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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

ANJOU-SAUMUR Stabiliser les volumes de rosés

PATRICK TOUCHAIS - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 36

Cette région produit de plus en plus de rosés mais ne parvient que rarement à l'équilibre entre l'offre et la demande. Les vignerons tentent de fidéliser leurs acheteurs pour atténuer les aléas des marchés. Les responsables professionnels militent pour le VCI.

« Il faut gérer les volumes et satisfaire l'équilibre entre l'offre et la demande. » Président des appellations de rosés de l'Anjou de 2001 à 2010, Olivier Lecomte l'a martelé pendant des années. Tout au long de ses années de présidence, il a vécu une inexorable croissance du Cabernet et du Rosé d'Anjou. Les deux appellations sont passées respectivement de 150 000 à 320 000 hl et de 110 000 à 140 000 hl. Un développement presque miraculeux quand on sait qu'il y a vingt ans, les vignerons angevins se battaient pour vendre leurs rosés.

Mais les marchés sont sous tension. En 2012, les viticulteurs ont produit 280 000 hl de Cabernet d'Anjou alors qu'ils ont sorti 309 000 hl des chais durant la campagne. Même tendance pour le Rosé d'Anjou, où la production 2012 s'est élevée à 104 000 hl, pour des sorties de chais de 121 000 hl.

Par conséquent, les stocks à la propriété étaient au plus bas au 31 juillet 2013 : 62 000 hl en Cabernet d'Anjou et 17 000 en Rosé d'Anjou.

Dans les domaines, il faut opérer des choix. Le château de Brossay, à Cléré-sur-Layon (Maine-et-Loire), vend dans les bonnes années 1 200 à 1 300 hl de Cabernet d'Anjou, toujours au même négociant. « Cette année, comme l'an passé, je n'aurai que 1 000 hl », déplore Benjamin Gransard. Comme chez ses voisins, ses 27 ha de cabernet franc n'ont pas fourni les volumes escomptés. « Cela dit, le fait qu'il y ait moins de volume ne change rien pour nous dans la relation avec notre acheteur : nous devons livrer un vin de qualité. »

Parallèlement, le domaine garde un petit volume de 50 hl de Cabernet d'Anjou pour la vente directe. Mais surtout, le producteur et ses deux associés continuent de vinifier un volume d'Anjou rouge important. « Nous vendons 500 hl en mise à la propriété à un autre négociant. Nous tenons à continuer à produire du rouge pour ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier », remarque-t-il judicieusement.

Depuis des années, beaucoup de vignerons ont opéré des transferts de surface de cabernet franc ou de cabernet sauvignon du rouge vers le rosé. « C'est dommage, pour l'appellation Anjou rouge », souligne le jeune vigneron, installé depuis deux ans, qui vend 80 % de sa production au négoce.

À quelques kilomètres, un autre viticulteur a misé tout le développement de son exploitation sur les rosés. Depuis plus de vingt ans, il ne produit quasiment que cela - environ 3 000 hl - et vend en direct à une enseigne de la grande distribution. Un pari gagnant.

« Cette année, la première chose que m'a demandé mon acheteur, c'était si j'avais assez de volume, se souvient-il. Ce qui est le cas, heureusement pour moi. Il a besoin d'un produit régulier en volume et en qualité. Je pourrais lui en vendre davantage, mais il faudrait que je m'agrandisse encore. D'ailleurs, à chaque fois que j'ai repris des vignes, je lui ai demandé s'il me suivait. Ce qu'il a toujours fait. »

Face à une telle demande, le vignoble pourrait-il manquer de rosés ? « Je ne le pense pas », relativise Yves Matignon, l'actuel président des appellations de rosés. Les volumes 2013 ne sont pas encore officiellement connus, mais ils devraient tourner autour de 300 000 hl en Cabernet d'Anjou et de 140 000 en Rosé d'Anjou.

Pour pallier la faiblesse des stocks, « en Rosé d'Anjou, nous avons accepté une augmentation du rendement annuel de 4 hl/ha, car les volumes étaient bien là », se réjouit-il. Le rendement de l'appellation est passé à 69 hl/ha. Le marché en avait manifestement besoin, car les cours sur les quatre premiers mois de campagne sont en hausse par rapport à l'année passée : 123 €/hl contre 115.

En revanche, la production est restée insensible aux appels du négoce, qui plaidait aussi pour une hausse du rendement annuel en Cabernet d'Anjou de 55 à 60 hl/ha. Le cabernet franc n'a pas offert le rendement espéré. Du coup, le négoce a accéléré ses achats, en hausse de 21 % à fin novembre. Les cours sont également en augmentation, à 146 €/hl, contre 136 €/hl.

Cette situation où l'offre est rarement en phase avec la demande ne satisfait pas le syndicat. Le yoyo que subissent les prix selon les volumes récoltés n'est bon pour personne. D'un côté, les négociants subissent des hausses par à-coups qu'ils doivent répercuter sur leurs clients, en particulier la grande distribution. De l'autre, les vignerons voient les prix chuter dès qu'il y a trop de stocks, comme en 2009 et en 2010.

« Il faut parvenir à stabiliser les choses », plaide Yves Matignon. Pour cela, l'appellation Cabernet d'Anjou a monté un dossier pour mettre en oeuvre un VCI. Il s'agirait de récolter jusqu'à 6 hl/ha de plus que le rendement annuel. La réserve maximum par exploitation ne pourrait pas dépasser 18 hl/ha. Le projet a été validé par le comité régional de l'Inao. Il est désormais entre les mains de la commission technique de l'institut.

Pour l'Anjou-Saumur, l'enjeu est de taille. Le Cabernet d'Anjou représente un tiers des volumes d'appellations du vignoble. L'ensemble des rosés, la moitié. Autant dire que l'économie du vignoble a besoin de cette stabilité.

69 HL/HA

C'est le rendement annuel 2013 en Rosé d'Anjou. Les stocks de cette appellation étaient au plus bas. L'Inao a accepté la hausse de 4 hl/ha par rapport au rendement de base et un niveau d'enrichissement de deux degrés.

Le Point de vue de

Jérôme Lemasson, directeur de Loire propriétés, à Brissac-Quincé (Maine-et-Loire), 39 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont plus de la moitié sur les rosés

« Il faut être prudent sur les prix »

Jérôme Lemasson © P. TOUCHAIS

Jérôme Lemasson © P. TOUCHAIS

« Nous sommes un des acteurs majeurs des rosés de l'Anjou. En année normale, nous commercialisons quelque 80 000 hl de Cabernet d'Anjou et 40 000 hl de Rosé d'Anjou, soit un quart du volume global de ces deux appellations. En Rosé d'Anjou, la gestion du stock a été tendue sur la dernière campagne. Nous avons subi une faible récolte 2012 alors que nous avons lancé de nouvelles marques en France et à l'export. Par conséquent, dès le début du mois de décembre, le millésime 2013 a pris la relève d'un 2012 qui était épuisé. Heureusement, 2013 s'annonce plus généreux. Le grolleau, cépage principal de l'appellation, a fourni de belles grappes. Avec cette récolte, nous allons alimenter tous nos marchés et en développer d'autres, essentiellement en grande distribution pour la France et à l'export, qui représente 45 % de nos volumes. En Cabernet d'Anjou, nous lancerons le millésime 2013 fin janvier. Sur cette appellation, nous sommes moins sereins. Les cabernets n'ont pas donné autant qu'espéré. Par rapport à notre potentiel de vente, nous sommes en retrait de 10 à 12 %. Nous craignons un emballement des prix à la production. Or, il faut être prudent. La grande distribution peut accepter des hausses régulières et modérées de prix, mais pas le yoyo. Les performances de nos deux appellations en linéaires en font des produits incontournables. Les grandes surfaces ne les bouderont pas. Mais les négociations sont serrées. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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