Bourgogne : « Notre patrimoine est parti en une année »
« Au début, on voit des symptômes sans savoir de quoi il s'agit. Puis on apprend que c'est de la flavescence dorée. Alors, on est en colère : on réalise qu'on va perdre l'investissement d'une vie. On est abattu. » L'émotion est encore palpable dans ces mots de Catherine et Éric Giroud. Leur domaine de 14 ha autour d'Uchizy, en Saône-et-Loire, vit des heures difficiles. Au printemps 2013, le couple a dû arracher 2,6 ha (14 % de sa surface totale). Il s'agissait principalement d'une jeune vigne de sept à seize ans, qu'il avait mis sept années à planter. « Ce patrimoine est parti en une année », se désole Éric Giroud. Un choc d'autant plus violent que l'arrivée de la chrysomèle du maïs les oblige à faire des rotations sur les 45 ha de céréales qu'ils cultivent en plus de la vigne.
À l'automne 2012, le Sral (service régional de l'alimentation) dénombre 33 % de pieds atteints sur ces 2,6 ha. Le couperet tombe. Éric Giroud doit arracher. Le préjudice avoisine 275 000 euros selon le viticulteur qui compte tout : perte de récolte sur plusieurs années, frais d'entretien du sol, de replantation... Sans oublier qu'il doit aussi arracher 2 500 pieds malades sur d'autres parcelles voisines renfermant moins de 20 % de ceps contaminés.
Comme les Giroud, leurs voisins ne connaissaient pas la flavescence dorée. Au début, la découverte de la maladie a provoqué « des réactions de rejet. Nous nous sommes sentis seuls dans notre désespoir ». Puis, après quelques réunions d'explication, la solidarité s'est mise en place. « Nous ne pourrons jamais remercier assez tous ceux qui nous ont aidés pour arracher les vignes condamnées. Nous n'avions pas le coeur à le faire. Ça nous rendait malade », reconnaît tristement Catherine. Éric, lui, n'en dort toujours pas.
D'autant que les difficultés se sont enchaînées pour l'exploitation. La campagne 2012 a été dure à plus d'un titre pour les deux viticulteurs. Outre la découverte de la flavescence dorée, les pertes de rendement ont fait chuter d'un tiers leur récolte (40 hl/ha). Et les charges ont grimpé.
« Affaiblis. » En 2013, pour amortir tous ces chocs, la Safer propose au domaine de louer 4 ha à 18 km de son siège. Les exploitants acceptent ce fermage. Toujours « pour passer le cap », ils trouvent cinq autres hectares à travailler. Pour couvrir les frais de culture de ces 9 ha supplémentaires, ils empruntent 45 000 euros. « Ces décisions, prises en désespoir de cause, nous ont affaiblis », analysent-ils après coup.
Au total, une dizaine d'exploitations sont fragilisées par ces arrachages. À Chardonnay, Nicolas Laugere, jeune coopérateur avec son père, est le deuxième plus touché en Bourgogne après Éric Giroud. Son installation ne remonte qu'à 2006. Sur 28 ha, il a dû arracher 1,6 ha l'hiver dernier.
Il a également dû supprimer près de 10 000 pieds dans les parcelles voisines. Il ne les a pas remplacés, « de peur de travailler inutilement ». La parcelle et ces 10 000 pieds arrachés, « c'est 10 % de l'exploitation qui a disparu ». À ce fléau s'ajoutent les 7 000 plants qu'il a fallu remplacer ces deux dernières années en raison de l'esca.
« Nous avons dû embaucher pour faire face à ces tâches supplémentaires. » Pour Nicolas, « c'est aussi la vie privée et le moral qui en pâtissent ». Les mêmes questions se reposent sans cesse : pourquoi la maladie s'est-elle développée ? Comment ? Combien cela va-t-il coûter au final ? Une chose est sûre, Nicolas salue la solidarité dont il a bénéficié pour l'arrachage de sa parcelle et de ses pieds condamnés.
La cave de Lugny, principal metteur en marché au coeur du foyer, a vu l'équivalent d'« une exploitation entière disparaître en 2012 », confie Marc Sangoy, son président. La cave va proposer à ses adhérents des aides à la trésorerie. Elles apporteront un soulagement mais n'effaceront pas les blessures causées par l'arrivée de la flavescence dorée. CÉDRIC MICHELIN
Bouches-du-Rhône : « 40 000 euros de pertes par an »
Fin septembre 2013, un énorme foyer de flavescence dorée a été découvert dans les Bouches-du-Rhône, à Orgon et Eygalières, un secteur où 80 % des vignes sont conduites en bio. Les vignobles Benoît, à Orgon, sont les plus touchés. Ils doivent arracher 17 des 41 ha exploités (voir « La Vigne » n° 260) et sont contraints de prendre des mesures drastiques pour survivre à cette épreuve.
Sur la même commune, le domaine de Valdition est moins frappé. Malgré cela, la flavescence dorée va lui coûter cher. Cette exploitation comprend 80 ha répartis sur deux sites. « Un seul pied malade a été détecté sur l'un des sites, indique Bertrand Malossi, le directeur. Sur l'autre, ce sont quelques centaines. » Aucune parcelle ne comprend plus de 20 % de ceps malades. Le domaine n'est donc pas contraint d'en arracher en totalité. « Mais je vais tout de même arracher une petite vigne de 0,3 ha, où 7 % des pieds sont atteints, et le bout d'une autre parcelle, où une centaine de pieds présentent des symptômes. Je vais également accélérer la restructuration de notre vignoble en renouvelant 10 ha sur deux ans. »
Nouvelles prospections. Cette année, Bertrand Malossi devra faire des traitements obligatoires contre la cicadelle de la flavescence dorée sur tout son domaine. Or, en bio, un seul produit, le Pyrévert, est autorisé et trois applications seront nécessaires.
« Nous évaluons le coût du traitement insecticide et celui de la main-d'oeuvre pour prospecter et arracher les souches suspectes à 40 000 euros par an, et ce pour plusieurs années. Ce montant ne prend même pas en compte les pertes liées à l'arrachage prématuré des vignes et au remplacement des pieds arrachés », calcule Bertrand Malossi, qui n'est peut-être pas au bout de ses peines. En effet, de nouvelles prospections doivent avoir lieu l'automne prochain. « Nous ne connaîtrons l'ampleur réelle des dégâts qu'après cela », imagine-t-il. CHRISTELLE STEF
Cognac : « Heureusement que le marché est porteur »
« Ce n'est pas la fin du monde », philosophe d'emblée Laurent Soulard. Ce double actif, viticulteur sur 5 ha à Saint-Pierre-de-Juillers, en Charente-Maritime, et comptable, a pourtant vu la flavescence dorée décimer ses ceps. Il se souvient de la chronologie des faits. « En 2008, il n'y avait rien. En 2010 sont apparus les premiers symptômes. En 2011, j'ai encore produit le rendement autorisé sans problème. » Le correspondant local de la Fredon (Fédération régionale de lutte contre les organismes nuisibles), qui était passé cette année-là par ses vignes, n'avait rien remarqué.
Explosion. « Mais en 2012, la flavescence a explosé sur une parcelle de 2 ha qui avait une quarantaine d'années. » La mauvaise nouvelle est venue de l'entrepreneur qui faisait les vendanges en prestation. « J'avais vu ma parcelle jaunir en août. Mais je ne savais pas de quoi il s'agissait. Je ne connaissais pas la flavescence dorée », témoigne le viticulteur. Selon les schémas habituels, la flavescence apparaît une première année sur un à deux pieds, puis sur une dizaine l'année suivante et sur une centaine l'année d'après. « Mais là, la parcelle est passée de moins de dix pieds touchés à plus 70 % l'année suivante. »
En 2012, il n'y a pas eu de récolte sur sa parcelle contaminée. Il l'a arrachée en 2013. « Je l'ai replantée immédiatement après, parce que le marché du cognac se porte bien », assure Laurent Soulard.
Puis, toujours en 2013, il a découvert des cicadelles et quelques pieds contaminés sur une parcelle de 3 ha voisine. « C'est moi qui l'ai déclarée, indique-t-il. Nous aurions pu la sauver. Mais plutôt que d'entreplanter, j'ai préféré tout arracher. » Les coûts de replantation ont été entièrement à sa charge. Mais le viticulteur n'a pas hésité, dans le but de fournir un « marché heureusement porteur ».
MYRIAM GUILLEMAUD
L'étau se resserre autour de la maladie
En 2013, les viticulteurs de Cognac ont prospecté 62 % de la superficie du vignoble. Une autre prospection, certifiée celle-ci, a été menée par l'Entreprise d'insertion en viticulture et agriculture (EIVA) sur 300 ha. La Fredon a inspecté 3 000 parcelles dans des communes limitrophes de celles où la flavescence avait été détectée en 2012. Enfin, le syndicat des pépiniéristes a mené ses propres recherches sur 500 m autour des vignes mères pour pouvoir vendre des plants indemnes. Au total, dix-huit communes hébergent au moins un pied de vigne touché. Dix d'entre elles sont en dehors du périmètre de lutte obligatoire. Cependant, moins d'une centaine de pieds ont été repérés. Sur l'ensemble du vignoble, seules cinq parcelles ont plus de 20 % de pieds malades et doivent être arrachées. Parmi elles, quatre ne produisent du raisin que pour la consommation familiale. La surface totale concernée est faible : 2,83 ha.
Accalmie dans les champs, pas dans les médias
La Bourgogne a été confrontée à d'importants arrachages début 2013 après la découverte de la flavescence dorée dans le nord du Mâconnais en 2011 et en 2012. Plus de 12 ha de vignes et des milliers de ceps ont disparu en application de la lutte obligatoire. Heureusement, les prospections réalisées fin 2013 n'ont révélé que peu de nouveaux foyers. Cette année, seulement 0,6 ha est condamné à l'arrachage. Mais la maladie s'est propagée dans les médias après la convocation au tribunal d'Emmanuel Giboulot, un vigneron bio qui a refusé de réaliser le traitement obligatoire contre la cicadelle en Côte-d'Or. Une affaire qui a ravivé bien des plaies.