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AU COEUR DU MÉTIER

À FRESSAC, DANS LE GARD « Nous avons établi un vignoble de qualité »

FLORENCE BAL - La vigne - n°265 - juin 2014 - page 24

À FRESSAC, DANS LE GARD, Florence et Laurent Martin ont repris le domaine familial de Florence en 1988. Ils ont triplé la surface de leur vignoble. La reconnaissance de l'appellation Duché d'Uzès les conforte dans leurs choix.
DÉBUT MAI, LAURENT RÉALISE LE PREMIER TRAITEMENT ANTI-OÏDIUM de la saison (Antene, à 0,2 l par hectare) avec un pulvérisateur Tecnoma traîné.   PHOTOS:  F. BAL

DÉBUT MAI, LAURENT RÉALISE LE PREMIER TRAITEMENT ANTI-OÏDIUM de la saison (Antene, à 0,2 l par hectare) avec un pulvérisateur Tecnoma traîné. PHOTOS: F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

CETTE ANNÉE, LA VÉGÉTATION EST EN AVANCE DE QUINZE JOURS. Début mai, Laurent Martin fait le premier relevage sur cette parcelle de chardonnay plantée à 4 200 pieds par hectare.

CETTE ANNÉE, LA VÉGÉTATION EST EN AVANCE DE QUINZE JOURS. Début mai, Laurent Martin fait le premier relevage sur cette parcelle de chardonnay plantée à 4 200 pieds par hectare.

VICE-PRÉSIDENT DE LA COOPÉRATIVE DE DURFORT, Laurent Martin prépare une livraison destinée aux supermarchés d'Anduze, un haut lieu touristique.

VICE-PRÉSIDENT DE LA COOPÉRATIVE DE DURFORT, Laurent Martin prépare une livraison destinée aux supermarchés d'Anduze, un haut lieu touristique.

APRÈS LES JOURNÉES DE VENT, Laurent Martin nettoie la piscine qui fait le bonheur des vacanciers.

APRÈS LES JOURNÉES DE VENT, Laurent Martin nettoie la piscine qui fait le bonheur des vacanciers.

Le 20 juillet 2013, il y avait comme un petit air d'allégresse chez Florence et Laurent Martin, viticulteurs à Fressac, dans le Gard. Ce jour-là, le décret de l'AOC Duché d'Uzès paraissait au Journal officiel, avec effet rétroactif sur la récolte 2012. L'appellation s'étend sur 77 communes du Gard situées sur les contreforts cévenols.

« L'AOC peut être une locomotive pour le reste de nos productions, se réjouit Laurent Martin. C'est une reconnaissance du travail effectué depuis 25 ans. La démarche a été longue. À un moment, on s'est même dit que notre génération ne connaîtrait pas l'appellation et que l'on travaillait pour la suivante. »

Leur domaine compte 30 ha en appellation Duché d'Uzès, vin de Pays d'Oc et IGP Cévennes. Ils livrent l'intégralité de leur production à la coopérative de Durfort, le village voisin. Cette cave produit 28 000 hl par an et vend 96 % de sa production en vrac au négoce. Elle n'élabore que 80 000 bouteilles pour son compte, dont 28 000 en Duché d'Uzès. Elle embouteille 70 000 cols supplémentaires pour Orenia, la marque commerciale de Philippe Nusswitz, meilleur sommelier de France 1986, établi dans le village.

Florence et Laurent Martin s'installent en 1988 en reprenant le domaine de 13 ha du père de Florence. « Dès le départ, notre objectif a été de convertir notre vignoble pour produire de la qualité, raconte Laurent. Nous avons d'abord arraché les parcelles d'aramon, de cinsault et de vieux grenaches et carignans. Nous avons replanté des cépages améliorateurs : merlot, cabernet-sauvignon, chardonnay, syrah, sauvignon, etc. à la densité de 4 200 pieds/ha. »

Cette palette de treize cépages leur permet de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier et de ne pas être tributaire d'un seul marché. Spécificité du domaine : il compte aujourd'hui 8,3 ha de blancs, pour lesquels la demande est forte. Les Martin ont planté du viognier, de l'ugni blanc et, plus récemment, de la roussanne, de la marsanne et du grenache blanc.

Palissage et vendanges à la machine

À leur arrivée, toutes les vignes étaient en gobelets. Au fur et à mesure des replantations, ils ont palissé le vignoble et se sont mis à vendanger à la machine. Aujourd'hui, la totalité est palissée. 22 ha sont sur trois fils (un porteur, deux de palissage) et 8 ha sont sur un fil porteur seulement.

Le couple saisit aussi les occasions qui se présentent pour s'agrandir. Depuis son installation, la surface de leur exploitation a quasiment triplé, à 30 ha dont 27 en propriété. « Nous avons eu des vignes sur quatre sites différents, dans des villages parfois éloignés de 30 à 45 minutes en tracteur, commente Laurent Martin. En cas de grêle, c'était avantageux pour limiter les risques mais la perte de temps en trajets pour traiter était trop importante. L'organisation du travail était trop complexe. Toujours en profitant des opportunités, nous avons pu nous recentrer sur deux communes : Sauve et Fressac. »

Depuis le début, le couple croit en la démarche Duché d'Uzès. « Mais la coopérative n'a pas les marchés, souligne Laurent. Pour le moment, elle impose à ses adhérents de ne fournir que ce qu'elle vend et plafonne leurs déclarations de récolte à 5 ha de Duché d'Uzès par vigneron. » Ils étaient ainsi une dizaine en 2013 pour 27 hectares inscrits, dont deux par les Martin, alors qu'ils possèdent un potentiel de dix hectares. Pour rejoindre l'appellation, ces coopérateurs doivent postuler au début de l'année.

Les viticulteurs inscrits contrôlent ensuite collégialement toutes les parcelles en AOC au moment de la taille, pour s'assurer qu'il reste six coursons au maximum, et à la fermeture de la grappe en juillet, pour vérifier la charge. À la vendange, Philippe Nusswitz, sous la casquette de prestataire de service, contrôle la qualité.

« Afin de favoriser la qualité, un forfait par hectare, de 4 600 euros pour les rouges et 7 300 euros pour les blancs, est versé aux producteurs de duché d'uzès, souligne Laurent Martin. Cette nouvelle appellation permet de mieux valoriser notre travail car, ici, les terres sont maigres et mon rendement moyen est de 64 hl/ha en IGP. Toutefois, avec les 5,5 ha de merlot en vin de Pays d'Oc, dont le rendement dépasse 12 t/ha, je gagne autant d'argent qu'en appellation Duché d'Uzès. Après, ce sont les blancs en vin de Pays d'Oc les plus rentables (viognier à 98,17 euros par hectolitre, chardonnay à 92,19 euros, sauvignon à 82,48 euros). »

À la vigne, Laurent Martin travaille seul, hormis pour la taille, où il emploie des saisonniers. Récemment, il s'est remis à travailler l'interrang. Il y intervient mécaniquement, puis par des tontes jusqu'en juin. Ensuite seulement, il passe un désherbant. Quant à la ligne des souches, il continue de la désherber chimiquement. « Je m'aperçois qu'ainsi les vignes sont moins sensibles au stress hydrique, note-t-il. C'est vrai que le travail du sol vaut un arrosage. Avant, comme le sol était dur, l'eau ne pénétrait pas. Maintenant, même une toute petite pluie est absorbée par la terre. »

Depuis deux ans, il a investi dans une épampreuse à lanière. « J'économise en produits et c'est meilleur pour ma santé », plaide-t-il.

Laurent est titulaire d'un CAP de boulangerie. Il travaillait auparavant dans l'entreprise de maçonnerie de son père. Mais sa rencontre avec Florence, la fille de viticulteur qui allait devenir sa femme, le fait changer de voie.

Un système individualiste.

Dès 1990, deux ans après son installation, il entre au conseil d'administration de sa cave dont il sera président de 2004 à 2008 et dont il est aujourd'hui vice-président. « Je ne suis pas issu du milieu viticole et j'ai eu la très désagréable impression que, lorsqu'un nouveau vigneron s'installe, on l'attend au tournant et on souhaite presque qu'il échoue, raconte-t-il. J'ai découvert que la solidarité, tellement vantée entre coopérateurs, n'existe pas. Nous pourrions travailler à plusieurs, nous soutenir. Mais non, c'est chacun pour soi. Il serait possible de nous grouper pour acheter les produits et le matériel en commun, mais chaque viticulteur a sa machine à vendanger. Je ne pratique l'entraide qu'avec un viticulteur alors que nous sommes 80 coopérateurs. On est dans un système qui se dit coopératif mais qui, en réalité, est très individualiste. »

Autre désillusion : lors de sa présidence, Laurent, persuadé du très fort potentiel de la cave en terme de valorisation des vins, a proposé que chaque coopérateur fasse des animations sur les nombreux petits marchés et salons d'été locaux. L'investissement en temps aurait été minime pour chacun. Le résultat ? Faute de volontaires, ce sont toujours les mêmes qui s'impliquent. Ces derniers se lassant, la cave participe de moins à moins à ces marchés. « C'est dommage car nous sommes dans une région très touristique et ce serait un excellent moyen pour faire connaître nos vins, les vendre et mieux les valoriser. Cette proposition n'a pas recueilli les suffrages des adhérents. C'est décourageant. » De même, les adhérents ne souhaitent plus tenir le caveau le samedi. « Pourtant, les clients apprécient énormément que le viticulteur les reçoive en personne, relève Laurent Martin. Je le constate lorsque je fais visiter la cave et déguster les vins aux hôtes que nous recevons dans nos gîtes. »

Pour autant, la cave prévoit une journée portes-ouvertes en juillet pour fêter ses 50 ans. Quelques adhérents, dont Laurent, livrent aussi les supermarchés de la région ou participent à quelques salons, dans le voisinage ou dans le nord de la France.

Le couple, quant à lui, continue de restructurer. Lors de notre visite, début mai, il venait tout juste d'arracher 3 ha, 1,5 ha de cabernet-sauvignon et 1,5 ha de grenache. Le cabernet sauvignon est sa première vigne, plantée il y a 26 ans, mais elle est fortement touchée par l'esca. Laurent la replantera en cinsault, revenu à la mode. Et il remplacera le grenache noir par du grenache blanc pour élaborer du duché d'uzès blanc, bien valorisé.

Laurent et Florence Martin, respectivement 49 et 47 ans, peuvent être fiers du travail mené depuis leur installation. Leur fils Dorien, 22 ans, termine un BTS viticulture-oenologie, à Montpellier. S'installera-t-il aux côtés de ses parents ? Et si oui, sortira-t-il de la coopérative pour créer sa cave particulière ? Ces questions ne sont pas à l'ordre du jour ni même évoquées en famille, mais elles se poseront dans un futur proche. Ce serait dans la continuité de l'investissement dans la qualité réalisé par ses parents.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

La reconnaissance officielle de l'appellation Duché d'Uzès en 2013.

L'agrandissement du vignoble de 13 à 30 ha, dont 27 ha en propriété.

La restructuration du vignoble avec des cépages améliorateurs et le palissage qui a permis de vendanger à la machine.

Le gîte leur permet de rencontrer de nombreuses personnes.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

À son arrivée, Laurent taillait sévèrement, laissant seulement six bourgeons par pied sur l'ensemble du vignoble. Mais ce n'était pas valorisé. Il a arrêté, hormis pour les vignes en AOC Duché d'Uzès.

À ses yeux, l'esprit coopératif n'est pas vraiment au rendez-vous, c'est plutôt « chacun pour soi », regrette-t-il.

Comme président de la coopérative,de 2004 à 2008, il a proposé que les viticulteurs assurent des permanences sur les marchés locaux pour mieux vendre et valoriser le vin. C'est un échec car les viticulteurs ont refusé.

SA STRATÉGIE COMMERCIALE Les gîtes sont un bon complément de revenu

En 2000, Laurent et Florence décident de valoriser le vieux bâti qu'ils possèdent à côté de leur habitation. Ils y aménagent deux gîtes classés trois épis. L'un, pour quatre personnes, est loué entre 260 et 740 euros par semaine, selon la saison. Le second, pour six, est loué entre 360 et 940 euros par semaine. C'est un complément de revenu et « c'est très enrichissant pour nous de rencontrer des visiteurs d'horizons différents, des Allemands, des Belges, des Américains... », précise Laurent. Les vacanciers ont à leur disposition une grande piscine et, depuis deux ans, un spa extérieur. « Nous n'avons jamais eu de difficultés pour remplir nos gîtes en été. Depuis quelques années, nous payons un forfait pour être en tête de page sur le site web Le Bon coin. Du coup, nous louons beaucoup mieux en morte-saison. » Il propose systématiquement une visite de la cave coopérative. « Nos hôtes sont toujours ravis et cela fait connaître nos vins. »

ERRATUM

Dans l'article de « La Vigne » n° 264 consacré au Château Combarieu, nous avons modifié le prénom de Delphine Combarieu dans les légendes des photos. Nous la prions d'accepter nos excuses pour cette erreur.

Cet article fait partie du dossier

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L'exploitation

- Surface : 30 ha

- Treize cépages

- Appellations : Duché d'Uzès, vin de Pays d'Oc, IGP Cévennes

- Densité de plantation : 3 800 pieds/ha (4 ha) et 4 200 pieds/ha

- Taille : cordon de Royat

- Main-d'oeuvre : Laurent Martin, son épouse Laurence à temps partiel et des saisonniers pour la taille

- Production totale : 1 981 hl en 2012, 1 903 hl en 2013.

L'essentiel de l'offre

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