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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

SAVOIE En état de manque

AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 54

Les récents hivers neigeux ont ramené les touristes dans les stations savoyardes. Malheureusement, les vignerons n'ont pas assez de vin après deux petites récoltes.

C'est rageant : le tourisme marche plutôt bien en Savoie, mais le monde viticole risque de ne pas profiter pleinement de ce contexte porteur. La rupture de stock se profile sur certains vins. Pierre Viallet, président de l'interprofession, analyse : « Notre production moyenne quinquennale se situe à 125 000 hl. Mais en 2012, nous avons récolté 117 000 hl et là, nos estimations se situent à 110 000 hl pour 2013. À fin juillet, nos stocks étaient en baisse, en rouges comme en blancs. Sur certains cépages, comme la roussette, nous étions à - 12 %. »

En ce début de campagne, les disponibilités n'ont jamais été aussi basses. Michel Quenard, le président de l'ODG des vins de Savoie, est catégorique : « Nous allons manquer de certains produits, notamment d'AOC Roussette et de vins de base pour faire nos effervescents. »

Pire : cet état de manque est aggravé par le fait que la récolte a été tardive. « La Savoie commercialise 60 % de ses vins entre décembre et mars », rappelle Pierre Viallet. Et cette année, la saison en station démarre fort. Le niveau de réservation est supérieur à l'an passé, qui avait déjà été une très bonne année. La clientèle est donc là, mais certains vins ne sont pas encore prêts. « Les vins rouges de cépage mondeuse nécessitent un temps d'élevage assez long. Idéalement, il faudrait attendre la sortie de l'hiver pour les mettre en marché », affirme Michel Quenard. Pas sûr que tous les producteurs aient la patience, ou les moyens, d'attendre.

Le manque de vin ne peut qu'entraîner une revalorisation des prix. « Selon les produits, je m'attends à des hausses comprises entre 5 et 20 % », déclare le négociant Charles-Henri Gayet, à la tête de la maison Adrien Vacher. Cet opérateur a monté une SAS de distribution avec les caves coopératives de Chautagne et du Vigneron savoyard. La structure écoule presque 20 % du total des vins de Savoie.

Reste à faire accepter les hausses aux acheteurs. Mi-décembre, Charles-Henri Gayet était en pleine négociation avec la grande distribution : « C'est difficile. La GD est globalement peu encline à accepter des montées de prix. Certaines enseignes affirment que ce n'est pas la peine de venir discuter si l'augmentation dépasse 2 %. »

Ce qui l'inquiète, c'est la pleine conscience que chaque référencement perdu dans la grande distribution nationale sera bien difficile à reconquérir. Charles-Henri Gayet est lucide : « Si un restaurateur savoyard se doit d'avoir du vin de Savoie sur sa carte, un linéaire de supermarché parisien, en revanche, peut très bien se passer de nos vins. »

Dans le même temps, ce négociant a parfaitement conscience que la production a besoin d'une revalorisation des prix. Certains secteurs, notamment en Combe de Savoie, ont été très touchés par les pertes de récolte dues au printemps frais et pluvieux.

« Des parcelles ont perdu jusqu'à la moitié de leur production, assure Pierre Viallet. Si les prix n'augmentent pas de façon substantielle, c'est-à-dire entre 10 et 25 % suivant les cépages, on risque de voir entre trente et cinquante exploitations disparaître. Je préfère perdre quelques référencements plutôt que des exploitations. »

180 000 HL

Les disponibilités en vin de Savoie sont au plus bas. Avec une récolte estimée à 110 000 hl et 70 000 hl en stock au 31 juillet, elles s'élèvent à 180 000 hl. C'est 7,8 % de moins que l'an passé et le volume le plus bas depuis dix ans alors que la saison touristique hivernale démarre bien.

Le Point de vue de

Gilles Clerc, président de la cave de Chautagne (52 coopérateurs, 130 ha), à Ruffieux (Savoie)

« Encore une année complexe »

Gilles Clerc © S. FRAPPAT

Gilles Clerc © S. FRAPPAT

« L'an passé, la cave a produit 5 000 hl. Cette année, 6 000 hl. Or, nous commercialisons 7 000 hl par an. Fin juillet, nous n'avions plus que 2 600 hl en stock... Nous commercialisons environ 10 % de nos volumes en vrac. Lors de la dernière campagne, nous avons vendu nos AOC Savoie gamay rouges 133 €/hl et 150 €/hl pour les rosés. Les crus sont partis à 200 €/hl. Cette année, nous pensons appliquer une augmentation d'au moins 10 %. Au caveau (30 % des volumes), notre fourchette de prix est comprise entre 5 et 13 euros TTC le col. Comme d'habitude, nous allons appliquer une hausse d'environ 3 % pour l'inflation, mais pas plus. Le gros de nos ventes (60 % des volumes), s'effectue via la SAS créée avec le négociant Adrien Vacher et la cave du Vigneron savoyard. À trois, il est plus facile de compenser les pertes de récolte. Au final, les clients devraient être approvisionnés et nous ne devrions pas perdre de marché. Ce qui m'inquiète, c'est la baisse de production à la cave et son incidence sur la rétribution des coopérateurs. Nous avons maintenu les rémunérations sur la petite récolte 2012. Nous pensons faire de même sur 2013. Mais, cela ne sera pas possible si nous avons une troisième petite récolte. En tant que coopérateur, la perte de récolte enregistrée en 2013 va être compliquée à gérer. J'ai 14 ha en production et il me faudrait faire des économies sur mes coûts de production. J'aimerais diminuer mes charges en phyto mais, suivant l'année, cela peut se solder par des pertes de raisins. Déjà, je ne mets plus d'engrais depuis deux campagnes et je me dis que cela a peut-être eu un impact sur le volume récolté. J'ai parfois l'impression d'être pris dans un cercle vicieux. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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