameuse transaction, Richard Crésus avait fait une déclaration négative de revenus. De quoi attiser la curiosité des inspecteurs fiscaux. Après quelques recherches, ces derniers découvrent qu'au moment de la cession des parts de Navilux, des virements bancaires de 400 000 euros ont été effectués à destination de son compte. Les fonctionnaires veulent des précisions. Par trois courriers au moins, ils proposent un rendez-vous à Richard Crésus pour obtenir des éclaircissements par oral.
Richard Crésus fait le mort. Faute de réponse, la procédure fiscale débute. L'administration lui adresse une demande de justification (articles 60 et 66 du code de procédure fiscale ou CPF) réclamant des éclaircissements sur la déclaration de cession de parts pour 1 euro.
Finalement, à défaut d'explications valables, les services fiscaux procèdent à une taxation d'office des revenus des époux Crésus, comme ils en ont le droit en pareilles circonstances (article 69 du CPF). La taxation d'office octroie à l'administration fiscale un pouvoir considérable : elle peut évaluer seule, compte tenu des informations à sa disposition, le montant de l'impôt dû par un contribuable. Indirectement, la taxation d'office a pour effet de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable : c'est alors à lui de démontrer que son redressement est injustifié.
L'administration fiscale a calculé l'impôt dû par les Crésus en se basant sur leur train de vie. Ceux-ci avaient deux voitures, résidaient en métropole mais avaient une résidence dans les îles, un bateau et du personnel de maison. Le redressement a été douloureux.
Richard Crésus a alors saisi le tribunal administratif pour contester la taxation d'office. Il a été débouté en première et deuxième instance. Il a alors formulé un pourvoi devant le Conseil d'État.
D'abord, les juges affirment que « le caractère contradictoire que doit revêtir l'examen de la situation fiscale [...] d'un contribuable [...] interdit au vérificateur d'adresser la notification de redressement [...] sans avoir au préalable engagé un dialogue contradictoire ». En clair : le fisc doit discuter avant de frapper ! Les juges rappellent aussi, qu'en cas de contrôle, « l'administration doit remettre au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable ». Dans notre affaire, le contrôleur avait bien respecté ce devoir. Mais devait-il rechercher un dialogue sous forme écrite, alors que Richard Crésus n'avait pas donné suite aux propositions de rendez-vous ?
Sur ce point, les juges précisent qu'il « ne résulte d'aucun principe qu'il incomberait au vérificateur de rechercher un dialogue sous forme écrite dans l'hypothèse où le contribuable n'aurait pas donné suite à une ou plusieurs offres de dialogue oral ». Pour les juges, « l'absence de dialogue dont se plaignaient [les contribuables] résultait de leur attitude et non de celle de l'administration ». Les Crésus n'avaient pas été privés de leurs garanties de défense. En revanche, ils n'auraient pas dû faire les morts.