La fièvre est retombée à Villeneuve, près de Bourg-sur-Gironde (Gironde). Le 5 mai dernier, vingt-trois élèves de l'école primaire de ce village sont pris de maux de tête, de toux, d'irritations des yeux et de la gorge. Au dehors, un pulvé traite les vignes qui entourent le bâtiment scolaire. Le directeur de l'école tente de le faire cesser. Sans résultat. Les pompiers débarquent. L'institutrice est emmenée aux urgences. Il faudra trois jours pour que nausées et diarrhées disparaissent. Les parents d'élèves sont vent debout. Les médias s'emparent de l'affaire.
Le 15 mai, la préfecture de Gironde rend les premières conclusions de l'enquête confiée à la Draaf Aquitaine et à l'Agence régionale de santé pour déterminer la cause des intoxications. Il apparaît que « les effets connus des fongicides [appliqués le 5 mai] sont concordants avec les symptômes décrits ». De plus, ce jour-là, l'épandage s'est déroulé dans des « conditions inappropriées, sans qu'aient été prises toutes les précautions nécessaires pour le voisinage ».
Du côté des propriétaires incriminés, les châteaux Escalette (famille Richard) et Castel la Rose (détenu par Catherine Verges, maire de Villeneuve), on reste discret, refusant de répondre à la presse.
Chez les parents d'élèves, le calme ne reviendra que le 23 mai, à l'issue de la réunion entre le sous-préfet, l'inspecteur d'académie, les parents et le président du Syndicat viticole des côtes de Bourg. Assurance est donnée aux parents qu'il n'y aura plus d'épandage entre 8 h 30 et 17 heures.
Mesures de prévention
Pour éviter que de telles situations se reproduisent, le préfet de Gironde et d'Aquitaine a demandé à ses services d'engager une campagne de sensibilisation auprès des agriculteurs et des viticulteurs. Il annonce un recensement des sites sensibles, comme les écoles, et promet des mesures de prévention.
Sans le vouloir, Jean-Samuel Eynard, président du Syndicat des côtes de Bourg, a été entraîné dans cette affaire. Il a été convoqué à la réunion du 23 mai, car Villeneuve se trouve dans l'aire de son appellation. Avant de reconnaître des torts chez les viticulteurs, il renvoie les élus locaux et les urbains à leurs contradictions. « Sur le village de Pugnac, à 15 km de Villeneuve, on laisse s'installer une crèche intercommunale tout près des vignes. Pourquoi ? interroge-t-il. Les élus ont une responsabilité lors qu'ils signent un PLU. Et ceux qui s'installent en zone rurale doivent prendre conscience que ce n'est pas une carte postale, mais un milieu où il y a des activités. »
En fait, Jean-Samuel Eynard, à la tête du château Genibon-Blanchereau, prône « le vivre ensemble ». Il a sa recette. Les premiers rangs de vigne d'une de ses parcelles sont à cinq mètres d'une habitation. Avant d'entreprendre un épandage, il jette un oeil sur le jardin voisin. « Si je vois du linge sécher, je vais le décrocher et je le mets à l'abri sous la véranda. » Des petites attentions qui adoucissent les rapports entre ce vigneron et ses voisins !
« Des relations de bon voisinage, de bon sens, c'est bien plus efficace qu'une mesure réglementaire », renchérit Bernard Farges, le président du CIVB. Allusion à l'annonce de Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, qui veut interdire les épandages de produits phytosanitaires à moins de 200 mètres des écoles. Une proposition « hasardeuse » pour Bernard Farges, qui affirme : « En Gironde, 3 000 ha de vignes sont dans le périmètre des 200 mètres Si on ne traite pas une vigne, elle disparaît. Qui indemnisera le viticulteur ? Sur quelle base ? »
Alerte pesticides
À Pessac-Léognan, l'aire d'appellation la plus urbaine de la région bordelaise, les habitants veillent au grain. Le 5 mai dernier, un collectif baptisé Alerte pesticides a été créé à Léognan par des parents d'élèves et des riverains de vignes. « Les habitants découvrent, effarés, que les produits épandus ne sont pas neutres pour la santé. Nous sommes là pour jouer un rôle d'alerte », explique Emmanuelle Reix, porte-parole du collectif. Ce dernier a ouvert une page Facebook. Il va tenir un blog et distribuer des bulletins d'information sur les marchés.
Emmanuelle Reix, qui est responsable de la commission santé et environnement au sein de la FCPE primaire de Léognan, a déjà eu affaire au château Larrivet Haut-Brion, dont deux parcelles jouxtent le groupe scolaire Jean Jaurès (maternelle et primaire). En juillet 2011, la FCPE a demandé qu'il n'y ait pas d'épandage sur ces parcelles pendant le temps scolaire. Le château a fait la sourde oreille. Ce n'est qu'en mai dernier qu'il s'est engagé à épandre avant 7 h 30 du matin et après 19 heures les jours de classe, ou le samedi matin.
Fin 2012 déjà, le syndicat viticole de Pessac-Léognan avait signé la charte environnementale des paysages viticoles de Léognan l'engageant à mieux prendre en compte les attentes des riverains. « Les viticulteurs jouent le jeu. Mais il n'y a pas assez de communication pour mettre leurs efforts en valeur. J'ai besoin de viticulteurs vertueux, et qui le font savoir, pour vendre notre territoire », rappelle Jean-François Mouclier, conseiller municipal en charge des relations avec les viticulteurs et du tourisme.
À Listrac, au seul nom de Marie-Lys Bibeyran, habitante de cette petite commune du Médoc, on tord le nez. Son frère, ouvrier agricole dans un château du Médoc, est décédé des suites d'un cancer en 2009. Depuis, elle se bat pour que sa maladie soit reconnue comme une maladie professionnelle causée par son exposition aux pesticides. Elle n'a pas obtenu gain de cause. Mais cela ne l'arrête pas. Elle collabore avec l'ONG Générations futures, à l'origine d'une enquête réalisée dans le Médoc mettant en lumière la surexposition des salariés viticoles.
Informer
Pour le maire de Listrac, Christian Thomas, Marie-Lys Bibeyran « en fait trop ». Il se dit « préoccupé par le climat qui s'installe entre viticulteurs et riverains ». Sur sa commune, sur une superficie de 6 100 ha, 700 sont occupés par les vignes. Il se raccroche à une idée simple : informer les 2 507 habitants. Un panneau électronique leur rappelle que, de mai à août, les vignes font l'objet de traitement.
En septembre prochain, une école maternelle va ouvrir ses portes à Listrac. Le bâtiment et un lotissement jouxtent les vignes de Pascal Bosq, du château Liouner, 45 ha en agriculture raisonnée. « L'ancien maire ne nous a pas contactés lorsque ce projet a été décidé, lâche le vigneron qui a dû se faire une raison. Je me suis engagé à traiter en bio les 2 ha qui touchent l'école et le lotissement. De même, je vais planter une haie paysagère entre les vignes et ces bâtiments. » Reste un goût d'amertume : « Vis-à-vis des habitants, on passe pour des tueurs. Nous subissons des attaques frontales sans pouvoir discuter. Or, il faut du dialogue et de l'ouverture », martèle-t-il.
Prise de bec dans le Gard
« Il a lancé un gros caillou contre la vitre de ma cabine », soutient l'un. « ll m'a coincé avec son tracteur et a déclenché son pulvérisateur. J'ai eu peur », déclare l'autre. Dimanche 25 mai, 9 h 30. Une dispute éclate à Saze (Gard) entre un vigneron indépendant et son voisin. Le voisin, âgé de 47 ans et sans emploi, reproche au vigneron d'avoir mal choisi son jour. « C'était un dimanche, le jour de la fête des Mères et j'attendais des invités », raconte-t-il. « Nous avions essuyé un orage le vendredi. Samedi, c'était trop mouillé pour traiter. Dimanche était sans vent : la fenêtre idéale pour appliquer mon antimildiou et mon anti-oïdium », rétorque le viticulteur. Ce dernier, âgé de 60 ans, est donc parti très tôt. « J'ai pris soin de faire la parcelle proche des habitations en dernier. À peine arrivé, le bonhomme est venu me reprocher de traiter exprès un dimanche pour l'embêter. Au bout d'un moment, jai repris mon travail. Il a dû prendre un peu de brouillard mais, après tout, il n'avait pas à être dans ma parcelle ! » Selon le viticulteur, c'est alors que le quadragénaire a jeté son caillou. « Il a cassé le rétroviseur et la vitre. J'ai reçu la pierre dans l'épaule. J'ai ouvert la porte du tracteur. Il m'a piqué les clés », assure-t-il. L'altercation s'est terminée à la gendarmerie. L'un et l'autre ont déposé plainte. Espérons que la fête des Pères aura été plus paisible.
Un précédent à Saulchery
Le 12 mars 2012, Claude Paudière, maire de Saulchery, dans l'Aisne, publie un arrêté municipal interdisant le traitement de deux parcelles viticoles jouxtant l'école de 8 h 20 à 11 h 40, puis de 13 h 20 à 16 h 40 les jours d'école. « C'est un arrêté de bon sens qui n'aurait jamais été pris si un viticulteur n'avait pas traité avec un canon pendant une récréation », témoigne-t-il. La mesure est toujours en vigueur et son instigateur a été réélu. Deux ans après, les relations sont plus apaisées. L'arrêté n'est pas toujours appliqué à la lettre, mais il n'y a plus de traitement lorsque les enfants sont dans la cour. Dans cette région, les associations écologistes, dynamiques et puissantes, prônent le zéro pesticide près des habitations.
De nouvelles restrictions en vue
Le 20 mai, lors du lancement de la huitième Fête de la nature, la ministre de l'Écologie, Ségolène Royal, a déclaré qu'elle annoncerait « très prochainement » une interdiction des épandages de produits phytos « à moins de 200 mètres des écoles ». Une semaine plus tard, elle a ajouté qu'il n'y aurait bientôt plus de dérogation autorisant les traitements par hélicoptère. Fin avril, le minsitre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, avait ouvert le bal en prévenant qu'il allait prendre un arrêté imposant de traiter les cultures en floraison après le coucher du soleil pour préserver les abeilles.