LA MOITIÉ DES CLIENTS D'OLIVIER LECOMTE (à droite) sont des restaurateurs, comme Regis Legain, à la tête du Bosquet, aux Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire). PHOTOS C. WATIER
LE VITICULTEUR profite parfois de sa tournée pour récupérer des chèques, comme ici au Bouchon angevin, l'établissement de Sébastien Sicard, à Angers (Maine-et-Loire).
« Tous les vendredis matins, je fais mon sport. » Il est 8 heures et Olivier Lecomte s'affaire dans sa salle de stockage, au milieu de ses cartons. Il assemble les commandes soigneusement préparées la veille par Claire, son épouse, aux manettes administratives. Le vigneron se saisit de cartons et de bibs et les entasse avec énergie sur son diable. Puis il les range consciencieusement dans la camionnette garée juste devant l'entrée.
« J'essaie de ne pas perdre de temps à remplir la voiture. L'important, c'est d'avoir le stock sous la main. En principe, je vérifie la veille que c'est le cas. Mais, parfois, faute d'avoir eu le temps de m'en occuper avant, j'habille des bouteilles le matin en catastrophe avant de partir », sourit le vigneron, propriétaire du château de Passavant, situé à Passavant-sur-Layon (Maine-et-Loire), au sud du vignoble de l'Anjou.
Olivier exploite avec son épouse 55 ha en bio. En moyenne, il produit 1 800 hl et écoule 45 % de sa récolte en vrac au négoce régional. « Même si c'est assez difficile de bien valoriser du vrac en bio », reconnaît le producteur. Il vend le reste conditionné, soit 150 hl de bibs et quelque 150 000 bouteilles. « Le tout ventilé sur sept cuvées en appellations (Anjou blanc et rouge, Cabernet d'Anjou, Crémant de Loire et Coteaux du Layon) et trois vins de France. »
20 % de ses vins conditionnés partent à l'export. Il expédie une autre part dans toute la France par le biais de transporteurs. Il livre directement le reste à ses clients du Maine-et-Loire, soit quelque 15 000 bouteilles et 3 000 litres de bibs de 5 et 10 litres.
Le départ a toujours lieu vers 9 heures. Direction Angers, la camionnette bien pleine. « Je livre généralement 300 bouteilles à des professionnels, moitié cavistes, moitié restaurateurs. Je fournis aussi quelques particuliers, mais assez peu. »
Livraison au pas de charge. Après une petite heure de route pour rallier la préfecture du Maine-et-Loire, Olivier s'arrête chez son premier client. Un magasin de produits fermiers bios qu'il connaît bien. Il en est aussi l'un des associés. En quelques minutes, l'affaire est entendue : il entre par la porte de service, dépose six cartons dans un rayonnage de la réserve et s'engouffre dans sa voiture pour la deuxième étape de sa tournée.
Cette fois, à deux kilomètres de là, c'est une troupe de théâtre qui lui a passé commande pour un pot d'après représentation. « C'est la première fois que je livre ici », signale Olivier. Mais au siège de la compagnie, il trouve porte close. « Ça, c'est la galère. Je vais être obligé de repasser », s'énerve-t-il. Il passe un coup de fil. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvre. La responsable explique que la porte ne tient fermée qu'à clé... Pas trop le temps de s'attarder. Avec le sourire, cinq bibs, accompagnés de la facture, sont déchargés à l'accueil.
La tournée se poursuit vers une belle table d'un petit village sur les bords de Loire. Dans les rues étroites du hameau, difficile de se garer et impossible d'accéder à la porte de service avec une camionnette. Olivier a une dizaine de caisses à déposer. Il laisse sa voiture à l'angle de deux rues, allume les feux de détresse et c'est parti. Le vigneron fait un premier tour avec le diable bien chargé. Une fois devant la porte de la cuisine, pas de réponse. « C'est pénible », râle-t-il. Il est obligé de faire le tour de l'établissement pour prévenir de son arrivée. La livraison s'effectue au pas de charge, car autant dire qu'on ne dérange pas les restaurateurs au moment du coup de feu.
« Et après le service, il ne pas faut pas dépasser 15 heures, sinon, c'est fermé. Je suis bon pour attendre 18 heures, souligne Olivier. Le plus compliqué, c'est quand même de trouver une place de stationnement pas trop loin. D'où l'intérêt d'avoir une petite camionnette. En outre, certains restaurants ont des caves tellement basses qu'il faut se casser en deux pour aller déposer les cartons. » À 13 h 30, il a généralement livré une bonne part de sa cargaison.
Il y a quelques années, le viticulteur avait plus de responsabilités professionnelles (chambre d'agriculture, syndicats viticoles...). Il profitait des multiples réunions tout au long de la semaine pour réaliser des livraisons. « Dès qu'un client commandait, je passais. » Désormais, un peu moins engagé dans la vie syndicale, le vigneron a mieux orchestré sa semaine et décidé de livrer tous les vendredis. « C'est un jour bien adapté à la restauration. Et, détail pratique, j'en profite parfois pour ramener mes enfants étudiants à Angers. »
Maintenant que le rituel du vendredi est parfaitement institué, Olivier ne veut pas en changer. « Mon épouse, les salariés, les fournisseurs... tout le monde sait que je ne suis pas au domaine ce jour-là. Et mes clients savent que je suis à Angers. Vendredi dernier, un restaurateur thaïlandais m'a appelé dix minutes avant mon départ pour que je lui apporte quelques cartons. »
15 % du chiffre. À chaque tournée, il fournit une dizaine d'acheteurs. « Chez certains, je ne passe qu'une fois par mois. Au total, sur le département, je livre une cinquantaine de clients, mais seulement 35 régulièrement. » Sur les autres départements, le vigneron travaille avec des transporteurs, mais son secteur, il tient à le couvrir lui-même.
« J'entretiens la proximité avec les professionnels du département. Ça n'a pas de prix. Les cavistes et les restaurateurs sont contents d'avoir affaire au vigneron. Ils sont Angevins et ils vendent du vin d'Anjou livré par un vigneron de la région ! »
D'autant qu'Olivier a le contact facile. Le tutoiement est de rigueur. Ce grand bavard récupère au passage des informations très utiles. « Par hasard, en discutant, tu apprends plein de choses sur les restaurants notamment. Ça bouge souvent. » Quel restaurateur vend son affaire ? Qui ouvre un nouvel établissement ? Qui marche bien ?
L'occasion de travailler des prospects avec son agent. Car à Angers comme ailleurs, le vigneron ne démarche pas directement le secteur traditionnel : trop gourmand en temps. La livraison aussi, est-on tenté de lui objecter. « Oui, ça prend du temps, avoue Olivier. Mais un jour, j'ai fait le point avec une stagiaire qui s'est penchée sur les chiffres. Mes livraisons du vendredi représentent 15 % du chiffre d'affaires de l'exploitation. Ce n'est pas ridicule. »
Des tournées qu'il prépare. « Quand je vois que des clients ne m'ont rien acheté depuis quelques semaines, je leur passe un coup de fil en milieu de semaine pour les relancer. Souvent, ça débouche sur une commande. Je ne peux pas chiffrer ce que je gagne à livrer, mais ce dont je suis sûr, c'est que tous les clients livrés sont fidèles. Je sais à l'inverse que je perds des acheteurs plus éloignés parce que je ne les visite pas et que je n'ai pas d'agent dans certaines régions. Je dois entretenir mes marchés. Je ne suis pas le seul à vendre du vin bio d'Anjou », précise le vigneron.
Un coût inclus dans les charges. D'autant que la restauration n'a pas la réputation d'être la clientèle la plus facile. Certains vignerons l'abandonnent, lassés de recevoir de faibles commandes à la dernière minute et d'avoir à courir après les paiements. « En passant régulièrement, je récupère des chèques. Je profite de ma tournée pour déjeuner chez mes clients, parfois avec mon agent. Je les préviens de mon passage en leur précisant que je prendrai le règlement des précédentes livraisons, indique Olivier. L'important, c'est de faire cela de manière détendue. Au-delà de la relation client-fournisseur, j'ai aussi des copains parmi les restaurateurs qui viennent dîner à la maison. »
Quant au coût des tournées, il est réel, mais il est déjà inclus dans les charges. « Qu'il soit assuré par un transporteur ou par le vigneron, les acheteurs paient le transport, car je l'intègre au prix de la bouteille », relativise l'Angevin.
Olivier le livreur n'est pas un extraterrestre dans sa région. Loin s'en faut. Dans le Val de Loire, la vente directe est fortement développée. C'est même une marque de fabrique de la région. Certains vignerons partent « sur la route », comme ils disent, pendant des semaines entre février et avril. Certains producteurs se transforment même en chauffeur livreur la semaine, partant avec de vrais camions pleins comme des oeufs le lundi matin pour revenir le mercredi, avant de repartir pour le reste de la semaine. Ils approvisionnent ainsi leurs clients de Bretagne, de Haute-Normandie et de la région parisienne, la zone de commercialisation essentielle des vins d'Anjou. Ces domaines sont majoritairement orientés vers une clientèle particulière plutôt fidèle.
Pour Olivier, la livraison se limite au vendredi. « Je pourrais faire la même chose à Tours (Indre-et-Loire) ou Nantes (Loire-Atlantique) un autre jour de la semaine, mais je n'ai pas envie de changer de métier. Je suis avant tout vigneron, pas chauffeur livreur. »
BEAUCOUP D'AVANTAGES PEU D'INCONVÉNIENT
- Olivier Lecomte soigne sa clientèle par un service de proximité réactif. Jusqu'à ce qu'il parte de chez lui, un ou deux clients peuvent passer commande. Il les ajoute à sa tournée. « Les clients livrés par mes soins sont fidèles », assure-t-il.
- Affable, souriant, volontiers bavard, il entretient des relations de sympathie, voire d'amitié, avec ses clients. Il récupère au passage des renseignements sur l'ouverture de nouveaux établissements. Des informations utiles pour les démarcher avant les autres.
- Certains vignerons abandonnent la restauration, lassés d'avoir à courir après les paiements. Olivier profite de sa tournée pour récupérer des chèques.
- Les livraisons, c'est du stress, de la fatigue et des temps de trajet. Olivier vit à une heure de route d'Angers (Maine-et-Loire) et, sur place, il faut circuler dans la ville et trouver des places de parking à proximité des clients.