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Travailler avec un handicap

AUDE LUTUN - La vigne - n°264 - mai 2014 - page 75

Joël Boudigue a subi une lourde opération qui lui bloque définitivement plusieurs vertèbres. Il a aménagé son exploitation pour continuer à travailler alors qu'il ne peut plus se retourner.
JOËL BOUDIGUE, viticulteur en Gironde, a installé un relevage à l'avant de son tracteur pour continuer à accrocher ses outils.En effet, il ne peut plus se tourner sur lui-même depuis qu'il a subi une lourde opération du dos.

JOËL BOUDIGUE, viticulteur en Gironde, a installé un relevage à l'avant de son tracteur pour continuer à accrocher ses outils.En effet, il ne peut plus se tourner sur lui-même depuis qu'il a subi une lourde opération du dos.

« En agriculture, il faut toujours faire vite, vite, commente Joël Boudigue, viticulteur à Neuffons, en Gironde. On oublie de faire des pauses, de se ménager. » En 1998, à la suite d'un effort violent, ce vigneron est obligé de s'arrêter, le dos bloqué. Il se fait opérer d'une hernie discale et doit porter un corset pendant six mois.

Malgré l'opération et la rééducation, la douleur dorsale persiste. Joël Boudigue consulte plusieurs médecins qui ne trouvent pas de traitement. « Je souffrais beaucoup et ne parvenais plus à dormir, témoigne-t-il. Des médecins me disaient de changer de métier, car la viticulture sollicite trop mon dos. Mais je ne pouvais pas l'imaginer. »

En 2011, un professeur du CHU de Bordeaux l'informe qu'une opération lourde est inévitable. Il doit subir une arthrodèse, une intervention qui bloquera plusieurs vertèbres avec des vis. Il lui explique que cette opération entraîne cinq mois d'arrêt de travail. Et qu'après cela, il ne pourra plus se pencher ni se tourner normalement.

Pour avoir le temps de préparer son absence, Joël Boudigue décale l'opération d'un an. Le 31 octobre 2012, il est opéré. Pendant les cinq mois de convalescence qui suivent, il bénéficie d'indemnités journalières de l'Aexaa et de son assurance santé complémentaire. Ces aides lui permettent d'embaucher un saisonnier pour la taille.

« Au terme des cinq mois de repos, j'ai rencontré un médecin du travail à la MSA, le docteur Claude Taraboulos, qui m'a mis en relation avec le Sameth (Service d'appui au maintien de l'emploi des travailleurs handicapés) de la Gironde. Un expert est venu faire un état des lieux de mon exploitation, de mon matériel, de mes outils, etc. Il a étudié comment j'allais pouvoir continuer à travailler. »

Car, si l'opération est un succès, les séquelles - annoncées - sont importantes. Joël Boudigue ne peut plus soulever de poids et il n'est plus mobile au niveau du bassin. Il peut encore tailler, mais plus tirer les bois, car cela suppose de pivoter.

Sa maladie, le spondylolisthesis, est reconnue comme maladie professionnelle et Joël a le statut de handicapé, ce qui lui permet d'obtenir des aides pour aménager ses outils. Il installe alors sur son tracteur une caméra de recul, un siège pneumatique et un relevage avant avec lequel il peut accrocher des outils sans se retourner. Ce relevage se commande depuis la cabine. Il y accroche la masse avant, la rogneuse, l'épampreuse et le matériel de désherbage posés sur une palette. Il déplace ces outils grâce à un tire-palette.

Il a fait couler une dalle pour aplanir le sol du hangar de stockage des matériels où il a installé un portique. Cela lui permet, par exemple, de soulever sa tondeuse pour en changer les lames plus facilement. Ces aménagements lui ont coûté 55 000 euros HT. L'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) lui a versé 11 000 euros HT.

Fort de son expérience, Joël Boudigue regrette le peu d'équipements livrés en série sur les tracteurs. « Vu leur coût, ils devraient tous avoir d'origine un siège pneumatique, un relevage avant, une caméra de recul et des ponts suspendus. Cela éviterait des problèmes de santé. »

Désormais, Joël Boudigue se consacre exclusivement à son exploitation. Il a abandonné ses autres responsabilités. « Grâce aux aménagements, je peux presque tout faire, mais plus lentement ! », précise-t-il. Sa banque lui a maintenu sa confiance. « Le fait d'être dans un milieu rural, avec un bon relationnel, m'a certainement aidé, reconnaît-il. En ville, cela aurait pu être plus compliqué. »

Quel conseil donnerait-il à un collègue souffrant ? « D'aller rapidement consulter, répond-il sans hésiter. Une opération fait peur, mais on peut ensuite continuer à travailler sans souffrir. Il faut accepter de ne plus faire comme avant. On ne fait pas moins bien, mais différemment. Et à ceux qui sont en pleine forme, je conseille de faire des pauses. On se croit tous invulnérables quand on est en bonne santé... »

DR CLAUDE TARABOULOS, MÉDECIN DU TRAVAIL À LA MSA DE LA GIRONDE « Ce maintien au travail est une réussite »

« Les agriculteurs ont souvent des problèmes de dos. Ils ne pensent pas assez à se mettre en contact avec la MSA pour que leurs maux soient reconnus en maladie professionnelle. Cela leur ouvre pourtant des droits pour se faire accompagner dans l'aménagement de leur métier. Notre principal objectif, en tant que médecins du travail, est de maintenir les exploitants et les salariés au travail. Dans le cas de Joël Boudigue, c'est une réussite. La MSA regroupe le service social, le médecin-conseil et le médecin du travail. C'est un gain de temps et d'efficacité précieux. »

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