Depuis 2007, l'Inra de Pech rouge, dans l'Aude, réalise des essais avec un décanteur centrifuge. Cet appareil est destiné à remplacer les pressoirs et certains filtres. Il peut « extraire des jus de vendange égrappée pour les vins blancs et rosés ou des moûts de vendanges rouges thermotraitées. Il peut clarifier des jus de presse, des fonds de cuves, des lies... », énumère Carole Rapilly, ingénieure procédé chez Alpha Laval, qui commercialise six modèles de décanteurs avec des débits de 1 à 30 tonnes par heure pour des prix allant de 70 000 à 300 000 euros.
Le 16 janvier, l'institut a présenté les résultats de ses essais à Gruissan. Ce matériel s'adresse surtout aux caves industrielles qui doivent traiter des gros volumes de vendange, de moût ou de lie en continu, ce qu'il est capable de faire. Le décanteur centrifuge est cependant difficile à intégrer dans les chais, car il faut l'alimenter avec un produit homogène.
Le principe : Un traitement en continu
Au premier abord, un décanteur centrifuge ressemble à un pressoir. Mais le fonctionnement n'a rien à voir. Le produit à traiter (vendange, moût ou lie) est envoyé en continu par un côté du décanteur dans un cylindre en acier horizontal appelé bol ou rotor. Celui-ci tourne sur lui-même. Grâce à la force centrifuge ainsi générée, le produit « est séparé en deux phases. Les parties solides se collent à la périphérie du bol, le liquide reste au centre », explique Carole Rapilly.
À l'intérieur du bol, une vis convoyeuse, le racleur, tourne en sens inverse du rotor. Elle racle les matières solides (peaux, pépins, débris de levures...) déposées à la périphérie du bol et les élimine à l'opposé de la sortie du liquide. Avant de sortir du décanteur, ces parties solides sont comprimées et asséchées dans une zone de rétrécissement nommée le cône. À l'autre bout du décanteur, le liquide sort par des « ouïes ajustables pour optimiser la clarification », détaille l'ingénieure.
Mais pour qu'un décanteur centrifuge fonctionne correctement, il faut l'alimenter avec un produit homogène, ce qui n'est pas le cas de la vendange. C'est la limite du système. L'autre inconvénient, c'est le bruit, puisqu'un « décanteur centrifuge à vide produit 80 décibels », regrette Carole Rapilly.
Sur les rouges : L'obtention de vin fruité
« Nous avons étudié le décanteur pour l'extraction des jus à partir de vendange thermotraitée ou traitée par flash détente », raconte Jean-Michel Salmon, directeur de recherche à l'Inra. Il donne l'exemple d'une syrah de 2012 chauffée à 56°C, traitement suivi d'une macération d'une heure avec des enzymes. Ensuite, « la vendange est passée soit par un pressoir pneumatique, soit par le décanteur centrifuge », indique-t-il. Et les jus ont été débourbés.
Jean-Michel Salmon observe que les jus sont plus troubles après un pressurage pneumatique qu'à la sortie du décanteur. « Globalement, le décanteur clarifie mieux les moûts, mais ceux-ci sont ensuite plus difficiles à débourber par un débourbage statique », observe-t-il. Il explique ce phénomène par le fait que « le décanteur centrifuge génère des particules plus petites que le pressoir ».
Il a également réalisé l'analyse sensorielle d'une syrah de 2008 traitée par décanteur centrifuge ou par pressoir pneumatique. « Les juges n'ont pas différencié les vins obtenus, rapporte Jean-Michel Salmon. Ils ont des notes de fruit frais, des notes végétales et empyreumatiques. »
Au cours de ses essais, il a également montré qu'« avec un pressoir ou un décanteur centrifuge seul, il est difficile d'obtenir des clarifications suffisantes pour avoir des vins amyliques. Il faut les coupler à d'autres systèmes de clarification, comme le filtre rotatif sous vide, pour obtenir ce type de vin ».
Sur les blancs et rosés : Davantage de trituration
Alain Samson, ingénieur d'études à l'Inra, a comparé le décanteur centrifuge au pressoir pneumatique en vinification en blanc et rosé. « Comme pour les rouges, les deux technologies assèchent pareillement les marcs », affirme-t-il.
En revanche, ils clarifient différemment les moûts. « Pour tous nos essais de 2011, les turbidités sont plus basses avec le décanteur centrifuge qu'avec le pressoir pneumatique. » En 2013, l'inverse s'est produit. « Les réglages du décanteur en 2013 n'étaient pas adaptés », avance Alain Samson. En effet, le débit d'alimentation de la machine était de 0,7 m3/h avec une vitesse différentielle entre le rotor et le racleur de 6 tr/mn en 2011, alors qu'ils étaient de 0,9 m3/h avec une vitesse différentielle de 3,5 tr/mn en 2013.
Par ailleurs, il semblerait que le décanteur extraie plus de potassium que le pressoir pneumatique. Il triturerait donc davantage la vendange. Un phénomène qui n'est pas apparu sur les vendanges rouges thermotraitées. Mais, « globalement, les valeurs sont acceptables », tempère l'ingénieur.
Alain Samson a également soumis à un panel de dégustateurs plusieurs vins issus de ses essais, dont un rosé de syrah de 2011. « Le vin issu du décanteur centrifuge avait une odeur de fruits rouges significativement plus importante que le vin du pressoir pneumatique », souligne-t-il. Il était aussi plus orangé alors que le témoin pressé présentait un aspect plus rosé.
Mais il est difficile de généraliser ces résultats. Lors de la journée de présentation, l'Inra a fait déguster deux vins blancs et un rosé issus de ses essais. « Je trouve que les blancs étaient plus aromatiques avec le décanteur, alors que j'ai préféré le rosé issu du pressoir, car il était plus vif », constate Hervé Carminati, directeur de la cave des Vignerons de Saint-Quentin-la-Poterie/La Bruguière, à Saint-Quentin-la-Poterie (Gard). Mais tout le monde n'était pas du même avis...
Le Point de vue de
OLIVIER AMBRY, DIRECTEUR DE LA CAVE DU RAZÈS, À ROUTIER (AUDE), 3 200 HA DE VIGNE, 240 000 HL PAR AN, PRINCIPALEMENT EN IGP PAYS D'OC
« Nous nous orientons vers 2 ou 3 % de lies »
« Depuis 2011, nous avons mis en place une démarche d'organisation industrielle à la cave. Nous voulons réduire les pertes quantitatives et qualitatives, notamment au niveau des lies, car nous en livrons environ 5 % à la distillerie. Sur notre production annuelle de 250 000 hl, 5 % représente 13 000 hl de vin potentiel, même si, bien sûr, il n'y a pas que du vin dans les lies. Si seulement nous gagnons 1 % de vin sur les 250 000 hl que nous produisons, cela fait 2 500 hl. Si nous les vendons 60 euros l'hectolitre, cela fait 150 000 euros de chiffre d'affaires. Ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça, mais pour convaincre le conseil d'administration d'investir, c'était un argument choc. Nous avons donc acheté un décanteur centrifuge Foodec 600 de la société Alpha Laval. Avant, nous traitions les lies par simple sédimentation. Mais avant d'investir dans le Foodec, nous l'avons comparé à plusieurs filtres tangentiels. Ces derniers fonctionnent bien sur les lies de vin, mais ils ont besoin d'un dégrilleur en amont pour traiter les lies de fermentation. Ce qui n'est pas le cas avec le décanteur. Dès que nous avons un volume de lies suffisant, nous le faisons tourner jusqu'à quinze heures par jour. C'est un outil facile à piloter une fois qu'il est réglé. Le problème est qu'il faut un produit homogène en amont pour un fonctionnement correct. Nous l'utilisons à un débit de 15 à 20 hl/h, alimenté avec des lies à 30 à 40 % de matière en suspension et, en sortie, nous sommes entre 0,5 et 2 %. Les vins obtenus sont aux normes oenologiques, sans acidité volatile. Aujourd'hui, avec ce décanteur, nous nous orientons vers 2 ou 3 % de lies. »