Selon les dernières estimations, l'Alsace a récolté près de 950 000 hl en 2013, soit quelque 170 000 hl de moins qu'en 2012. La filière ne s'alarme pas trop de cette deuxième petite récolte en quatre ans, après celle de 2010.
Trois raisons sont avancées pour expliquer cette attitude. D'abord, la qualité du millésime. Sans être exceptionnel, le 2013 devrait plaire grâce à de belles acidités. Ensuite, parce que le rythme annuel de commercialisation stagne depuis deux ans à 1 050 000 hl. Enfin, parce les disponibilités sont très satisfaisantes. Elles sont en effet comprises entre 2,5 et 2,6 millions d'hectolitres (stock à la propriété au 31 juillet plus nouvelle récolte). « Globalement, il y aura assez de vins pour satisfaire nos marchés », analyse Jean-Louis Vézien, directeur du Conseil interprofessionnel des vins d'Alsace (Civa).
Georges Lorentz, de la maison Gustave Lorentz, qui vinifie 10 000 hl par an à Bergheim (Haut-Rhin), expose les choses plus crûment. « La consommation et les ventes au caveau chutent, observe-t-il. La commercialisation est très difficile. Par conséquent, l'offre en vrac augmentera. » Ce négociant estime que malgré la petite récolte, les producteurs ne spéculent pas sur une hausse des cours durant la campagne. « J'ai déjà eu des offres de vendeurs de vrac pour le nouveau millésime. Ils ne retiennent pas leurs vins », signale-t-il.
Risque d'inflation. Des tensions sont néanmoins possibles sur certains cépages comme le gewurztraminer, le muscat, le pinot noir, voire le riesling, dont une partie des volumes a été transférée vers le marché des vins de base pour le crémant. Les cours du vrac ont frémi dès les vendanges, progressant de 5 % en moyenne tous cépages confondus entre octobre et décembre 2013. Le gewurztraminer s'affichait ainsi début décembre à 3,17 euros le litre, le pinot noir à 2,58 euros et le riesling à 1,96 euro.
Au bas de l'échelle, le sylvaner ne progresse que de 3 %. À l'opposé, le vin de base crémant enregistre la plus forte hausse : 9 %, à 2,40 euros le litre, les ventes de crémant continuant à progresser.
Voyant venir la petite récolte, certains ont pris les devants, comme la coopérative Wolfberger, à Eguisheim (Haut-Rhin), qui achète une partie de son approvisionnement à des viticulteurs indépendants. « Nous nous sommes couverts avant la récolte en vin de base pour le crémant, se félicite Hervé Schwendenmann, le président. Nous n'aurons pas à restreindre nos ventes. »
D'autres s'inquiètent du risque d'inflation. « La hausse des prix doit rester acceptable car elle est délicate à répercuter sur nos acheteurs. En 2010, les cours du vrac ont bondi de 25 à 30 %. Cela a été préjudiciable commercialement. Malgré un retour à la normale, nous n'avons pas forcement retrouvé les marchés perdus », explique Bernard Schaal, directeur de la Cave du roi Dagobert, à Traenheim (Bas-Rhin), 950 ha d'apports.
« La hausse sera limitée, tout simplement parce que la grande distribution, qui représente les trois quarts des débouchés des vins d'Alsace, n'en accepte aucune », confie un courtier sous couvert d'anonymat. « Les enseignes tirent les prix vers le bas. Le vendeur de raisin n'est plus très bien rémunéré », reconnaît Georges Lorentz.
Pour faire plier les Alsaciens, les enseignes les menacent de remplacer leurs vins par d'autres origines. « Cela fait partie du jeu commercial entre octobre et janvier. Les grandes surfaces brandissent cette menace mais ne l'exécutent pas toujours », rappelle Olivier Biecher, directeur des Vins Biecher, qui achètent 55 000 hl de vins d'Alsace par an.
« Quand j'annonce une augmentation à un client, il m'informe que tel ou tel autre de ses fournisseurs maintient son prix », signale Georges Lorentz. « Je préfère ne pas conclure un marché plutôt que de vendre à un prix trop bas que je ne pourrai pas tenir en raison de l'augmentation du prix du vrac », affirme Olivier Biecher.
Côté production, d'aucuns considèrent la faible récolte 2013 comme un aiguillon pour faire preuve de davantage de pugnacité commerciale en 2014. « Ce sera l'occasion de revaloriser les prix de vente », estime Jean-Claude Rieflé, du domaine Rieflé, à Pfaffenheim (Haut-Rhin), 17 ha en production.
Concurrence chilienne. « Tant mieux si les prix se raffermissent ! À Noël, les consommateurs ont pu acheter du crémant à 3,99 euros la bouteille et des vendanges tardives à 9,90 euros. Ces promotions massacrent l'image des vins d'Alsace. Je ne pleurerai pas si ces marchés ultradiscount et non rémunérateurs disparaissent », grince Jérôme Bauer, président de l'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava).
Si l'Alsace doit abandonner des débouchés, elle le fera prioritairement en France. C'est un arbitrage que Jean-Claude Rieflé se dit prêt à rendre. Car il n'est question pour personne de laisser tomber l'export, où la profession a intensifié ses efforts depuis 2009. Sur les dix premiers mois de 2013, le vignoble alsacien y enregistre une hausse de ses ventes de 3 %. Cette progression compense le terne marché français, où plusieurs enseignes n'ont pas atteint leurs prévisions de ventes.
Pour autant, rien n'est gagné. « Attention, prévient Olivier Biecher, il est compliqué d'aller à l'export avec des prix à la hausse. Le Chili a réalisé une très belle récolte. Ses vins seront compétitifs sur des pays consommateurs qui ne sont pas forcément attachés à nos vins. »
950000 HL
C'est la récolte 2013 sur les 15 300 ha du vignoble alsacien. C'est 19 % de moins qu'une récolte moyenne, laquelle s'est établie à 1,135 million d'hectolitres entre 2008 et 2012. Malgré cela, les disponibilités sont élevées.
Le Point de vue de
Jacques Schoepfer, vigneron indépendant sur 11 ha à Wintzenheim (Haut-Rhin)
« Je vendrai moins de vrac »
« Mon vignoble est réparti sur sept communes. J'ai un peu tout connu cette année : une petite sortie de grappes sur pinots noir et gris, la coulure sur auxerrois, une sécheresse en juillet et des brûlures sur riesling. J'ai enregistré 20 à 40 % de dégâts sur un hectare grêlé. J'ai récolté 67 hl en moyenne en alsace générique. J'ai rentré 680 hl au lieu de 760 hl en 2012, qui était déjà une année sous la normale. J'ai bien vendu ce millésime. Et je dispose de peu de stock. C'est le problème. Je vais devoir mettre mon gewurztraminer, mon pinot gris et mon pinot noir 2013 sur ma carte dès mars 2014, dans la foulée de leur mise en bouteilles. Cet hiver, je ne vendrai que 40 hl de vin de base à crémant au lieu des 80 à 100 hl habituels. Je garderai tout mon riesling pour mes ventes directes alors que d'habitude, j'en vends une petite partie en vrac au printemps. Le prix du vrac montera certainement un peu, mais je ne m'attends pas à des miracles. Je souhaitais développer l'export. Mais je me montrerai moins virulent sur ces marchés cette année. Je pense profiter de la tolérance d'achats à concurrence de 10 % pour acheter un peu de vin. J'envisage de créer une SARL de négoce. J'espère que 2014 sera un millésime précoce que je pourrai mettre en bouteille dès décembre. Il y a quelques années, j'avais déjà réussi à faire la soudure de la sorte. »