JACQUES SIRE, PROPRIÉTAIRE DU DOMAINE DES SCHISTES, à Estagel (Pyrénées-Orientales), n'a qu'à tendre le bras pour montrer aux promeneurs des Amoriales où sont créés ses vins. « Au milieu des vignes, c'est le meilleur endroit pour expliquer le terroir », affirme-t-il. PHOTOS : F. EHRHARD
LA VALLÉE DE L'AGLY offre un cadre majestueux. Sur un parcours de 5 km au milieu des vignes de l'appellation Maury, les gourmands vont d'une étape à l'autre et dégustent six mets associés à des vins.
Dimanche 25 mai, 10 h du matin. Sur la place de Maury, dans les Pyrénées-Orientales, l'ambiance est tranquille. Jacques Sire, propriétaire du domaine des Schistes, dans le village voisin d'Estagel, bavarde avec ses collègues vignerons. Mais ce calme ne va pas durer. En effet, 650 adultes et 44 enfants sont attendus pour la cinquième édition des Amorioles.
Cette « balade gourmande » de cinq kilomètres, organisée par l'ODG de Maury, parcourt les vignes de l'appellation. Les marcheurs marqueront six arrêts où ils dégusteront six mets différents, depuis les amuse-bouches jusqu'au dessert, tous accompagnés de vins. Jacques Sire va faire déguster un des siens à l'étape des entrées, la deuxième de la balade.
Au point de départ, les bénévoles recomptent les sacs en toile qui vont être remis aux participants. Chacun d'eux contient un verre, des couverts et un livret détaillant le parcours ainsi que les mets et les vins à déguster à chaque étape. Le premier groupe doit démarrer à 10 h 45. Jacques rejoint son poste avec les derniers accessoires : stop-goutte, crachoirs et parasols fournis par l'ODG. Il s'arrête au stand des fromages où sa femme Nadine présente, elle aussi, un vin de leur domaine. Il lui laisse le matériel et une glacière avec les bouteilles. Puis il rejoint l'étape des entrées, qu'il partage avec quatre autres vignerons.
Cistes et genêts en fleurs
« Hier, j'ai déposé le tonneau sur lequel je vais m'installer. Il ne me reste plus qu'à tout mettre en place », précise-t-il. Le cuisinier est déjà à l'oeuvre sous une tente. Il finit de préparer l'entrée. Chaque vigneron choisit sa place. Jacques se positionne du côté où les marcheurs vont arriver. Il place quelques bouteilles au frais dans la fourgonnette frigorifique du traiteur et laisse les autres dans la glacière, à l'ombre du parasol. Le soleil est voilé, mais la chaleur monte, et avec elle les odeurs de cistes et de genêts en fleurs.
Au village, le départ de la balade a été donné. Vers 11 h 30, les premiers marcheurs se présentent à l'étape où se trouve Jacques. Le vigneron accueille chaque personne d'un bonjour chaleureux. Il présente en quelques mots sa cuvée Les Terrasses, un côtes-du-roussillon blanc 100 % grenache. Pour décrire le terroir, il n'a qu'à tendre le bras. Le paysage de cette vallée de l'Agly, dominé par des falaises calcaires, est magnifique. « C'est le cadre idéal pour expliquer aux amateurs de vins notre façon de travailler », relève le vigneron. Les vignes les plus proches sont installées sur des schistes. Au-delà de la première colline, les sols changent. « C'est là que nous avons nos parcelles de blancs, sur du calcaire qui apporte de la fraîcheur. »
Nadine Sire recevra un peu plus tard les mêmes marcheurs à l'étape des fromages. C'est elle qui a choisi les vins, avec les autres vignerons qui participent à cette édition. « Nous nous sommes réunis début mai pour goûter les plats imaginés par les deux chefs et chercher, parmi nos vins, ceux qui conviendraient le mieux », raconte Nadine. Pour l'entrée - des rillettes de canard, une tranche de magret et un cube de foie gras sur une tranche de pain -, elle a opté pour un blanc. « Avec sa fraîcheur, il fait le contrepoint du mets sans le dominer », explique-t-elle à une promeneuse qui apprécie cette association.
« Donnez-nous votre avis, il nous intéresse », lance Jacques qui encourage les marcheurs à s'exprimer et à poser des questions. « Pourquoi vos vieilles vignes sont-elles si basses ? Elles n'ont pas réussi à pousser plus haut ? » demande un Auvergnat. « C'est nous qui leur donnons cette forme en gobelet bas. Ainsi, la circulation de la sève est plus courte, elles résistent mieux à la sécheresse », explique le vigneron.
Lorsque les visiteurs sont curieux, il n'hésite pas à entrer dans les détails. « C'est un plus d'avoir le vigneron en face de soi », note une jeune femme, heureuse d'avoir pu discuter avec lui.
Visiblement, Jacques aime ces moments d'échanges. « J'ai déjà participé à une journée où se pressaient 1 400 personnes. On finit par servir à la chaîne sans avoir le temps de parler avec les gens. Ici, nous nous sommes fixé un maximum de 700 personnes pour garder la convivialité », précise-t-il.
Certains marcheurs connaissent déjà le domaine et viennent saluer Jacques. Il en profite pour leur signaler la dégustation de rancios organisée par l'interprofession des vins du Roussillon, le 2 juin. Rendez-vous est pris ! Ces Parisiens viennent régulièrement et apprécient les vins de la région. « Nous les faisons découvrir à nos amis. »
Les marcheurs se succèdent, allant vers l'un ou l'autre des vignerons. Certains prennent des notes pour se souvenir de leurs impressions de dégustation. « Vous faites ça sérieusement », relève Jacques. « Normal, répond un jeune homme, vous faites des efforts, alors nous aussi ! »
L'ambiance est bon enfant et conviviale
Les participants de tous âges viennent en famille ou avec des amis. « C'est une journée zéro stress », savoure une jeune femme venue avec son bébé. La plupart sont des particuliers qui viennent de la région. D'autres profitent de leur séjour ici pour participer aux Amorioles. Quelques professionnels joignent l'utile à l'agréable. Un restaurateur à la recherche de nouveaux vins laisse sa carte à Jacques et l'invite à venir goûter sa cuisine. « En 2012, nos vins ont séduit deux cavistes de Toulouse et Montpellier, qui nous ont ensuite passé quelques commandes », précise-t-il.
À l'étape des fromages, une oliveraie offre un peu d'ombre. Nadine y fait déguster sa cuvée La Cerisaie, un vin doux naturel en appellation Maury. « Muté sur grain, il a conservé les arômes de fruits rouges du grenache. Goûtez-le avec la tomme de brebis et la cerise », conseille-t-elle. Cette association surprenante plaît.
« Et à Céret, chez quel caviste êtes-vous ? », demande une jeune femme, qui a envie de retrouver ce vin près de chez elle. « Il faut bien connaître sa liste de cavistes », note Nadine, qui a déjà renseigné bon nombre de personnes sur le réseau de distribution du domaine. Ce sont autant de clients potentiels en plus.
Le parcours revient ensuite vers le village. Un air de musique finit de guider les marcheurs vers la place d'où ils sont partis. Des tables les attendent pour le dessert et le café. Ils peuvent en profiter pour relire leurs notes de dégustation et choisir les vins qu'ils souhaitent acheter. Le livret qu'ils ont reçu au départ les aide à faire leur choix : il présente les cuvées de chaque étape avec leur tarif.
À côté du parking où les marcheurs ont laissé leur voiture, le centre de loisirs du village a été transformé en point de vente. « J'y ai déposé 36 cols de chacun des deux vins que nous avons fait déguster », relève Jacques. À l'entrée, les participants remplissent leur bon de commande puis patientent le temps que des bénévoles les servent. Certains ne prennent que quelques bouteilles. D'autres empilent les cartons dans leur coffre.
« Cette année, les gens ont été séduits par notre maury muté sur grains. La responsable du point de vente m'a appelé deux fois pour que j'aille en rechercher. Au total, nous avons vendu pour 1 200 euros de vins », calcule Jacques Sire.
Comme tous les vignerons, lui et sa femme ont fourni les vins dégustés durant la journée et donné de leur temps et de leur énergie. « Nous en avons un bon retour, estime-t-il, qui va au-delà de ces ventes. Au travers de cette balade dégustation, nous construisons la notoriété de notre appellation ».
Vingt-huit vignerons, 14 000 euros de chiffre d'affaires
Cette année, 28 vignerons ont participé aux Amorioles et proposé 40 vins à la dégustation. Deux chefs, Franck Séguret, du Clos des Lys, à Perpignan, et Ève Charrenton, de la Maison du Terroir, à Maury, ont imaginé et réalisé les plats. Juliette, fromagère à Rivesaltes, a sélectionné les fromages. « Les 39 euros payés par chaque participant ne couvrent pas tous les frais. Il faut louer des tentes, des fourgonnettes frigorifiques, payer les livrets, la toile des sacs, les chapeaux remis à chaque participant, etc. Le syndicat finance le surplus, avec le conseil général des Pyrénées-Orientales », précise Bernard Rouby, le président de l'ODG Maury, qui organise l'événement. Les vignerons vendent leurs vins à la fin de la balade. Pour cette cinquième édition, ils ont réalisé 14 000 euros de chiffre d'affaires. « Sans l'aide des bénévoles, tout cela ne pourrait pas fonctionner », note Bernard Rouby. Cette année, ils étaient une trentaine, des proches des vignerons et des gens du village prêts à donner un coup de main. « Trois couturières ont ainsi cousu les 650 sacs en toile remis aux participants », relève-t-il. Cette manifestation rencontre un succès croissant. « Cette année, nous n'avons pas eu besoin de distribuer de prospectus, la liste des inscriptions s'est remplie grâce au bouche-à-oreille », ajoute-t-il.
POUR 700 RANDONNEURS, LA LOGISTIQUE DOIT ÊTRE CALÉE À L'AVANCE
- Des sites accessibles en voiture. Nourrir 700 personnes en pleine nature demande une bonne organisation. Le parcours à pied emprunte de petits chemins, mais chaque étape est accessible en voiture pour pouvoir apporter tout le matériel. La nourriture y est stockée dans une fourgonnette frigo, et sortie au fur et à mesure.
- La veille, tout est vérifié. Les vignerons posent le fléchage, font le tour des tentes que le loueur a installées et apportent les tables au stand de la viande, où on déguste assis. Aux autres étapes, la dégustation se fait debout.
- De l'eau pour rincer les verres. Le matin du jour J, les bénévoles distribuent des bouteilles d'eau aux vignerons, pour rincer les verres des participants avant la dégustation, ainsi qu'un verre pour goûter chaque bouteille avant de la servir.
- Des réserves pour ne jamais être à court. Prévoir le nombre de personnes qui vont venir déguster à chaque stand n'est pas une mince affaire. Jacques a mis au frais douze côtes-du-roussillon et cinq maury. Mais, dans son camion, il a encore plusieurs cartons en réserve à portée de la main.