La bulle chinoise fait « pschitt ». Entre 2012 et 2013, les expéditions tricolores de vins ont rétrogradé de 13 % en volume, pour atteindre 1,1 million d'hectolitres, et de 15 % en valeur, soit 454 millions d'euros. De quoi inquiéter les opérateurs ayant misé sur cette destination. « Les ventes françaises ont doublé chaque année pendant cinq ans jusqu'en 2013, relate Thomas Jullien, représentant du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux en Asie. Ce genre de progression ne peut pas durer à l'infini. La situation actuelle correspond à un retour à la normale. »
Une combinaison de facteurs a précipité le repli des commandes. En début d'année dernière, le nouveau gouvernement chinois a lancé une politique de lutte contre la corruption. Les produits de luxe importés en ont fait les frais. « Depuis, il est déconseillé, voire interdit, aux membres du gouvernement de s'afficher avec des vins onéreux, des montres ou des sacs de luxe », explique Thibault Delpech, responsable du bureau de représentation du groupe Taillan à Shanghai, une entreprise propriétaire du négoce Ginestet et de plusieurs châteaux à Bordeaux (Gironde).
Importation à des fins spéculatives. Les hauts responsables chinois recevaient des vins prestigieux - surtout des grands crus bordelais - en cadeau ou étaient invités à des banquets généreusement arrosés. Ces usages ont créé un marché dont « nous ne connaissions pas vraiment l'ampleur avant l'adoption des mesures anticorruption, ajoute Thibault Delpech. Aujourd'hui, nous nous en rendons compte. Ces personnalités doivent désormais payer avec leurs propres deniers les vins qu'ils consomment, d'où un marché beaucoup moins surévalué ».
Attirées par ce climat, de nombreuses sociétés chinoises étrangères au vin se sont lancées dans l'importation de vins français à des fins spéculatives. « Il y a eu un fort mouvement de surstockage », observe Hélène Hovasse, responsable de la filière agroalimentaire d'Ubifrance en Chine.
À Hong Kong, qui alimente la Chine, le mouvement spéculatif est plus ancien. « En 2008, le gouvernement local a supprimé les taxes à l'importation sur les vins. Après cela, les importations de grands crus ont bondi. Les autres catégories de vin ont suivi », rappelle Hélène Hovasse. La plupart des importateurs sont passés aux achats sans disposer des circuits pour écouler leurs marchandises. « Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ferment boutique ou ont déjà disparu, annonce Thibault Delpech. Tout en prenant soin de "dumper" (se débarrasser, NDLR) leurs stocks pour récupérer de la trésorerie. »
L'enquête lancée par la Chine à l'été 2013 sur les aides versées par l'Union européenne à ses viticulteurs a également pesé sur les exportations. À l'époque, le gouvernement chinois avait menacé de relever les taxes sur les vins si leurs investigations concluaient que les aides européennes faussaient la concurrence.
En fait, la Chine n'avait pas apprécié que l'Europe applique des droits élevés à l'entrée de ses panneaux photovoltaïques. « Quand l'enquête a démarré, les importateurs de vin ont bloqué leurs commandes, se souvient Catherine Machabert, responsable de la zone Asie à Sud de France développement. Ils craignaient de ne pas pouvoir revendre des vins surtaxés. » Cette enquête étant désormais close, ce risque n'existe plus.
S'assurer du sérieux de son importateur. La situation n'est donc pas désespérée. « La France reste une référence, rassure Hélène Hovasse. Elle s'arroge 45 % du chiffre d'affaires des ventes globales de vins étrangers en Chine. » Le marché est aussi en pleine mutation. « Jusqu'à présent, 80 % de nos vins étaient consommés dans les banquets et les réseaux de restauration occidentaux, enchaîne la responsable d'Ubifrance. Aujourd'hui, les chinois commencent à en consommer à leur domicile. »
Les enseignes Carrefour, Tesco ou encore Walmart, implantées sur place, déploient d'ailleurs des rayons vins bien achalandés. La vente en ligne devient aussi un circuit de distribution grandissant. « Les importateurs sont sur le point de s'organiser et de se professionnaliser, remarque Catherine Machabert. Après Pékin et Shanghai, des villes ou provinces secondaires telles Xiamen, Shenzhen ou Shandong offrent des relais de croissance. » Elle insiste sur la nécessité de s'assurer du sérieux de son importateur et de tisser des liens étroits avec lui. D'autant que l'Australie, le Chili, l'Espagne et l'Italie montent au créneau.
« Plus qu'ailleurs, il faut du temps et des efforts pour bâtir une marque en Chine, ce dont des exportateurs ne se préoccupaient guère jusque-là », relève Thibault Delpech. Au sein de son équipe, un Français s'occupe exclusivement de la promotion de la gamme de vins du groupe Taillan. Il forme les vendeurs des clients de l'entreprise et organise régulièrement des animations, dégustations et dîners. Désormais, la France doit consolider ses positions.
Le Point de vue de
MICHEL BERNARD, VIGNERON AU CHÂTEAU BEAUCHÊNE, À PIOLENC (VAUCLUSE)
« Nos ventes ont chuté de 32 % en volume »
« Jusqu'en 2012, nous exportions 100 000 cols en Chine, quasiment le tiers de notre production globale. Nous vendons du côtes-du-rhône et du côtes-du-rhône villages qui se retrouvent aux alentours de 30 euros le col en Chine. Ce pays est donc une destination non négligeable pour le chiffre d'affaires d'une entreprise comme la nôtre. En 2013, la machine s'est inversée. Nos ventes ont plongé de 32 % en volume. Une partie de nos importateurs n'a pas renouvelé ses commandes à cause d'un surplus de stock. Ces opérateurs vendaient à l'administration. Or, avec la lutte anticorruption, ce débouché a disparu des écrans. De plus, des entreprises ont fermé. Cela nous conduit à réorienter notre stratégie. Nous sommes devenus plus vigilants dans notre prospection. Nous allons soutenir les importateurs qui ont accès à des réseaux de distribution pertinents et privilégier ceux qui ont une réelle connaissance du commerce du vin. Notre agent, basé sur place, nous accompagne dans la mise en oeuvre de cette politique. »