Retour

imprimer l'article Imprimer

VENDRE

« I love it ! »

INGRID PROUST - La vigne - n°262 - mars 2014 - page 55

Mark Monaco, UN IMPORTATEUR AMÉRICAIN, a visité plusieurs domaines avant le Salon des vins de Loire pour découvrir des vins de la région. « La Vigne » l'a suivi et a observé l'accueil que lui ont réservé les vignerons.
MARK MONACO est reçu au domaine Dozon, en AOC Chinon, par le maître des lieux, Éric Santier. PHOTOS I. PROUST

MARK MONACO est reçu au domaine Dozon, en AOC Chinon, par le maître des lieux, Éric Santier. PHOTOS I. PROUST

CHEZ PASCAL BELLIER, À GAUCHE, viticulteur en AOC Cheverny, Mark Monaco a goûté les vins en compagnie de deux étudiants de l'École supérieure de tourisme et d'hôtellerie de l'université d'Angers (Maine-et-Loire) chargés par Centréco de guider les importateurs étrangers dans leur découverte du vignoble.

CHEZ PASCAL BELLIER, À GAUCHE, viticulteur en AOC Cheverny, Mark Monaco a goûté les vins en compagnie de deux étudiants de l'École supérieure de tourisme et d'hôtellerie de l'université d'Angers (Maine-et-Loire) chargés par Centréco de guider les importateurs étrangers dans leur découverte du vignoble.

LE DOMAINE DE PASCAL BELLIER était également un gîte rural. Il a cessé cette activté mais y reçoit toujours ses clients.

LE DOMAINE DE PASCAL BELLIER était également un gîte rural. Il a cessé cette activté mais y reçoit toujours ses clients.

En ce premier jour de février, un joli soleil d'hiver illumine les bords de Loire. Nous sommes à Vineuil, en Loir-et-Cher, en appellation Cheverny. Mark Monaco s'apprête à visiter un nouveau domaine viticole. Cet importateur américain est depuis deux jours en Val de Loire. Son objectif : découvrir les vins de cette région qu'il ne connaît guère.

Comme il avait prévu de se rendre au Salon des vins de Loire, à Angers (Maine-et-Loire), Centréco, l'agence de développement économique de la région Centre, l'a contacté. Pour la première fois cette année, cet organisme a proposé à des acheteurs étrangers des visites privilégiées chez des vignerons avant le salon. Mark a sauté sur l'occasion. Il a indiqué à Centréco les cépages et les appellations qu'il souhaitait découvrir. L'agence lui a mitonné un programme d'une dizaine de visites en trois jours.

Après avoir sillonné le Pays nantais et l'Anjou, Mark Monaco aborde l'AOC Cheverny. En jean, baskets et bonnet vissé sur le crâne, il écoute avec intérêt les explications du vigneron qui l'accueille. Pascal Bellier, à la tête de 45 ha, réalise déjà 30 % de son chiffre d'affaires à l'export, notamment aux États-Unis. Il emmène son visiteur devant un clos planté de romorantin. Ce cépage, les vignerons de Cheverny sont les seuls ou presque à le cultiver en France, explique le vigneron. Il a donné naissance à l'appellation Cour-Cheverny.

Mark est intrigué. Et il a quelques difficultés à suivre. Son hôte ne s'exprime qu'en français, langue qu'il ne comprend pas. Heureusement, une traductrice et deux étudiants de l'école de tourisme et d'hôtellerie d'Angers, partenaires de Centréco, sont là.

Spécialisé dans les vins de petits producteurs. Mark se fait répéter le nom du cépage et demande sa couleur. « Les romorantins sont des vins blancs, moins aromatiques que les sauvignons mais plus fins. Ils vieillissent très bien », répond Pascal Bellier. Cette spécificité pourrait être un atout pour l'importateur : sa société, dénommée Palateur, est spécialisée dans les vins et spiritueux de petits producteurs et travaille essentiellement avec des restaurants réputés.

Place à présent à la visite des équipements de vinification. Devant ses deux pressoirs, Pascal Bellier confie que ces deux dernières années ont été difficiles. « En 2012, le gel d'hiver nous a privés de 80 % de notre récolte. En 2013, c'est le gel de printemps qui a réduit la vendange de 15 à 20 %. Mais nous avons pu alimenter nos marchés grâce à nos stocks », détaille-t-il.

Au chai, Pascal explique à Mark qu'il travaille en sélection parcellaire : « Nous avons mis en évidence des différences très nettes entre les lieux-dits. » Et il précise qu'il peut proposer « des cuvées sur mesure » selon les marchés. « Nous exportons notamment aux États-Unis et en Asie. Nous vendons même des vins blancs en Chine, alors que les Chinois sont plutôt amateurs de rouges. Nous proposons des blancs plus ronds et moins acides, adaptés à leurs goûts. »

La dégustation et le moment clé. Pascal conduit ses visiteurs dans une partie de sa maison, un ancien gîte rural. « J'ai arrêté cette activité, mais j'y reçois aujourd'hui mes clients pour des week-ends », glisse-t-il avant d'inviter Mark à s'attabler dans une véranda inondée de soleil.

C'est justement par un cour-cheverny, issu du romorantin, que Pascal commence sa dégustation. Mark agite son verre, hume le vin puis le goûte en le faisant rouler en bouche. « Il est minéral, propre », déclare-t-il simplement, avant de demander : « Est-il déjà exporté ? »

« Nous en vendons en Belgique, aux Pays-Bas et au Japon », répond le vigneron. Aux États-Unis, il est présent à New York et en Californie. Mark, lui, est basé en Pennsylvanie, un état doté d'un monopole pour les boissons alcoolisées. II travaille aussi en Utah et au Texas, deux états où le domaine Bellier n'est pas présent.

Le producteur sert ensuite un cheverny 80 % sauvignon et 20 % chardonnay. Au nez, Mark lâche « grassy » (végétal), puis affiche un air ravi après l'avoir goûté : « I love it ! » s'enflamme-t-il. Il commente qu'il est très fruité, que ses notes de fruits tropicaux pourraient le faire passer à l'aveugle pour un sauvignon de Nouvelle-Zélande. Viennent deux autres vins blancs à base de sauvignon. L'importateur fait à nouveau référence au style Nouveau Monde pour l'un et juge l'autre plus minéral, plus équilibré. Il perçoit dans cette seconde cuvée des notes de « pierre à fusil ».

Pascal passe à un rosé associant pinot noir et gamay. Mark le goûte puis sourit : « So nice ! » L'acidité et la fraîcheur du vin le séduisent. « Je voudrais en boire tous les jours au soleil, au bord de la piscine », dit-il en anglais.

Pascal est flatté, la dégustation se déroule bien, bien que l'ambiance reste assez formelle. Il sert à présent un rouge, issu lui aussi de pinot noir et de gamay. Le vin est un peu trop frais. L'importateur ne lui en tient pas rigueur.

La dégustation a pris fin mais la conversation se poursuit. Le visiteur, la traductrice et le vigneron parlent de la réglementation dans les différents états américains. Pascal en profite pour questionner Mark sur le marché du vin aux États-Unis : « Il va très bien. Il y a beaucoup de choix et les prix ont baissé. Les consommateurs boivent plus de vin. Ils se sentent moins coupables d'y dépenser de l'argent, que ce soit pour une fête ou durant la semaine », assure l'importateur.

Direction Chinon. Après plus d'une heure et demie passée chez le vigneron, il est temps de reprendre la route. Mark a rendez-vous au domaine Dozon, en AOC Chinon. En chemin, il raconte que le matin, avant de venir à Vineuil, il a visité le domaine Marteau, près de Montrichard (Loir-et-Cher), où une nouvelle dénomination de vins, Touraine-Chenonceaux, dont il a apprécié la qualité et la bouteille spéciale, est produite.

Mais à présent, le voici arrivé au domaine Dozon, à Ligré, en Indre-et-Loire, au sud de Chinon. Éric Santier accueille Mark et ses accompagnateurs. Cet ancien responsable de l'agence Sopexa à Dubaï (Émirats arabes unis) a racheté cette exploitation familiale de 14 ha l'été dernier. Parlant anglais avec aisance, Éric présente son parcours à Mark. Puis commence la dégustation, dans son espace de vente chaleureux, décoré avec goût.

Le viticulteur propose tout d'abord la cuvée C du Plaisir, « un chinon 2012 peu concentré », précise-t-il. L'importateur sourit avec bienveillance, le goûte, puis déclare : « Je le trouve plaisant en effet. J'aime beaucoup. » Puis Éric sert un autre chinon, le Clos du saut du loup. « Les loups mangent-ils les grappes ? » s'interroge Mark. « Non, objecte Éric en français. Ce sont plutôt les chevreuils. » Ni lui ni la traductrice ne savent traduire le mot chevreuil en anglais, mais l'étudiante qui accompagne le groupe vient à la rescousse et renseigne l'importateur, qui se met à rire.

Le vigneron fait ensuite déguster un autre vin, prélevé directement en cuve, jugé « prometteur » par l'Américain, puis un chinon de 2007, élevé en fût de chêne. « Le vin est puissant, il a beaucoup de matière », relève Mark. Interpelé par le nom d'une autre cuvée, Laure et le loup, il demande : « Votre épouse travaille avec vous ? » « Non, elle est dans les cosmétiques. Laure est le prénom de l'ancienne propriétaire du domaine », précise Éric, qui va prochainement refondre la gamme.

Échanges cordiaux. Les deux hommes poursuivent leurs échanges. Mark questionne Éric sur la vie à Dubaï, tandis que le vigneron lui demande s'il existe des vignobles en Pennsylvanie. « Nous n'avons pas les bons terroirs ! Mais quelques-uns essaient de faire du vin », s'amuse l'importateur. La dégustation se termine par un chinon 2001 qu'il trouve « softly beautiful », avec des notes de cerises en finale. Éric ne lui propose pas de chinon blanc, car il en a trop peu.

Le courant semble bien passer entre eux. Mais Mark ne demande pas à visiter le chai. La nuit est tombée et le groupe a encore une centaine de kilomètres à parcourir pour regagner Angers. Le visiteur remercie Éric pour son hospitalité. Il l'assure qu'il viendra le voir sur son stand au Salon des vins de Loire.

Le vigneron, lui, est satisfait mais reste prudent. « La visite s'est bien déroulée, conclut-il. J'ai reçu un autre importateur américain hier. Le contact était moins chaleureux, il était très "business". Mais cela ne veut rien dire pour la suite. »

À aucun moment l'importateur n'a posé de question sur les prix pratiqués par les deux viticulteurs ou sur les volumes dont ils disposent. Il n'a pas non plus pris de notes. Il s'agissait pour lui de découvrir les producteurs et leur gamme. La discussion commerciale viendra ensuite.

Fin février, Mark n'a toujours pas recontacté Pascal Bellier. En revanche, il avait adressé un courriel au domaine Dozon pour lui demander ses tarifs et l'assurer qu'il le tiendra informé en cas d'appels d'offres pour des rouges de Loire de la part du monopole de Pennsylvanie.

FAIRE BONNE IMPRESSION ET SUSCITER LA SYMPATHIE

- Un importateur cherche des vins correspondant à ses besoins et de belles rencontres. Pascal Bellier a parlé de l'histoire de son domaine familial, Éric Santier a présenté son parcours de spécialiste du marketing alimentaire à l'international. Les deux vignerons ont aussi parlé d'eux d'un point de vue plus personnel. Ils ont reçu l'importateur chez eux. Autant d'attitudes qui favorisent l'établissement de liens directs.

- Pascal a mis en avant le romorantin, un cépage rare qui peut attirer un acheteur souhaitant des vins originaux, mais il a précisé qu'il pouvait adapter ses cuvées aux marchés. Il a également proposé des fromages de chèvres locaux, des Selles-sur-Cher et des rillons de porc, permettant à son visiteur de découvrir des spécialités locales.

- Éric a tiré profit de sa maîtrise de l'anglais pour échanger directement avec l'importateur, sans passer par la traductrice. À la fin de la visite, il lui a promis de lui envoyer une plaquette de son domaine traduite en anglais.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :