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VIN - POUR APPROFONDIR

Le B.A.BA de la filtration des bourbes

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°266 - juillet 2014 - page 50

Filtrer les bourbes permet de récupérer des jus clairs et d'améliorer le potentiel qualitatif des vins. Trois oenologues délivrent leurs conseils pour mener cette opération à bien.
UNE FILTRATION AU JOUR LE JOUR, dans la foulée du débourbage, est recommandée. © P. ROY

UNE FILTRATION AU JOUR LE JOUR, dans la foulée du débourbage, est recommandée. © P. ROY

Filtrer les bourbes ? La technique se généralise de plus en plus sur les vins blancs et rosés. Elle permet en effet de récupérer jusqu'à 95 % du volume des jus. À l'heure où les petites récoltes s'enchaînent, c'est indispensable. De plus, les filtrats de bourbes sont riches en précurseurs d'arômes qui rehaussent le profil qualitatif des vins.

« La filtration des bourbes est toujours intéressante, mais dans certains process particulièrement respectueux de la vendange, le taux de bourbes est si faible, inférieur à 5 %, que l'opération ne se justifie pas économiquement et qualitativement, expose Stéphane Gresser, du cabinet Gresser oenologie, en Alsace. En revanche, lorsque le taux moyen se situe entre 10 et 20 %, la filtration démontre tout son intérêt. » Fabien Faget, oenologue au centre oenologique de Cadillac-Podensac-Léognan (Gironde), complète : « Aujourd'hui, les valeurs de turbidité pour élaborer des blancs et des rosés oscillent entre 80 et 200 NTU. Dans ces conditions, on peut produire 10 à 15 % de bourbes. C'est un volume qu'il est avantageux de filtrer. »

En Provence, où 80 % des vins sont des rosés, la filtration des bourbes se répand comme une traînée de poudre. « Avant de les filtrer, on peut les laisser macérer quelques jours pour obtenir une expression aromatique plus puissante, souligne Richard Bertin, oenologue conseil, gérant de Provence oenologie. Mais elles présentent des risques élevés de départ en fermentation si elles ne sont pas conservées au froid. » Il conseille à ses clients qui souhaitent les faire stabuler de les maintenir en dessous de 5°C et de pratiquer un sulfitage complémentaire de l'ordre de 4 à 5 g/hl, suivant les conditions de ramassage du raisin.

Filtration au jour le jour. Fabien Faget recommande de conserver les bourbes dans des cuves pourvues de ceintures double paroi et à circuit d'eau glycolée, « qui permet de les amener à une température proche de 0°C. » Il conseille, en outre, de ne pas les conserver plus d'une semaine, avant de les filtrer et de lancer la fermentation.

Ce temps de stabulation ne peut s'appliquer qu'à des vendanges saines. Lorsqu'on a affaire à une vendange altérée, il faut séparer les bourbes au plus vite des jus clairs, les traiter (caséine-PVPP, bentonite), les vinifier à part ou avec des vins d'entrée de gamme.

Dans tous les cas, Stéphane Gresser prône une filtration au jour le jour, dans la foulée du débourbage. « Cette solution implique d'avoir son propre filtre plutôt que d'avoir recours à un prestataire, souligne-t-il. Par exemple, un filtre-presse est bien adapté à une exploitation qui filtre 50 à 100 hl, en moyenne, au cours d'une campagne, voire moins suivant le prix de vente des vins. » L'investissement revient entre 9 000 et 12 000 euros, selon la société Schiele, en Alsace, spécialisée dans la vente de ce type de matériel. « Ce montant s'amortit rapidement », considère Stéphane Gresser.

Pour améliorer la filtrabilité et faciliter les échanges entre les jus et les parties solides, les oenologues conseillent de pratiquer un enzymage pectolytique, « de l'ordre de 1,5 à 3 g/hl », pour Fabien Faget. « On peut ainsi filtrer des volumes conséquents », ajoute l'oenologue. À l'inverse, le collage des jus est déconseillé. Il nuit, en effet, au bon déroulement de la filtration.

« Les vignerons doivent également être attentifs au risque d'oxydation durant la filtration, alerte Richard Bertin. Il est important avec l'emploi d'un filtre rotatif sous-vide. » Avec un filtre-presse, le danger est moindre, « à condition de travailler sous gaz inerte. »

« L'oxydation des jus est difficile à empêcher, estime, de son côté, Stéphane Gresser. La meilleure façon de s'en préserver est de favoriser le démarrage rapide de la fermentation alcoolique. » La filtration tangentielle, de plus en plus utilisée en Provence, permet également d'éviter cet écueil.

Les filtrats peuvent se vinifier à part ou avec les jus débourbés. Les trois oenologues que nous avons interrogés privilégient la seconde solution qui « respecte l'intégrité du vin de départ, indique Richard Bertin. Toutefois, il faut s'assurer de la bonne qualité de ces filtrats : s'ils présentent des faux goûts ou de l'oxydation, il faut les tenir séparés. »

Des vins exubérants. Pour Stéphane Gresser, la décision dépend aussi de la taille de l'entreprise. « Une grosse structure peut envisager de vinifier les filtrats à part, car elle dispose d'un volume suffisant pour le faire rapidement, expose-t-il. Une petite unité sera contrainte de vinifier des lots de quelques hectolitres, ce qui n'est pas sans difficulté. »

Autre problème : les jus issus de la filtration des bourbes sont pauvres en nutriments fermentaires. « Des supports de cellulose neutres sont nécessaires, observe Fabien Faget. De même que des compléments azotés en fonction de l'azote assimilable. » Les filtrats assemblés et vinifiés à part donnent en outre des vins au profil jugés « exubérant » par les oenologues. Incorporés dans les cuvées d'origine, les vins sont plus aromatiques, avec des notes d'agrumes dans le cas du sauvignon, et plus amples en bouche.

Des coûts secrets

Pour ceux qui ne possèdent pas de filtre-presse ou de filtre tangentiel, il est possible d'avoir recours à un prestataire de services. Ceux-ci sont peu enclins à divulguer le coût de leur prestation. Seule la société Prestavin, en Alsace, a accepté de nous répondre. Les tarifs oscillent entre 25 et 39 €/hl, suivant le volume à traiter.

Le Point de vue de

HÉLÈNE SINAEVE, MAÎTRE DE CHAI AU DOMAINE DE LA CROIX, À LA CROIX-VALMER (VAR), 100 HA

« Nous avons investi dans un filtre tangentiel il y a trois ans »

« Nous produisons 3 800 hl en moyenne par an, 85 % de rosés et 10 % de blancs. Le reste, ce sont des rouges. Après le débourbage, les bourbes grossières restées au fond des cuves représentent parfois 10 à 15 % du volume initial de jus. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cela. Nous procédons alors à la filtration des bourbes. Nous récupérons quasiment 97 % de jus. Jusqu'en 2011, nous utilisions un filtre-presse. La filtration avec ce type d'équipement nécessite l'utilisation de terre (perlite) et est très chronophage pour nos équipes au moment des vendanges. Aussi, nous avons investi, il y a trois ans, dans un filtre tangentiel pour un montant d'environ 60 000 euros. Nous avons opté pour un Bucher Vaslin deux modules (FX2). Il s'utilise pour la filtration des bourbes et des vins, ce qui permet de rentabiliser au mieux cet investissement. Pour la filtration des bourbes, il présente deux avantages. Primo, il nous a permis de réduire nos intrants puisque nous n'utilisons plus de perlite. Secondo, la filtration est entièrement automatisée et s'effectue, de fait, en continu. Le nettoyage est également plus aisé, la machine se régénérant automatiquement. C'est un gain de temps de trois à quatre heures par jour ! Au moment des vendanges, nous filtrons plus de 50 hl de bourbes par jour. Nous réintégrons les filtrats dans les cuvées d'origine. Elles confèrent aux vins davantage de volume et des qualités aromatiques intéressantes. »

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