La grand-messe des dégustations des vins en primeur du millésime 2013 s'est déroulée fin mars-début avril dans le Bordelais. L'occasion pour les châteaux et les producteurs de présenter leur premier vin à la presse et à leurs acheteurs, alors que l'élevage commence tout juste. La plupart de ces vins passeront en effet entre douze et vingt-quatre mois en barriques. Comme ils ne sont pas prêts, tout un travail de sélection et de préparation précède l'événement.
« Le plus important est de proposer l'échantillon le plus représentatif du vin qui sera commercialisé après sa mise en bouteille. Il faut donc se projeter dans le temps, souligne Bernard Crébassa, oenologue conseil au laboratoire Jouan-Crébassa, à Libourne (Gironde). Il faut également que le vin soit d'une qualité irréprochable. » Mais à cette époque de l'année, il arrive que « des vins présentent des défauts de jeunesse qui peuvent les écarter provisoirement de l'assemblage ou, s'il est encore temps, justifier des petites touches correctives », poursuit-il. Ainsi, il ne retient jamais les barriques qui n'ont pas fini leur fermentation malolactique.
Éviter les corrections tardives. Environ un mois avant les primeurs, l'oenologue, dont le laboratoire conseille environ 250 personnes dans le grand Libournais (Pomerol, Lalande de Pomerol, Fronsac, côtes de Castillon...), a sélectionné avec ses clients les vins en cuves ou en barriques qui allaient composer l'assemblage réalisé pour la dégustation.
« Une fois les lots choisis, j'ai préconisé de faire des petites touches de finition, indique-t-il. Car les vins du millésime 2013 manquent parfois de gras et de volume suite aux conditions de maturité difficiles. » Pour corriger cela, il a recommandé d'apporter entre 10 et 30 g/hl d'écorces de levures riches en polysaccharides et en mannoprotéines.
Certains vins avaient également besoin d'un « reprofilage tannique ». Lorsque leurs tannins étaient un peu verts, il a suggéré l'ajout de tannins de pépins à une dose comprise entre 5 et 10 g/hl. Mais « ces apports de dérivés de levure ou de tannins peuvent marquer aromatiquement les vins dans les jours qui suivent ». Il fallait donc éviter d'effectuer ces rectifications dans les quinze jours précédant la dégustation en primeur et laisser reposer les vins.
Pour que les échantillons se dégustent bien, il ne fallait pas les préparer à la dernière minute. Bien au contraire. Antoine Médeville, oenologue au laboratoire noconseil Pauillac, dans le Médoc, travaille avec une cinquantaine de clients qui ont présenté leurs vins en primeur. Il leur a conseillé de réaliser un préassemblage à la fin de la fermentation malolactique pour décider du premier et du second vin, puis de les entonner. Dès le 15 février, il leur a suggéré de ne plus toucher les lots de premier vin, mis à part pour contrôler leur teneur en SO2 libre. Alors que ces contrôles se font généralement tous les mois, à l'approche des primeurs, ils ont lieu tous les quinze jours pour ajuster le SO2 libre autour de 25 mg/l. Selon l'oenologue, l'expérience montre que c'est la valeur qu'il faut viser pour que les vins soient protégés lors du prélèvement et de l'embouteillage, mais aussi pour qu'ils laissent s'exprimer leurs arômes lors de la dégustation.
Vers fin février, soit un mois avant les primeurs, Antoine Médeville a dégusté les vins avec ses clients pour décider de l'assemblage qui serait présenté. « Cette année, nous avons utilisé plus de bois neuf que de barriques d'un ou deux vins. Les 2013 ont besoin de sucrosité, car ils sont vifs et acidulés. Les fûts neufs enrobent bien tout ça », explique-t-il.
Barriques sous surveillance. Le laboratoire Sovivins collabore avec plus de 80 propriétés à Pessac-Léognan et dans le Médoc. Une quinzaine d'entre elles font appel à cette société pour la préparation de leurs échantillons primeurs. David Pernet, le cofondateur, pense aux dégustations des vins en primeur dès les vinifications. « Lors des écoulages, nous avons fait une première sélection des cuves qui pourraient entrer dans l'élaboration du premier vin. » La majorité de ce volume a effectué sa fermentation malolactique en cuve puis a été entonnée en décembre ou janvier. Mais une partie des lots destinés à entrer dans le premier vin a fait sa fermentation malolactique dans des barriques neuves. Ce sont ces vins qui ont servi pour les assemblages des primeurs. « Cela représente un à trois fûts par lot. Nous choisissons des tonneliers qui permettent d'obtenir une intégration du bois précoce et qui apportent de la sucrosité sans trop boiser le vin », précise David Pernet.
Dans ces barriques, les niveaux de SO2 libre sont maintenus entre 15 et 25 mg/l après la malo pour éviter d'assécher et de masquer le fruit des vins. Dans les autres fûts, dont le contenu ne sera pas goûté, le SO2 libre est maintenu entre 25 et 35 mg/l.
Comme les barriques sélectionnées sont un peu moins sulfitées, elles sont surveillées de près. « Des contrôles microbiologiques sont réalisés régulièrement avec des dosages d'éthylphénols. Si les populations deviennent trop importantes, ils permettent de savoir quand soutirer, avant que des déviations apparaissent », ajoute-t-il.Entre début février et mi-mars, l'oenologue et ses clients ont dégusté deux à trois fois les vins pour définir l'assemblage qu'ils allaient présenter en primeur. Un mois avant la date fatidique, David Pernet a recommandé à ses clients de ne plus toucher aux barriques sélectionnées jusqu'au prélèvement.
Des échantillons préparés dix jours à l'avance
Antoine Médeville, du laboratoire noconseil Pauillac, suggère à ses clients de préparer les échantillons dix jours à une semaine avant la dégustation pour que « les vins aient le temps de se remettre » du brassage et de l'oxygénation subis à ce moment-là. Concrètement, il s'agit de prélever, d'assembler puis d'embouteiller les vins sélectionnés. Pour David Pernet, de Sovivins, « les modalités de préparation des échantillons dépendent du nombre de bouteilles à fournir ». S'il est faible, les assemblages se font directement dans les bouteilles avec une pipette graduée. Sinon, l'opération peut s'effectuer dans une barrique d'un vin, pour ne pas trop boiser l'échantillon, ou dans un fût en inox, par exemple. Souvent, les vins sont prélevés dans les barriques sélectionnées par siphonage dans une éprouvette, qui est ensuite vidée dans le contenant d'assemblage. Puis les bouteilles sont remplies et généralement fermées avec une boucheuse à main et des bouchons synthétiques « pour ne pas risquer d'altérer l'échantillon », explique Bernard Crébassa, du laboratoire Jouan-Crébassa.
Le Point de vue de
MARIE-HÉLÈNE YUNG-THÉRON, PROPRIÉTAIRE DU CHÂTEAU DE PORTETS (GIRONDE), 35 HA EN AOC GRAVES
« J'ai assemblé des vins élégants et d'autres plus toastés »
« Pour nous, les primeurs ont commencé le 31 mars avec une soirée organisée place de la Bourse, à Bordeaux, par le Syndicat viticole des Graves. Ensuite, nous avons présenté nos vins les 1, 2 et 3 avril au château de Malleret (Gironde). Je participe à ces dégustations de vins en primeur depuis 2011. Avant, nos vins n'étaient pas aptes à s'y aventurer. Cette année, j'ai présenté nos premiers vins : Château de Portets Grand vin, un grave rouge, et Château Portets, en blanc. Afin qu'ils soient prêts pour les primeurs, nous les avons travaillés bien en amont. Après la fermentation malolactique des rouges, nous avons réalisé les préassemblages pour décider du premier et du second vin. Nous avons ensuite descendu le premier vin dans des barriques neuves de différents tonneliers. Mais d'un fût à l'autre, les vins ont évolué différemment. Environ un mois avant le début des primeurs, nous avons donc dégusté, avec l'oenologue, les différentes barriques et nous avons choisi celles qui entreraient dans l'assemblage. J'aime les vins gourmands, élégants, avec une finesse du fruit. En concertation avec l'oenologue, nous avons sélectionné les vins sur ces critères. Nous avons également choisi les vins issus de fûts avec des chauffes plus importantes pour avoir un côté toasté, beurré. Les analyses réalisées à ce moment-là montraient que certaines des barriques sélectionnées avaient des niveaux de SO2 libre un peu bas. Je les ai réajustés entre 23 et 25 mg/l. Le 21 mars, soit dix jours avant la première dégustation, j'ai mis les vins en bouteilles avec un bouchon synthétique. Je les ai habillées et j'ai envoyé la cinquantaine d'échantillons nécessaire à l'ensemble des dégustations qu'organise ou que fournit mon laboratoire. »