L'Espagne vient de se placer pour la première fois en tête des pays producteurs de vin, devant l'Italie et la France. La production de 2013, estimée à 50,6 millions d'hectolitres, contre 35,8 millions d'hectolitres en 2012, a progressé de 41,4 %. Dès le mois d'août, l'annonce de cette vendange abondante a modifié la tendance sur les marchés.
Durant la campagne 2012-2013, après une petite récolte 2012, les volumes exportés avaient reculé. « D'août à octobre 2013, ils sont repartis à la hausse. Et le prix moyen a fléchi, mais sans s'effondrer brutalement, car la demande reste soutenue au niveau mondial », commente Rafael del Rey, le directeur de l'Observatoire espagnol du marché du vin (OEMV).
Le marché intérieur, plombé par la crise économique et la baisse de la consommation, ne peut pas absorber plus de vins. Les entreprises espagnoles ont donc construit leur développement à l'export, et elles comptent bien continuer à progresser. « Aujourd'hui, elles savent mieux vendre. Elles connaissent les marchés et ont des équipes commerciales expérimentées », souligne Rafael del Rey. Grâce à leurs cuves pleines, elles obtiennent des résultats. En octobre 2013, les exportations ont ainsi grimpé de 18 % en volume et de 11 % en valeur par rapport à octobre 2012.
« Depuis deux ans, nous montons en gamme, note Pau Roca, le directeur de la Fédération espagnole du vin (FEV). La part des vins conditionnés progresse, de même que le prix moyen. Et sur le vrac, les entreprises améliorent aussi les prix en fournissant, par exemple, des vins prêts à la mise dans un cadre contractuel. »
Plus de vrac à vendre
Celles qui ont positionné des vins bien identifiés sur des marchés valorisants n'entendent pas baisser leurs prix. « Nous n'avons pas plus de vins à vendre que la campagne précédente. Pour répondre à l'évolution de la demande, nous allons continuer à développer nos nouvelles cuvées, un bicépage verdejo et sauvignon blanc en appellation Rueda et un rouge bio en appellation Rioja. Et nous lançons la gamme Excellens pour les cavistes et les CHR », détaille Cristina Forner, qui dirige la bodega Marqués de Cáceres. Installée dans la Rioja, cette entreprise commercialise 6,75 millions de caisses de douze cols. L'export représente 50 % de ses ventes, ses cinq premiers marchés étant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Norvège, le Mexique et la France.
Pour ajuster la forte récolte de 2013 aux débouchés commerciaux, ce sont principalement les volumes de vrac sans mention d'origine ou de cépage qui vont augmenter. « Sur ce segment d'entrée de gamme, nous avons peu de concurrents et nous sommes bien placés en termes de coûts », souligne Rafael del Rey.
Durant les trois premiers mois de la nouvelle campagne, les entreprises ont déjà reconquis des marchés en Italie et en France, confrontées à de petites récoltes, ainsi qu'en Russie. Sur ce pays, les ventes mensuelles de vrac ont grimpé à 65 000 hl en octobre dernier après avoir stagné à 5 000 hl les deux mois précédents. Le prix moyen, lui, est descendu de 0,48 à 0,41 €/l.
Si la baisse des prix du vrac semble inévitable, il est difficile de prédire son ampleur. Pour l'instant, acheteurs et vendeurs évaluent les qualités disponibles. « Nous avons déjà servi nos clients fidélisés en acceptant de baisser légèrement nos tarifs pour tenir compte de l'abondance de la récolte, explique Arnoldo Valsangiacomo, de la bodega Cherubino Valsangiacomo. Avant de poursuivre nos achats et nos ventes, nous attendons de voir comment le marché va s'équilibrer. »
Cette entreprise possède des vignes près de Valencia et achète dans toute l'Espagne. Elle commercialise à l'export 700 000 à 800 000 hl de vins et de moûts concentrés. « En janvier, les acheteurs de vrac étaient à la recherche de prix bas. Mais tous ne sont pas satisfaits de la qualité des échantillons qu'ils ont reçus ! Un deuxième marché devrait s'ouvrir en février ou mars pour les vins de qualité. À ce moment-là, nous en saurons plus sur la récolte attendue dans l'hémisphère Sud », analyse Arnoldo Valsangiacomo.
« Ne pas baisser les prix. »
Dans le groupe Anecoop, une union de coopératives basée dans la Communauté valencienne, la récolte n'a augmenté que de 10 %. « La qualité est au rendez-vous, relève Gaël Picard, le responsable export. Nous avons rentré les raisins dans de bonnes conditions. Sur les 17 millions de litres que nous vendons en bouteilles ou en bibs, notre objectif est de ne pas baisser les prix. »
Sur ce segment, le premier marché d'Anecoop est la Russie, suivie du Japon, un pays où l'entreprise monte peu à peu en gamme. « Nous progressons aussi en Grande-Bretagne auprès d'importateurs qui développent la vente de vins en ligne », précise Gaël Picard.
En vrac, l'entreprise commercialise près de 30 000 hl de muscat d'Alexandrie en vin de base pour les mousseux ou en moûts. Sur ce segment, les prix, qui avaient bien progressé en 2013, ont fléchi avec la nouvelle récolte. « Mais ils restent valorisants car la demande est soutenue. Nous comptons vendre plus en France et en Italie, nos deux principaux marchés. Et nous allons prospecter la Russie, où il y a des marchés à conquérir ».
Castille-La Manche a fait le plein
En Castille-La Manche, où se concentre la moitié des 972 000 ha de vignes espagnoles, la production est passée de 19 millions d'hectolitres en 2012 à 31,2 millions d'hectolitres en 2013, soit 61 % de hausse ! Dans cette région habituellement très sèche, des pluies printanières ont dopé les rendements. À l'automne, d'autres pluies ont perturbé les vendanges. Les vignerons ont fait le maximum pour tout rentrer à temps. Mais les souches ont porté tant de raisins que les caves sont arrivées à saturation. Certaines ont dû fermer plusieurs jours, le temps de reloger une partie de leurs moûts. Les raisins rentrés avant les pluies ont donné des vins de bonne qualité. Les autres ont perdu de la couleur et du degré, car l'état sanitaire s'est dégradé. « Tout n'est pas vendable, il faudrait instaurer une distillation pour éliminer certains vins », estime un opérateur.